L’attente ne pouvait pas être plus grande. Contrairement à beaucoup de rappeurs français, les frangins de PNL aiment les symboles, les visions fortes et les directions radicales sans marche arrière. Ademo et N.O.S ont le sens de l’histoire. Avec “Au DD”, ils ont marqué à jamais le mythe de la tour Eiffel, et dans le même temps celui de la Ville lumière. Un fer rouge a marqué “QLF” à jamais sur le cœur de Paris.
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Leur nouvel album, Deux frères, s’inscrit dans la même lignée. Les sujets sont les mêmes, et le ton est toujours entre mélancolie infinie et célébration douce-amère. Les deux rappeurs originaires des Tarterêts polissent au fil de leurs albums cette formule, pour enlever au fur et à mesure toute l’écorce autour du cœur battant à tout rompre qui leur sert de logo depuis le début.
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PNL est en constante amélioration : tout se veut meilleur à chaque version, comme pour repousser encore les limites du récit, franchir les barrières de l’historique. Toute l’œuvre du duo est un défi pour tordre les idées reçues, un bras d’honneur aux clichés, une force sociale sans aucune étiquette. Faisons un retour sur quatre caractéristiques fortes de la musique de PNL qui sont exacerbées une nouvelle fois sur ce quatrième album, Deux frères – car 2 x 2 = 4 (même si 4 x 4 = 12, aussi)
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L’indépendance définitive
Toute la substance de PNL tient dans son indépendance défendue à tout prix. Les deux frères décident de tout (seuls mais bien conseillés), du visuel à la production. Au final, on ne voit que ce qu’ils veulent donner. Cette science du contrôle est une première dans le paysage musical français et une prouesse à l’ère du tout numérique, où tout peut s’écrouler d’un snap.
Leur intransigeance force le respect car elle ne fléchit absolument jamais. Même en travaillant avec de nombreuses personnes et structures, rien ne transpire, aucune recette, aucun secret de fabrication. Cette mainmise presque magique est un atout vraiment parfait pour leur musique car elle garantit une authenticité totale, un véritable lien entre l’artiste et l’auditeur.
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En cette époque où les intermédiaires sont automatiques, en service direct ou cachés dans des clouds, PNL se branche directement à la source, offrant une vérité criante que tout le monde recherche. En gardant un discours simple et spontané dans un écrin d’autarcie, Ademo et N.O.S se créent leur propre royaume, relié à aucun style, collé à aucun mouvement.
En gardant cette ligne directrice intacte sur Deux frères, le duo est dans une continuité impressionnante qui peut paraître rébarbative au premier abord mais qui est une garantie de succès. L’important n’est pas ce qu’on pense après une ou deux écoutes, mais ce qui restera vraiment dans dix ans, vingt ans. L’indépendance définitive des gars de PNL leur permet d’être hors du temps, de refuser la course contre la montre qu’on s’inflige tous un peu plus.
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La recherche sonore maniaque
Deux frères est un album qui s’écoute au casque, dans une bulle personnelle. Le duo a toujours cherché à offrir une expérience différente dans le monde du rap et de la musique. Avec son mixage méticuleux et son sens du détail extrême, ce nouvel album est encore un cran au-dessus. Le groupe prend son temps pour trouver le son qui correspond à son évolution, toujours avec Nk.F aux manettes, en ingé-son de luxe. Chaque note, chaque élément de design sonore est à sa juste place. Il y a beaucoup de travail sur les voix, ce qui les rend encore plus incarnées ou totalement spatiales, selon les morceaux.
Ce n’est pas la production qui détermine leur univers mais Ademo et N.O.S qui tordent nos perceptions de la réalité en réutilisant des codes qu’on connaît par cœur. Tout est dans une réminiscence jouant sur nos inconscients. Encore plus que sur les albums précédents, les deux frères ressortent des mélodies tapies quelque part en nous, remodelées à leur façon pour en faire une version spleen.
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Ainsi, dans “Au DD”, la guitare syncopée peut faire penser au “Peace And Tranquility to Earth” de Roudoudou, ritournelle connue pour son utilisation dans le légendaire documentaire Les Yeux dans les Bleus (sur la Coupe du monde de 1998). Des symboles communs, des légendes qui se croisent. Sur “À l’ammoniaque”, PNL joue sur nos souvenirs de westerns, entre Ennio Morricone et une carte postale d’Eddy Mitchell. “91’s” est une ode à la funk des années 1980 et ses rythmiques reprises dans le G-Funk californien.
“Hasta la vista” reprend les codes de la World Music, mélangeant influences d’Amérique du Sud et du Maghreb. Puis, sur le complètement fou “Déconnectés”, le duo met le paquet avec des effets de distorsion de voix entremêlés de synthétiseurs entre thème de Scarface et mégalomanie de Jean-Michel Jarre. Et le final, “La misère est si belle”, condense des mélodies méditerranéennes dans une balade novatrice. Toutes les notes sont familières mais différentes : une transformation de nos standards.
Les références intactes et en boucle
Deux frères est aussi une continuité dans les références de PNL. Comme dans un tourbillon qui tourne sans fin, le duo reprend encore une fois ses modèles habituels : des dessins animés avec Simba du Roi Lion et Mowgli du Livre de la Jungle, des jeux vidéo de jeunesses avec Shenmue ou Blanka et Chun-Li de Street Fighter II, les mangas avec GTO et Dragon Ball… La fidélité sans faille à ces références culturelles leur sert de repère. Les pieds sur terre, la tête dans l’espace.
Les sujets évoluent tout en restant exactement les mêmes : la vie de quartier, l’argent, la défonce, le quotidien d’un dealer devenu millionnaire, la solitude, la mélancolie, les relations devenues impossibles… En jouant toujours sur les mêmes registres et le même vocabulaire, la narration de PNL peut paraître redondante à la première écoute. Mais c’est justement en reprenant sa propre histoire, son passé immuable, que PNL se dessine une destinée sans pareille.
En ne changeant pas, les deux frères montrent aussi un sens des réalités impressionnant. Avec leurs références figées, ils respectent leur parcours. Loin de faire du surplace, ils donnent du corps à leur imaginaire, à leurs souvenirs intacts.
L’enchantement de la fatalité
Comme à chaque album depuis QLF, Ademo et N.O.S s’enfoncent toujours plus dans l’introspection. En parlant beaucoup de leur “Papa” et en n’utilisant que leurs prénoms, tout est plus proche, plus écorché, plus réel. L’interprétation se colle à ces paroles plus précises et seuls comptent les liens du sang, la généalogie et la fraternité. En déplaçant leur spleen vers l’intérieur, le duo nous donne encore plus de matière.
Violent et sans concession, le discours est aussi différent d’un frère à l’autre. Ademo développe en filigrane une philosophie de l’amour, de la distance, du temps et du bonheur. De plus en plus laconique, il est comme dématérialisé, flottant dans l’espace. Pendant ce temps, N.O.S est très précis sur ses sensations dans “Blanka”, puis décrit son retour à la maison avec son incroyable couplet sur “Chang”. Il change son style d’interprétation à chaque titre, mais reste à fleur de peau et précis dans son mal-être et sa vision désabusée de la vie.
Le duo se rejoint sur des morceaux comme “Deux frères” ou “Cœurs”, dans une fusion façon Super Saiyan. Plus on avance dans l’album, plus la distance se crée : le tandem s’éloigne de ses semblables, prêt à partir avec Elon Musk sur Mars. Ce quatrième album est le plus personnel, celui de la délivrance des émotions, de la connexion directe avec la Terre avant le départ dans l’espace.
“Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que tout change”
Dans Le Guépard de Visconti, Tancredi, joué par Alain Delon, dit : “Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que tout change.” PNL suit le même schéma, dans une ligne inchangée mais entièrement modifiée. Avec Deux frères, N.O.S et Ademo poussent cette idée à un niveau inédit, entrant encore plus “dans la légende”.
Que pour la famille.