Ils y expliquent aussi bien la bataille de Marignan, la surpopulation de la Terre ou la prononciation du mot gif. “Ils”, ce sont les vulgarisateurs. Leurs chaînes YouTube, dites de “vulgarisation”, connaissent un succès grandissant. Leur but ? Rendre plus accessibles et plus divertissants pour le public des sujets historiques, scientifiques, linguistiques, politiques ou autres, souvent complexes ou méconnus.
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Ces vidéos permettent d’en apprendre plus sur des questions qu’une personne lambda n’aurait pas le temps d’étudier seule. Qui va s’amuser à ouvrir un livre sur la chute des corps pour les vacances ? Ces youtubeurs le font pour nous, et il n’y a plus qu’à les écouter pour comprendre. Mais comment être sûr que ces passeurs de savoir du Net ne racontent pas n’importe quoi devant leur caméra ?
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“On est sur YouTube, on va avoir un retour direct des gens”
Tous les vulgarisateurs ne sont pas spécialistes du domaine dont ils parlent, mais ils en sont tous passionnés. Pour Benjamin Brillaud, c’est l’histoire, qu’il étudie en long et en large sur sa chaîne Nota Bene. Il a étudié le domaine à l’université avant de se tourner vers un parcours dans l’audiovisuel pour finir à plus de 400 000 abonnés sur YouTube. S’il est là, c’est “pour attiser la curiosité des gens sur des sujets qui [lui] plaisent”. L’idée de base est de partager des connaissances au plus grand nombre, mais sans se prétendre spécialiste pour autant : “Je ne suis ni prof, ni historien, je suis vulgarisateur”, tient à dire Benjamin.
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Et faire passer des idées nécessite un travail colossal, même pour une courte vidéo. D’une part, il faut effectuer toutes les recherches sur le sujet abordé, d’autre part, réaliser la partie technique avec montage, musique et animations. Benjamin confie pouvoir “mettre deux semaines pour sortir une vidéo de quatre à cinq minutes”. Romain Filstroff, qui tient Linguisticae, une chaîne sur l’étude du langage, a réalisé une vidéo d’1 h 20 avec le youtubeur Usul. “Elle nous a pris plus de trois mois”, déclare l’étudiant en linguistique.
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De l’émergence du thème de la vidéo jusqu’à sa mise en ligne, il y a donc un long parcours, possible qu’au milieu se soient glissées quelques erreurs. Pour pallier cette possibilité, entre la finition de la vidéo et sa publication, certains passent par la case relecture. “Sur des sujets compliqués, ou que je connais mal, je faire relire mes scripts par une amie linguiste”, explique par exemple Romain. Pareil pour Benjamin qui soumet ses vidéos avant publication à un comité de relecture composé aussi bien d’historiens que de youtubeurs en histoire. “Je prends pas mal de sécurité”, affirme Benjamin, qui explique par exemple avoir dans son carnet d’adresse une chercheuse “en histoire et langues scandinaves”, de quoi publier des productions solides sur le sujet.
Si malgré tout, une bourde passe, “on est sur YouTube, donc on va avoir un retour direct des gens”, explique Léo Grasset, de la chaîne de biologie Dirty Biology. En plus des personnes lambda qui pourraient remarquer d’éventuelles erreurs, la chaîne de Benjamin est par exemple suivie par des historiens, celle de Romain par des linguistes, “et moi j’ai pas mal de chercheurs et de profs de facs qui regardent mes vidéos”, explique Léo avant d’ajouter “si jamais je dis une connerie, je me fais très vite recadrer, on va m’envoyer des mails, etc.”. Si une erreur est pointée du doigt, la vidéo est annotée sur le passage erroné, et la gaffe est généralement notifiée dans sa description.
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Selon Léo, cette malléabilité des vidéos YouTube est un gros avantage sur les autres supports de vulgarisation : “dans des systèmes fermés comme la télé ou l’édition, tu peux dire ce que tu veux, les commentaires ne seront jamais visibles”, alors que les youtubeurs n’échappent pas à ces rappels à l’ordre.
Comment reconnaître les charlatans de la vulgarisation ?
“C’est LA question à deux millions”, lance Léo. Lui conseille de regarder les commentaires de la vidéo, bien qu’il précise que “certains vidéastes suppriment des commentaires”. Il faut aussi jeter un œil aux références et aux sources utilisées par le vulgarisateur. Sinon, “il faut attendre qu’un courageux debunk tout systématiquement”, soit prenne en chasse l’imposteur et démente à chaque fois ses propos.
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Quoiqu’il en soit ces chaînes diffusant de fausses informations existent et font du mal à la communauté en général. Consciente des doutes que peuvent avoir les internautes, la chaîne Vidéothèque d’Alexandrie a organisé fin novembre une table ronde entre youtubeurs sur le thème “vulgarisation et responsabilité”. Il a par exemple été question de préciser systématiquement les sources des informations diffusées, pour que l’internaute puisse aller vérifier la fiabilité des propos du youtubeur par lui-même.
En gros, “l’idée c’est d’être exemplaire et de montrer patte blanche”, explique Thomas Durand, de la chaîne La Tronche en Biais, consacrée à l’art du doute et à l’esprit critique. Même si, prudent, il ajoute que “la source ne garantit pas une bonne vulgarisation”.
Au cours de cette réunion en ligne, les vulgarisateurs se sont aussi interrogé sur la place de l’internaute dans cette confiance. Pour le créateur de la chaîne politique, culture et philosophie Dany Caligula, il faut sans cesse “dire à son public d’aller vérifier ce qu’on raconte”, ne serait-ce que pour qu’il ait un point de vue différent sur un sujet, ou qu’il découvre un angle non exploité. Le vulgarisateur n’est en effet qu’un simple relais de l’information : “Il faut bien savoir que nous, on n’est pas une source”, précise Thomas.
Comme à peu près partout sur Internet, l’internaute doit se méfier de ce qu’il voit, entend, et lit, ou au moins le remettre un minimum en question. “Le mot-clef, c’est la confiance”, explique Thomas. Et devant les succès d’audience de certains maîtres de la vulgarisation, on peut dire qu’ils ont réussi à gagner celle de leur auditoire.