Il neige des microplastiques dans les Pyrénées ariégeoises

Publié le par Thibault Prévost,

Le mont Valier, dans le Parc naturel régional des Pyrénées ariégeoises.
Crédit: WikipediaCC

Une étude révèle la présence de particules de plastique, transportées par les airs depuis Barcelone, à 1 425 mètres d'altitude.

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L’air pur des montagnes appartient désormais au passé, quand le monde ignorait (ou faisait encore semblant d’ignorer) le coût écologique de la civilisation industrielle. En 2019, partout où nous regardons, partout où les chercheurs font des prélèvements, ce sont des morceaux de plastique qui sont récoltés. La prolifération des microplastiques est telle, ces dernières années, qu’aucun endroit sur Terre ne semble épargné. Vraiment aucun.

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Le 15 avril, une étude française publiée dans la revue Nature Geoscience révélait une information terrifiante : il y a des particules de plastique autour de Bernadouze. Si vous l’ignorez, Bernadouze est une station météorologique, juchée à 1 425 mètres d’altitude, au fin fond du Parc naturel régional des Pyrénées ariégeoises. À Bernadouze, située sur le territoire de Suc-et-Sentenac, le paysage montagneux est absolument immaculé. Le premier hameau, Vicdessos (500 habitants), se trouve à près de six kilomètres. La première ville moyenne, Foix, est à plus de 25 kilomètres. L’activité humaine autour du site de prélèvements est donc absolument nulle.

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Et pourtant, les prélèvements ne mentent pas. Entre novembre 2017 et mars 2018, dans les échantillons de neige récoltés grâce aux collecteurs de la station météorologique, les chercheurs ont découvert en moyenne 365 microplastiques par mètre carré par jour.

Question centrale : d’où viennent-ils, et comment ? Selon les chercheurs, c’est vers Barcelone qu’il faudrait se tourner, à plus de 100 kilomètres de distance. Les vents, la pluie et la neige transporteraient les particules émises par l’activité de la ville jusqu’aux montagnes françaises, contaminant des zones pourtant quasi inaccessibles à l’homme. Pire : selon Steve et Deonie Allen, coauteurs de l’étude interrogés par Le Monde, “il s’agit probablement d’une sous-estimation” basée sur la vitesse de dépôt de la poussière, plus lourde que les microparticules de plastique.

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Une concentration entre Paris et Dongguan

Les premières conclusions de l’étude pilote, malheureusement effectuée à petite échelle, sont terrifiantes, car elles révèlent un phénomène à la fois peu étudié et extrêmement sous-estimé : le déplacement des particules de plastique des zones urbaines vers les campagnes et les zones naturelles protégées, par voie aérienne, sur de grandes distances… et dans des concentrations alarmantes.

Cette moyenne de 365 microplastiques par mètre carré se situe entre les taux mesurés à Paris et Dongguan (Chine), les deux seules métropoles au monde ayant fait l’objet de mesures. Une fréquence inimaginable dans un parc naturel régional français, et pourtant : au fin fond des Pyrénées, on trouve les mêmes résidus de polystyrène, de polyéthylène et de polypropylène que dans les centres industriels, issus des mêmes produits de consommation courante (bouteilles, emballages, sacs plastiques, etc.).

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Pourtant, les conclusions de l’étude n’ont rien de réellement surprenant pour quiconque s’intéresse à l’activité climatique de notre planète. On sait par exemple qu’un gigantesque nuage de sable du Sahara, porté par les vents, traverse régulièrement l’Atlantique pour fertiliser la forêt amazonienne. La station météo de Bernadouze recueille d’ailleurs, depuis près d’un siècle, de petites quantités de ce sable.

Reste maintenant à déterminer la capacité de dispersion de ces microplastiques en fonction de leur forme, de leur taille, de leur poids et de leur rapidité de dégradation. Comme le rappelle Wired, un microplastique, en se dégradant, se divise en morceaux de plus en plus légers, et par conséquent de plus en plus susceptibles d’être portés par les vents.

Plastiques sans frontières

En l’état actuel de nos connaissances, pourtant, impossible de connaître avec certitude l’impact environnemental de ces particules de plastiques. Étude après étude, nous réalisons l’omniprésence des microplastiques dans nos océans, dans les animaux marins que nous consommons, dans l’eau courante que nous buvons et jusque dans nos excréments, mais rien ne permet d’affirmer une quelconque nocivité pour la santé humaine. À l’heure actuelle, seules quelques études pointent un lien entre microplastiques et dérèglements hormonaux chez certains insectes.

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Au-delà de leur dangerosité ou non, l’omniprésence de ces plastiques, jusque dans des zones naturelles reculées, est un terrifiant symbole de la dérive mondiale vis-à-vis de la consommation de plastique. Le phénomène, qui doit encore être étudié en détail, démontre en outre que l’adoption de législations nationales, comme l’interdiction des pailles en plastique, n’aura qu’une influence limitée si des pays frontaliers n’agissent pas à leur tour. En bref, les relevés de Bernadouze confirment ce dont on se doutait déjà : la lutte contre la pollution doit être une priorité internationale car les déchets, eux, se fichent bien des frontières.