Le déconfinement est lancé. La France sort, flâne, se balade mais l’ambiance reste pesante. Le virus est toujours là. Les distances sont posées, comme des murailles, des douves entourant nos petits châteaux forts. Et chacun se regarde en chien de faïence.
Publicité
Dans cette situation, il est difficile de se concentrer, de trouver un point d’accroche. L’esprit erre, le sommeil s’évapore, le focus est flou. Pour vous aider à sortir de ce labyrinthe, nous avons trouvé un remède : une playlist de musique d’ascenseur.
Publicité
Injustement qualifié, ce genre musical regroupe toutes ces mélodies qu’on connaît par cœur mais dont on oublie toujours les noms de titres ou d”artistes. Ce type de musique a souvent une étiquette : easy listening. Facile à écouter, sans entrave, sans agacement, simple, minimal. Ces petites pièces musicales, souvent subtiles mais populaires, habitent depuis de nombreuses années les salles d’attente, les répondeurs téléphoniques et… les cages d’ascenseur.
Publicité
Pourtant, ce faux genre met en valeur des préceptes qui peuvent aider votre déconfinement. C’est souvent de la musique instrumentale, sans parole, du jazz qui fusionne avec des rythmes brésiliens, des nappes de synthétiseurs invitant au voyage, des petites touches de piano légères et volatiles. Sans s’attacher à un texte ou à un propos, la musique d’ascenseur appelle rarement à la danse ou à la révolte. Elle invite au songe.
Illustration sonore de balades solitaires
La musique d’ascenseur n’existe pas. Elle regroupe tout et n’importe quoi. Cette étiquette péjorative cache pourtant de superbes compositeurs. La plupart travaille pour le cinéma. Ainsi des génies comme Lalo Schifrin, Henry Mancini, Dave Grusin ou même Nino Rota ont créé cette fusion jazz dans les années 1960 et 1970, influencée par des rythmes samba ou bossa-nova.
Publicité
Lalo Schifrin le fait d’une manière experte sur La Fureur du Dragon de Bruce Lee et aussi Bullitt de Peter Yates. Henry Mancini devient le compositeur parfait des cocktails de Palm Springs aux couleurs pastel avec ses musiques pour Blake Edwards, notamment la série de La Panthère Rose. Nino Rota accompagne la somptueuse Dolce Vita romaine de Fellini pendant que Dave Grusin enveloppe avec rythme et nostalgie Les copains d’Eddie Coyle, les Trois jours du Condor ou La Maison du Lac.
Moins connu que leurs pairs pour le cinéma, on retrouve aussi les créateurs de banque d’illustrations sonores pour la télévision ou la radio. Très utilisées dans les années 1960 jusqu’à 1980, ces banques de sons étaient représentées par des disques sans pochette avec de petites pistes courtes, utilisables pour habiller l’antenne. Et le style global est passe-partout, il illustre parfaitement. Le vrai sens du mot générique.
Publicité
À travers le monde, des labels ont monté leur direction artistique uniquement sur ce critère comme KPM, De Wolfe Music, Gemini ou Chappell. Et la France n’est pas en reste avec des labels parmi les plus innovants et productifs comme Éditions Montparnasse 2000, Tele Music et L’Illustration Musicale.
La collection Patchwork des Disques Magellan en est un super exemple aussi avec des auteurs inconnus, des musiciens de studio mais aussi des stars de la profession comme Jacques Loussier, Vladimir Cosma, compositeur pour les films d’Yves Robert (La Gloire de mon père, Le Grand Blond avec une chaussure noire) et Francis Veber (La Chèvre, Le Dîner de cons)
Publicité
Créés pour accompagner une image, une carte postale, ces disques sont des appels aux voyages. Ils sont souvent la face immergée d’un style de jazz aussi controversé que populaire qu’on peut appeler smooth jazz. Détesté des puristes, il est très présent dans les salons du monde entier dans les années 1970 avec des artistes comme Bob James, Grover Washington Jr. ou Wes Montgomery, tous sous l’égide du label CTI.
On y retrouve aussi les invitations spirituelles de Lonnie Liston Smith ou Eumir Deodato au milieu des années 1970 et même Quincy Jones dans ses grandes expérimentations sur ses albums You’ve Got It Bad Girl et Body Heat entre deux musiques de film.
Ce jazz était alors plutôt mal vu car il tirait vers d’autres styles plus populaires comme la soul, le son motown de l’époque, puis le funk où les batteries et les basses sont mises très en avant. Cette fusion instrumentale était plus simplifiée et minimale que le jazz d’alors mais offrait la même technique et des mélodies phénoménales.
C’est d’ailleurs ces compositions qui seront plébiscitées par le hip-hop au début des années 1990 avec des samples proéminents chez des groupes comme A Tribe Called Quest, Gang Starr ou Black Moon. Bande originale de films, illustrations sonores, smooth jazz : la musique d’ascenseur est la plus grande influence du rap des années 1990, le fameux âge d’or.
Smooth jazz et ambient pour combattre la morosité
Avec les années 1980 et la démocratisation des synthétiseurs, d’autres artistes ont usé des charmes de la musique illustrative en tirant vers l’avant-garde et l’ambient. C’est le cas par exemple d’Harold Budd, un pianiste californien qui enchaîne des petites pièces minimales électroniques à partir de 1978.
Il collabore ensuite d’ailleurs avec Brian Eno, transfuge de Roxy Music, grand spécialiste de cette musique inclassable, douce et spirituelle, qu’il qualifiera lui de Music For Airports. Le groupe Tangerine Dream ou le compositeur Vangelis ont aussi totalement embrassé cette musique synthétique pour en faire des mélodies entêtantes et des nappes planantes sur de nombreuses musiques de film des années 1980.
Plus récemment dans les années 1990 et 2000, certains compositeurs pour le cinéma ont rejoué sur la tendance smooth jazz en plus moderne, devenue acid jazz électronique. L’anglais David Holmes en est un des plus symptomatiques dans son travail avec Steven Soderbergh, notamment sur la bande originale du film Hors d’atteinte mais aussi la série des Ocean 11 et des albums solos de la fin des années 1990. Le compositeur Jon Brion l’a aussi beaucoup illustré en le mélangeant avec la folk et le rock sur des films comme I Love Huckabees, Punch-Drunk Love ou Eternal Sunshine of The Spotless Mind.
La musique d’ascenseur est maintenant représentée par des type beats en tout genre, des productions génériques souvent hip-hop instrumental qu’on retrouve sous l’appellation lofi chillhop beats (oui oui). Des chaînes YouTube diffusent en continu ce nouveau genre de musique d’ascenseur, une suite logique du trip hop.
Ces chaînes sont d’ailleurs souvent caractérisées par des illustrations type manga de jeunes qui travaillent la nuit, dans le calme avec un chat comme seul compagnon. Will Smith a d’ailleurs diffusé sa propre vidéo de chill beats pendant le confinement en mars 2020. Même type d’illustration, même musique.
À travers les époques, la musique d’ascenseur offre une tranquillité d’esprit loin de la sous-culture dont elle est souvent affublée. Elle nous aide chaque jour à relativiser, à se recentrer et à voyager sans bouger. Focus sur une ascension spirituelle. Izi listening.