Son décès a été annoncé ce matin : Madame Claude, la mère maquerelle la plus célèbre de France, s’est éteinte samedi à l’âge de 92 ans. Synonyme de luxe et de luxure, l’entreprise de prostitution qu’elle dirigeait d’une main de fer a traversé la France des années 1960 et 1970. Plongée au cœur d’un mythe dont la réalité est plus complexe qu’elle n’y paraît.
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Une femme énigmatique… et mythomane
Madame Claude, Fernande Grudet de son vrai nom, voit le jour en 1923 à Angers, dans un milieu modeste. Très laide selon ses propres dires, elle aurait eu recours à la chirurgie esthétique à plusieurs reprises afin de se transformer physiquement.
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A l’âge de 12 ans, elle fait un passage chez les bonnes sœurs où elle est même récompensée par le premier prix d’instruction religieuse. Mais à ses yeux, seules deux choses sont incontournables pour réussir dans la vie :“La bouffe et le sexe.” Visiblement piètre cuisinière, et laissant la morale religieuse de côté, c’est vers le sexe qu’elle s’orientera.
Lors d’une de ses rares apparitions télévisées, sur le plateau de “Matin Bonheur” en 1994, reprise par l’émission “Personne ne bouge” sur Arte, elle assume cette carrière :
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Après la guerre, âgée d’une vingtaine d’années, elle est fille mère, sans diplôme et sans argent. Elle confie alors son bébé à sa mère pour “monter à la capitale” et faire fortune. A Paris, elle change d’identité, devient Claude, fréquente les truands et se prostitue jusqu’en 1957 où elle s’installe en tant que proxénète dans la très chic rue de Marignan (75008).
Sa jeunesse reste obscure. A l’âge de 70 ans, elle lève le voile dans un livre autobiographique intitulé Madam. Ouvrage dans lequel elle se fantasme une jeunesse héroïque : père résistant, elle-même déportée dans les camps, elle s’invente une famille, une éducation qu’elle n’a pas eue et une ascendance bourgeoise. La vérité sur ses premières années est sans doute moins rocambolesque.
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Faire de la prostitution un conte de fée
“J’avais réussi à enlever tout ce qu’il y avait de laid dans cette profession” confie –t-elle lorsqu’on lui demande la clef de son succès. Pionnière de la prostitution de luxe, elle anobli l’image de la pute en créée des lieux où rien ne ressemble à de la prostitution.
Elle récupère ses “filles” désargentées dans des boites de nuit, chez Castel ou chez Régine, aux terrasses des cafés ou dans les castings. Elle devient leur pygmalion et les transforme en filles de bonne famille comme le montre le documentaire “Un jour , un destin” diffusé sur France 2 en 2010 et consacrée à Madame Claude.
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Ambre, une ancienne fille de Madame Claude, rapporte ses paroles de l’époque : “Il fallait vraiment avoir l’air de filles de bonne famille, ne surtout pas être vulgaire parce que ça voulait dire basse classe, c’est-à-dire la prostitution de la rue”
Une prostitution haut de gamme dont les tarifs sont très élevés pour l’époque : entre 1 000 et 1 500 francs pour une demi-heure ou une heure et 15 000 francs pour une nuit en moyenne. Sur chaque passe, Madame Claude prend 30%. En quelques années, elle devient ainsi millionnaire.
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Madame Claude vend du rêve à ses employées : la promesse de faire un beau mariage. Car ses clients fortunés et prévenants font voyager les filles en première classe, les logent dans des palaces et les sortent en yacht. De son côté, Madame Claude les habille chez les plus grands couturiers, leur paie des dessous raffinés et coûteux. “C’était comme des vacances […] une façon festive de se prostituer” explique Ambre. Elle se souvient aussi :
Il y avait une fille très très belle mais très très très pauvre. Elle avait sa beauté, c’est tout. Elle était prête à faire n’importe quoi pour de l’argent. Et cette fille a eu un succès extraordinaire, elle s’est mariée avec un richissime arabe et elle est devenue multimilliardaire.
On raconte même que l’une d’entre elle est devenue marquise. “J’ai rendu le vice joli”, se plaisait à dire Madame Claude.
Un carnet d’adresse 5 étoiles
Ces clients riches et attentionnés sont des rois et des princes mais aussi des politiques, des chefs d’Etat, des diplomates, des chefs d’entreprises ou des hommes de la jet set. Parmi ces hommes célèbres (dont les identités restent à ce jour mystérieuses), ont compterait John Kennedy, le Shah d’Iran, le PDG de Fiat en Italie et plusieurs hommes d’Etats africains.
Les femmes étaient envoyées comme “cadeau” par des entreprises à leurs futurs clients pour les encourager à signer de gros contrats. Ainsi, Madame Claude s’introduisit grâce à ses filles dans le monde du show business, de la politique et des affaires et devient une femme d’influence et de réseau, comme l’explique “Un jour, un destin”.
Soumission, humiliation et amour de l’argent : l’envers du décor
Misogyne, antiféministe, autoritaire, obsédée par l’argent, colérique, dénuée de sentiments, détestant les hommes, les femmes et le sexe… La personnalité obscure de Madame Claude a de quoi susciter la controverse.
Ceux qui l’on côtoyée décrivent sa soif de pouvoir et une femme humiliante envers ses protégées, libres certes mais sur lesquelles elle a l’ascendant. Elle remodèle ses créatures par le recours fréquent à la chirurgie esthétique dont elle banalise l’usage, ce qui n’allait pas de soi dans les années 60.
Elle avait aussi recours à des “essayeurs” : des amis hauts placés (hommes de lettres, éditeurs, banquiers, reporters, chanteurs…) dont la tâche était de “tester” la “qualité” (comprendre la performance sexuelle) des demoiselles puis de rédiger des fiches techniques sur chacune. Elle formate ces filles “bêtes” qu’elle éduque et qu’elle soumet en contrôlant le physique, la tenue, et l’instruction. Loin d’être philanthrope elle dirige un business d’une main de fer qui doit être le plus rentable possible.
Derrière cette vie faussement idéale et sans contraintes, la liberté s’achète. Une fille qui veut récupérer sa liberté doit payer le manque à gagner. Parfois ce sont les hommes qui auraient racheté leur future épouse.
Madame Claude aka “Violette”, l’agent des services secrets
Tout au long des années 60 et jusqu’aux années 70, le business lucratif de Madame Claude prospère. Lorsque dans une interview télévisée un journaliste lui demande si elle se sentait intouchable, elle répond : “Je ne me sentais pas, je l’étais. Il faut aller très haut si on veut être protégé bien et longtemps.”
Grâce à son sulfureux business, Madame Claude serait donc l’informatrice – ce qu’elle a toujours démenti – de la police et notamment de la brigade mondaine. Afin d’échapper à la justice et au fisc, elle achète ainsi sa protection en fournissant les noms de ses nombreux clients hauts placés et leurs “travers” sexuels. Des centaines de personnes dont les pratiques les plus intimes auraient été fichées pour remonter jusqu’au sommet de l’Etat.
De plus en plus influente, Madame Claude devient Violette, un agent des services secrets français. Aux grandes heures de la Françafrique, elle met ses filles dans les bras des hauts fonctionnaires et chefs d’Etat africains, tirant profit de la fameuse technique de la confession sur l’oreiller. Ses prostituées de luxe deviennent des pions sur l’échiquier de la politique étrangère française, que l’on envoie en mission en Afrique et dont les services de renseignement français débriefent les coucheries.
Au milieu des années 70, le Président tchadien François Tombalbaye en fait les frais. Confiant à l’une d’entre elles qu’il s’apprête à “lâcher” la France, il est peu de temps après victime d’un coup d’Etat dans laquelle il perd la vie.
Un jeu dangereux donc. Plusieurs filles auraient ainsi disparu sans laisser de trace, quand d’autres ont été retrouvées mortes dans les bras de leurs clients. Leurs dossiers ont été classés sans enquête : c’est la raison d’Etat.
De la fuite aux Etats-Unis aux années de prison en France
Pour la mère maquerelle protégée sous Pompidou, le vent tourne sous Giscard. Rattrapée par la justice et les impôts, ses ennuis commencent en 1972 lorsque le fisc lui réclame 11 millions de francs (1,7 millions d’euros).
La chute s’accélère lorsque le nouveau président élu en 1974 fait le ménage. Ses protecteurs ne sont plus à des postes de pouvoir : la protégée se fait lâcher. Son influence décroît lorsque la politique de répression remplace celle du renseignement et avec la libération des mœurs, les pratiques sexuelles des uns et des autres deviennent obsolètes.
Condamnée à 10 mois de prison avec sursis pour fraude fiscale, elle s’exile à Los Angeles où elle épouse un jeune barman homosexuel de 30 ans son cadet pour obtenir la Green Card. Rattrapée par l’immigration huit ans plus tard, elle est extradée vers la France où le fisc ne l’a pas oubliée. A 62 ans elle est incarcérée pendant 4 mois. En prison, elle se balade en manteau de vison dans sa cellule.
Un exil américain et une tentative de retour dans le circuit du proxénétisme relaté dans le documentaire “Un jour Un destin” :
Des secrets jamais percés
Beaucoup de zones d’ombre subsistent tant sur la personnalité de Fernande Grudet que sur ses activités, ses protecteurs et ses célèbres clients. Car ses forces étaient du dire de tous son silence et sa discrétion. Difficile aujourd’hui pour le commun des mortels de connaître les noms de ces centaines d’hommes de son cercle qu’elle consignait pourtant dans un célèbre carnet noir.
Selon l’hebdomadaire Le Point qui décrit une femme isolée, elle vivait ses dernières années recluse avec une modeste retraite dans un petit appartement du Midi. Elle s’est éteinte à l’hôpital de Nice le 19 décembre à l’âge de 92 ans, emportant avec elle bon nombre de secrets.
Pour aller plus loin :
Documentaire : Un jour , Un destin “Sexe, mensonges et Secrets d’Etat” disponible en 5 Parties sur Dailymotion
Film : Madame Claude de Just Jaeckin sorti en 1977
Livre : Les filles de Madame Claude d’Elizabeth Antébi et Anne Florentin, Stock-Julliard, France-Loisir, Livre de Poche, 1974.