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Si Lomepal avait déjà élargi les frontières du rap bleu blanc rouge avec Flip, il les repousse un peu plus avec son second album Jeannine, disponible ce vendredi 7 décembre. Un opus sur lequel l’artiste du 13e arrondissement – véritable accélérateur de particules pour le hip-hop céfran – embrasse la variet’ et la pop (comme en atteste “Cinq doigts” avec Philippe Katerine), se tournant davantage vers le chant que vers les kicks puissants des débuts.
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Sur des superbes prod’ (que l’on doit à Mohave, Pierrick Devin, Stwo, Superpoze, Vladimir Cauchemar et VM The Don), Antoine réactive ses connexions avec la Belgique (“1000°C” avec Roméo Elvis, “X-Men” avec JeanJass) et donne le ton dès son premier morceau (“Ne me ramène pas”). Dans un album moins phallocentré et égotripique que le précédent, Lomepal expose sa complexité, entre une sensibilité exacerbée et une nonchalance parfois déconcertante.
Très chanté – avec un beau grain de voix, l’album recèle ainsi de morceaux très intimistes (“Le vrai moi”, “Évidemment”, “Plus de larmes”) et lève le voile sur la période pleine de doutes existentiels que traverse Lomepal, désormais âgé de 26 ans. Mais pour affronter les problèmes d’une époque charnière, une seule option : la déraison et l’insouciance familiale héritée de sa grand-mère Jeannine (“Beau la folie”).
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Konbini | Hello Lomepal ! Tu n’as pas vraiment arrêté depuis la sortie de Flip.
Lomepal | Non vraiment pas, effectivement. Après, ça va encore, il y a des mecs bien plus productifs que moi.
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Avec Jeannine, tu es encore plus vers la variet’, comme en témoignent certaines de tes dernières collaborations (L’Impératrice, Alt-J). Tu veux t’adresser encore plus qu’avant à un nouveau public ?
Oui, parce que j’essaie de faire des choses que je n’avais pas faites avant justement. Je veux toujours faire des trucs que je n’ai jamais essayés. Au bout d’un moment, j’ai fait tellement de rap que je voulais faire autre chose. C’est toujours un défi de sortir de sa zone de confort. D’essayer de faire un morceau intéressant avec un autre genre de son.
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Finalement, le rap c’est un milieu assez conservateur, et toi t’es arrivé avec un discours assez différent. T’aimes ce profil de mec qui “casse les codes”, sans tomber dans les stéréotypes ?
Je suis carrément activiste là-dedans (rires). Je déteste ça, “les codes”. Il faut bouleverser, choquer les fans de rap et encore plus ceux qui n’aiment pas le rap, qui le réduisent à ci ou ça. Je pense que je vais gagner en les faisant aimer ma musique. Même si je me trompe peut-être. J’ai compris ça il y a longtemps, et j’y crois, il n’y a jamais de règle. Il ne faut jamais avoir d’a priori, jamais d’acquis. Tout n’est qu’un éternel recommencement d’une équation nouvelle. Le rap a encore plein de codes qu’il faut casser.
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Tu aimes la musique populaire ?
Je trouve ça extrêmement beau la musique populaire. De vouloir dépasser le petit cercle qu’on avait. Avant, on rappait pour nous et les gens autour de nous. Là, on essaie carrément de s’ouvrir. J’ai un besoin de connexion avec le public, de l’élargir au maximum. Sans faire de concession pour autant, à aucun moment cela va empiéter sur la qualité de ma musique. Je ne vais jamais essayer de faire des compromis. Mais faire un truc que j’aime et que ça parle au maximum de gens, c’est mon projet dans la vie. Pour moi, la carrière musicale se traduit avec les projets artistiques et l’influence que ça a.
J’ai vu qu’il y avait pas mal de (beau) monde à la prod’. Ça n’a pas été trop compliqué de trouver une fluidité sur l’album avec des personnes différentes ?
En l’occurrence, tout le monde se connaissait et s’inspirait les uns des autres. Quand on est partis à Rome en janvier (Vladimir Cauchemar nous a rejoints après sur le projet), on connaissait tous la patte de chacun. Pour Jeannine, on agissait tous en fonction des autres. Je trouve ça super bien, ça permet de faire un album cohérent. Si je fais un album plus tard, j’espère qu’il aura une autre couleur et un autre son. Parce que là, quel que soit le morceau de l’album, on reconnaît Jeannine.
Tu voulais éviter de faire un Flip 2.0 ?
C’était ça l’objectif, je ne voulais pas du tout que cela ressemble à Flip. C’est un truc que je me suis imposé et que j’ai dit à tout le monde. C’était la plus grande peur que j’avais. Bien sûr, le premier truc que j’ai eu dans la tête en retournant en studio en janvier, même si je ne me l’avouais pas trop, en écoutant les instru, c’était genre : “ah yes là j’ai mon ‘Yeux disent’ 2, là j’ai mon ‘Bécane’ 2, là il me faudrait peut-être un morceau un peu comme ‘Ray Liotta’.” Comme si, vu qu’il y avait eu un succès, j’avais une bonne recette et qu’il fallait la respecter. Mais à un moment, je me suis dit “oh là là, qu’est-ce que je suis en train de faire ?” J’ai jeté toutes ces idées-là, et j’ai essayé de repartir de zéro. C’est là où c’est beaucoup plus intéressant, même si c’était plus risqué. Je n’avais pas envie d’avoir un deuxième album qui soit la suite du premier. Je n’aurais peut-être pas réussi à le faire aussi bien en plus.
Jeannine, c’est le prénom de ta grand-mère. Pourquoi ce choix ?
Initialement, c’était juste pour chercher une ligne directrice dans l’album. Je voulais parler de la liberté que j’avais dans tout ce que je voulais faire, que je ne me soucie pas du regard des autres, etc. Des trucs tout simples comme ça. En concert, je faisais en sorte de bousculer les gens, qu’ils deviennent complètement fous. Je leur disais “C’est beau la folie ! C’est beau quand vous êtes fous ! N’ayez pas peur des autres !” Et je voyais que cette phrase marchait, que c’était un symbole de liberté.
Comment tu décrirais ce projet ?
Je pense que je fais du rap décomplexé – c’est assez moche comme mot, mais c’est la meilleure définition de ce que je peux faire. Je vais parler de mes souffrances, de trucs intimes, les trucs honteux, des choses que plein de gens ne peuvent pas exprimer par pudeur. Aujourd’hui, grâce à la musique, j’ai réussi à atteindre une vie où je n’ai aucun tabou et aucun secret quasiment. C’était vraiment ça que je voulais mettre en avant dans Jeannine.
Ma grand-mère, qui était complètement folle, était très décomplexée sur plein de choses. Bien sûr, il y avait plein d’autres aspects beaucoup plus sombres. Mais c’était toute une folie. Elle arrivait à convaincre des gens de faire des choses complètement immenses. Elle a fait le tour du monde. Elle a remué toute l’Inde pour faire des soupes populaires, pieds nus. Elle pensait que tout était une épreuve, que Dieu était avec elle et qu’il fallait qu’elle sauve le monde. Ce que je veux dire, c’est qu’on est à un degré d’autopersuasion incroyable. Elle arrivait à se convaincre de certaines choses, elle y croyait et elle allait jusqu’au bout.
Comme lorsqu’elle suit le soleil…
Oui, voilà, exactement. C’est très poétique, parfois, la folie.
Pourtant, elle n’est pas omniprésente sur l’album.
C’était une partie que je voulais montrer. “La Liberté belle”, c’est que rien ne la rattachait à quoi que ce soit. Elle déménageait du jour au lendemain, elle partait faire des grands voyages et tout. J’ai toujours eu une fascination pour ça. Je voulais utiliser le beau côté de la folie pour traiter l’album, mais il ne représente pas la folie en elle-même. C’est hyper large comme thème, il y a plein de façons d’en parler. Ma grand-mère, c’est un peu l’égérie de mon disque, sans être le thème. Je ne voulais pas d’un album concept.
Sur le morceau d’introduction “Ne me ramène pas”, tu dis : “ma grand-mère était folle, et elle m’a transmis son pouvoir”.
Oui, c’est une image. Je parle surtout de quand je suis en concert, je rentre en transe et je perds complètement le recul de tout. Tu deviens littéralement fou, pendant quelques secondes, quelques minutes. Ma petite sœur qui est comédienne, m’a raconté qu’elle avait ça elle aussi. Quand elle est au théâtre et qu’elle joue, elle ressent ça aussi parfois. C’est encore plus dur après de retourner dans la réalité. Ma sœur a ça, moi j’ai ça, j’ai déjà vu ma mère avoir ça — beaucoup plus fort que ma sœur et moi. J’aime bien fantasmer sur cette théorie : “ma grand-mère était complètement folle, ma mère l’est à moitié, et nous on est un quart”. C’est ça l’image que je voulais récupérer de cet héritage, qui n’est pas forcément négatif.
T’es devenu une sorte de rock star maintenant.
J’aimerais bien. J’essaie de tout donner, d’avoir cette mentalité de rock star. Je sais pas si je l’ai, mais je pense que je m’en rapproche. Je casse mon corps, je me fais du mal pour tout donner. Plus rien ne fonctionne à la fin du concert, c’est malsain. Mais c’est ce truc-là que j’aime chez les rock stars, quand tu dépasses les limites de ce que tu es censé faire. J’ai l’impression que c’est la plus belle chose possible, et c’est là où j’arrive à rentrer en transe.
Sur “Beau la folie”, tu dis : “Trois sœurs pas de frères, heureusement dieu a créé les amis.” T’as une histoire assez tumultueuse avec ta famille ?
C’est très compliqué. À partir de mes 7/8 ans, j’ai grandi avec mes deux sœurs. Mon père a eu une autre fille après, une demi-sœur (ma troisième donc), que j’ai connue beaucoup plus tard. Avec mes deux sœurs et ma mère, on a eu beaucoup de problèmes de famille à ce moment-là. Finalement, ma grande sœur est partie, donc j’étais uniquement avec ma petite sœur et ma mère pendant très longtemps. C’est là où il a fallu surmonter tout, et se battre fort.
T’as 26 ans et à l’écoute de l’album, on dirait que tu traverses ta crise du quart de vie. C’est le sentiment que t’as ?
Je tourne un chapitre là, c’est sûr. Cela se traduit en questions, tu ne sais plus ce que t’aimes. C’est une remise en question constante, “qu’est-ce que c’est que le bonheur ?”, “comment je me vois vraiment vivre le reste de ma vie ?”, “qu’est-ce que j’ai envie de faire ?” Maintenant il y a un paramètre en plus par rapport à quand j’étais plus jeune – où j’étais persuadé que j’allais devenir riche, connu et exceller dans quelque chose. Aujourd’hui je commence à avoir tous ces trucs que je voulais avoir. Je commence l’album avec cette phrase d’ailleurs, qui est hyper importante pour moi : “Ça y est, j’ai enfin eu tout ce que je voulais.”
C’est vrai que c’est un moment où tu dois te poser et réfléchir quand t’as atteint un objectif comme ça. Toute ma vie j’ai voulu avoir de la reconnaissance dans quelque chose et me stabiliser, avoir une sécurité pour les années à venir. Et là j’arrive à un moment où j’ai tout ça à la fois qui me tombe dessus, et à un degré bien plus important que ce que je pouvais imaginer. Maintenant je dois réfléchir à tout ce que je vais faire.
Quand on écoute “Évidemment”, on dirait que t’en as bavé avant… Il était comment l’ancien Antoine ?
Manque de confiance, beaucoup de manque de confiance. Avec à la fois cette assurance que j’allais être quelqu’un. Je n’avais juste pas encore réussi à le montrer. Le rejet des autres aussi. J’ai beaucoup été rejeté par plein de potes, sans même qu’ils ne s’en rendent compte. Les enfants sont hyper cruels. Il y a eu beaucoup de moments où j’étais plus jeune, plus faible, plus émotionnel, plus angoissé. Quand t’es jeune, c’est des choses importantes. Maintenant j’arrive à vivre tout à fait normalement, et ça me rend moins faible justement. J’étais mal dans ma peau. Petit à petit j’ai réussi à trouver une confiance, via la musique, via le skate, etc.
Est-ce que la solitude a une importance dans ton travail ? Ça peut être davantage un ressenti émotionnel qu’un isolement physique…
Oui voilà c’est ça. Je me suis habitué en fait. C’est ce que je dis dans le premier morceau : “j’ai enfin accepté que ça ne changera jamais”. Quand t’es petit, tu te dis que c’est peut-être parce que je vis ça ou ça. Puis au bout d’un moment tu te rends compte que la vie est heureuse malgré cette sensation. Mais il y a un vide, une sensation de solitude qui ne sera jamais comblée. Un truc qui vient de l’enfance, j’en sais rien. Il n’y a pas d’espoir là-dedans, mais c’est pas grave, il faut juste l’accepter. Ça m’a fait beaucoup de bien de m’en rendre compte : aujourd’hui tout ce que je veux je l’ai, sauf ça. Il y a des choses qu’on ne pourra jamais avoir. Ça m’aide beaucoup à écrire. “Comment ça se fait que je sois tout le temps avec des gens, alors que quand j’écris je parle comme si j’étais tout seul ?” Je le ressens comme ça.
“Le vrai moi”, c’est un morceau fort de l’album. Pourquoi avoir choisi cet exercice de style intimiste ?
Je me suis inspiré de plein de choses que j’ai vécues. Je ne pensais pas à quelqu’un en particulier. Pour “Le vrai moi”, j’imaginais un junkie qui mourrait dans les bras de sa copine et qui la remerciait de ce qu’il était vraiment grâce à elle. Je trouve ça hyper beau cette forme d’égocentrisme par le biais d’autrui. C’est complètement paradoxal. “C’est grâce à toi que j’arrive à voir qui je suis.” J’ai cherché à exprimer cette phrase-là, et puis après ça a dérivé. Je me suis dit qu’un junkie ça pouvait être une métaphore de la souffrance. J’imaginais vraiment une fille dont je ne voyais pas le visage qui me tenait la main. Elle a un genou à côté de moi, et je suis allongé sur le sol, et je vais mourir quoi. Je sais qu’une fois que je serai mort, elle va enlever sa main et elle va partir. Mais j’essaie de ne pas y penser et profiter de ce moment.
Tarantino, souvent, il écrit des biographies de ses personnages pour ses films. Il écrit tout, et il y a plein de choses qu’on ne sait jamais. Par exemple, il va dire que tel personnage déteste le bacon. Fondamentalement, on s’en fout puisqu’on le saura jamais. Mais après, quand il fait jouer ses personnages, il les connaît vraiment. C’est une façon de faire que j’essaie de reproduire pour mes chansons. Là, ce truc de la main, je le dis à aucun moment dans le texte. Mais c’est comme ça que je voyais la scène, et je m’imaginais ce que je voulais dire. Je voulais arrêter le temps sur ce moment. Les grains du sablier se coincent. En mourant main dans la main avec elle, je pouvais rester avec elle pour l’éternité.
Juste après, il y a un interlude puis le titre “La Vérité” avec Orelsan, qui est dans un rythme et un thème totalement différents. Tu ne craignais pas que cela arrive un peu comme un cheveu sur la soupe ?
Je vois ce que tu veux dire, je le ressens un peu comme ça aussi. Il n’y a pas de lien, l’idée c’était juste de faire une pause bête et méchante et j’en suis content. Je me dis que ça fait du bien d’être sur un sujet qui n’est pas du tout ma vie ou mes émotions, mais d’être sur un truc super léger, avec Orelsan qui fait un couplet d’egotrip. Je trouvais que ça faisait du bien. Musicalement, je voulais un morceau un peu vulgaire. Il faut expérimenter, c’est souvent hyper intéressant. De toute façon, tu ne perds jamais à essayer des trucs comme ça.
On te disait pas “la vérité” quand t’as commencé ta carrière ?
Ah si, moi on me l’a dite. Justement, j’ai eu la chance d’être entouré des bonnes personnes, qui ont été particulièrement cruelles avec moi (rires). C’est une très bonne chose. Je suis même sorti avec une fille pendant quatre ans qui était très franche. Parfois, ça me faisait beaucoup de mal.
Comment ça s’est passé la collab’ avec Philippe Katerine pour “Cinq doigts” ? Comment tu t’es dit qu’un artiste aussi singulier pourrait coller à ton univers ?
C’était prévu depuis le début. On s’est rencontrés un peu avant à Planète Rap (voir la géniale vidéo ci-dessous), on s’entendait bien. Lui écoutait ce que je faisais, et moi je connaissais déjà ce qu’il faisait. Suite à ça, c’était quasiment automatique : j’allais faire un morceau pour son album et il allait en faire un pour le mien. C’est peut-être le premier truc qui a été prévu pour cet album. Je lui ai dit qu’on allait faire un morceau sur les amis, et lui a écrit un refrain là-dessus super.
T’as fait un album avec Caballero en 2012, t’as posé sur le premier album de Senamo notamment, et sur Jeannine il y a un feat avec JeanJass et un avec Roméo Elvis. En fait t’as des origines belges ?
Caba, je l’ai rencontré en 2011 par hasard. Avec des mecs de L’Entourage et une grosse communauté de rappeurs, on était ensemble tout le temps. Et on avait une grosse fascination pour la capitale des cousins. J’étais vraiment fan de lui, et on a créé contact sur Internet. Moi j’avais un fantasme à cette époque-là : j’avais très envie de faire un duo. Je me sentais très seul dans la musique. J’avais été laissé de côté un peu par L’Entourage et tous ces mecs-là qui étaient des rappeurs bien plus affirmés que moi – c’est cruel mais c’est normal hein. J’osais pas lui avouer, on se disait juste “on fait un morceau ensemble”, et après je lui ai proposé un petit projet ensemble, genre cinq titres.
En plus du fait qu’on s’entendait bien, lui voyait un intérêt super cool à rapper avec moi, ça lui ouvrait les portes de Paris. Et finalement on a fait ça : un projet de dix titres qui a donné Le Singe fume sa cigarette. Puis on a fait une tournée en Belgique, avec tous ses potes belges. Moi j’allais tout le temps là-bas. On m’a accueilli comme si c’était ma deuxième famille. Je devais aller à Bruxelles une fois par semaine minimum à cette époque-là.
C’est un projet qui est revenu à la mode pourtant.
Le Singe fume sa cigarette ?!
Oui !
P*tain, c’est ouf. Pourtant je trouve qu’il a mal vieilli. C’est un projet qui a permis d’unifier Bruxelles et Paris. On l’a fait comme un truc important, mais très vite on a chacun eu nos projets en solo. Pour moi, mon premier projet abouti, ça a été Cette Foutue Perle.
Tu as fait partie de la “hype” autour du rap belge sans être belge.
Oui, parce que c’était que des mecs avec qui je traînais. À part Damso et Hamza. Eux, ils ont explosé en étant casanier. Ils avaient énormément travaillé, mais de leur côté. On ne les connaissait pas dans les soirées. Alors que tout le reste, on était une grosse communauté là-bas entre Liège, Charleroi, Bruxelles, Namur. Il y avait des rappeurs partout et on se retrouvait tout le temps.
Tu as senti arriver le succès pour cette génération-là ?
Non, pas du tout. J’étais assez pessimiste même. Par rapport à moi-même et à ce qu’on faisait. Je voyais durant des concerts qu’on faisait quelque chose de trop pointu. Je me rendais bien compte qu’on faisait un truc de rappeurs, pour les rappeurs. On était nos plus grands fans, et je savais que ça ne pouvait pas aller très loin. On idéalisait les années 1990, mais le hit n’était plus là-dedans. On avait raté ces années-là. Les années 2010, il a fallu prouver qu’on respectait les codes, qu’on les avait appris, qu’on rappait bien mais qu’on amenait quelque chose en plus. Je me suis intéressé au refrain, à la trap. J’ai été un des premiers à passer au rythme plus lent. Il y avait Espiiem qui le faisait déjà – avant moi d’ailleurs et aussi 2Fingz, Nepal, Balastik Dogg et la Sexion d’Assaut. La plupart étaient dans du rap genre 90 bpm ou Dirty South à 80 bpm sur lequel tu rappais lentement.
J’ai commencé à écrire des textes – très laborieux, c’était pas ouf – pour rapper vite, avec des roulements. On arrivait dans un nouveau monde. C’était facile de contrôler sa petite surface, mais là on ouvrait les bpm et on ouvrait la porte à tout. C’est là que j’ai commencé à faire des refrains, à chanter. Je savais que c’était par là qu’on allait réussir à créer quelque chose de plus générationnel et à s’ouvrir à la pop. On est arrivés derrière, il fallait qu’on ait un truc en plus.
Il y a encore un feat avec Roméo Elvis sur Jeannine. L’album commun, ça en est où ?
Avant Flip, en 2016, je suis parti à Bruxelles. Avec Roméo, on est devenus amis avant l’été. Il a fait ma première partie à ce moment-là, et j’ai capté qu’il était trop fort. On a fait notre premier morceau ensemble fin août. On a même fait un clip pour ce morceau qui finalement n’est jamais sorti, mais s’est retrouvé dans Flip. C’est le morceau “Caché” [la deuxième partie du titre “Billet”, ndlr]. Après ça, on s’est dit qu’il fallait faire un projet commun. Lui était chaud, moi aussi, et je suis parti à Bruxelles pour le faire. Moi en réalité, à ce moment-là, je fuyais de fou mon album solo, j’avais encore très peur de le faire. Je me rassurais en faisant un dernier projet – d’ailleurs j’avais fait ODSL comme ça en voulant retarder l’échéance.
À Bruxelles, on a écrit plein de morceaux ensemble – des trucs chouettes en plus. Ensuite, Roméo s’est mis d’accord avec son management et son entourage : il fallait d’abord qu’il sorte Morale 2. Moi je lui ai dit : “si tu fais Morale 2, je ne pourrai pas attendre pour faire mon album solo”. Il y a eu un moment où un choix s’est présenté à nous, et c’est tant mieux comme ça. Heureusement qu’on les a faits même, puisque ce sont deux projets qui nous ont fait marcher. Moi j’ai récupéré des morceaux dans mon album Flip, j’ai récupéré des couplets que j’ai changés. J’ai gardé “Billet” qui est issu de cette cession-là aussi, il y a quelques titres qui sont morts, et d’autres qui sont trop vieux. Donc peut-être qu’on fera un projet commun un jour, mais pas avec ces morceaux-là en tout cas. On a fait le choix de penser d’abord à nos carrières respectives.