Le 23 avril, le tribunal des référés de Bordeaux a rendu une ordonnance contre 206 personnes, regroupées en associations, qui refusaient de laisser l’entreprise Enedis installer le nouveau compteur électrique intelligent Linky dans leurs maisons. Selon les requérants, l’installation du compteur présentait un risque pour leur santé, pour leur vie privée – Linky permettant de surveiller en direct l’évolution de votre consommation électrique –, voire pour leur sécurité domestique, le compteur ayant été accusé de favoriser les départs de feu.
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Sur les 206 personnes souhaitant refuser l’installation du compteur (Enedis ne vous laisse normalement pas le choix), 193 ont été déboutées par les magistrats. La décision du juge, obtenue par LCI, stipule que “dans la mesure où les arguments avancés pour soutenir l’existence d’un trouble manifestement illicite, ou d’un dommage imminent, ont été écartés, les demandeurs n’établissent pas l’existence d’une urgence. Ils n’établissent pas davantage leur intérêt légitime à obtenir les renseignements demandés, alors que le compteur ‘Linky’ a déjà fait l’objet d’études techniques très détaillées, tant dans le cadre de sa certification que postérieurement”. Les requérants déboutés devront rembourser leurs frais de justice, tout rentre dans l’ordre, affaire classée.
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Maux de têtes, insomnies : la faute à Linky
Enfin, pas tout à fait. Si 193 personnes ont été déboutées, 13 ont en revanche obtenu une décision de justice en leur faveur. Qui sont ces 13 personnes pour lesquelles le juge a reconnu la dangerosité du compteur Linky ? Des individus capables de prouver, certificat médical à l’appui, que les ondes émises par leur compteur électrique leur causaient maux de tête et insomnies, au nom d’une “hypersensibilité aux ondes”.
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Selon le juge, ces plaignants souffrent “d’un trouble manifestement illicite par manquement d’un principe de précaution”. Lequel ? Leur compteur Linky aurait été installé sans “la pose d’un dispositif filtre les protégeant des champs électromagnétiques”. En toute logique, Enedis a donc été condamné à poser lesdits filtres dans les deux mois, sans quoi l’entreprise devra s’acquitter d’une amende de 50 euros par jour de manquement. L’entreprise a prévu de faire appel de la décision, indique l’AFP.
Maladie invisible, filtre qui n’existe pas
En effet, deux aspects de cette affaire sont problématiques. Premièrement, d’un strict point de vue médical, l’électrosensibilité dont se réclament ces personnes n’existe pas. Dans un rapport paru en mars 2018, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), après lecture de “l’ensemble de la littérature scientifique disponible” et consultation des médecins de différentes spécialités, concluait qu'”aucune preuve expérimentale solide ne permet actuellement d’établir un lien de causalité entre l’exposition aux champs électromagnétiques et les symptômes”, décrits par les “électrosensibles” autoproclamés.
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En l’état actuel de nos connaissances, qui méritent évidemment d’être étoffées par de la recherche, cette maladie n’existe pas (même si les symptômes, eux, sont indéniables sur les personnes touchées) en tant que telle. Elle pourrait en revanche avoir une origine psychosomatique, comme le rappelle Numerama.
Deuxièmement, ce fameux “filtre anti-ondes” qu’Enedis devrait livrer chez les “malades” par “principe de précaution” n’existe pas non plus à notre connaissance. À première vue, Enedis pourrait décider de relier l’appareil à la terre ou d’envelopper le compteur dans une housse de protection composée de fibres métalliques, qui imite le fonctionnement d’une cage de Faraday (un type de structure qui bloque les ondes, raison pour laquelle dans les films, certains personnages mettent leurs téléphones portables dans des micro-ondes pour s’assurer de ne pas être écoutés, même si ça ne fonctionne pas systématiquement). Peu importe la décision retenue, rien n’indique qu’elle permettra aux “malades” de se sentir mieux.
22 jugements depuis 2015
La décision du tribunal de Bordeaux doit donc inciter à la prudence et à la circonspection. En tant que décision du tribunal des référés, ces mesures sont des mesures d’urgence et ne feront pas jurisprudence pour les questions liées à Linky à l’avenir, ce qui explique probablement pourquoi le juge a intercédé en la faveur de certains requérants sur la foi d’un simple certificat médical malgré l’absence de preuves concluantes de nocivité des ondes électromagnétiques.
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Il n’est d’ailleurs pas le premier : le mois dernier, le juge des référés du tribunal de grande instance (TGI) de Toulouse donnait raison à 13 autres “électrosensibles” en leur permettant de refuser l’installation du compteur honni sur la foi de certificats médicaux similaires. Le 24 avril, relate Franceinfo, une étudiante varoise a assigné Enedis en justice pour les mêmes raisons. Depuis 2015, rappelle LCI, 22 tribunaux français ont été saisis pour protester contre le déploiement de ce compteur, accusé d’à peu près tous les maux allant de la santé à la vie privée et la sécurité. L’immense majorité des plaignants a été déboutée.