Pour l’industrie de la lingerie, le nude ne représente qu’une couleur : celle de la peau blanche. Les femmes noires et métisses, à défaut de trouver des teintes qui correspondent à leur carnation, font souvent l’impasse sur ce genre de sous-vêtements.
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La teinte “nude”, en lingerie, fait des miracles : elle rend le soutien-gorge invisible sous les T-shirts clairs, et s’accorde parfaitement avec une jupe ou un pantalon blanc. Le problème c’est que pour une majorité de fabricants de sous-vêtements, il n’existe qu’une seule et unique couleur nude : du beige légèrement rosé, qui ne convient qu’aux peaux blanches. Le nude, qui signifie “nu” en anglais, est censé correspondre le plus possible aux nuances de la peau. Mais la couleur chair des soutiens-gorge et culottes destinée aux femmes blanches ne convient évidemment pas aux femmes noires et métisses.
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Le problème pourrait être résolu simplement : confectionner des produits adaptés à la couleur de la peau des femmes non-blanches. Sauf qu’ils sont introuvables dans les grandes enseignes, ou alors extrêmement rares.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, les grandes lignes de lingerie ne proposent aucune diversité de teintes dites “nude”. Émilie, une étudiante franco-ivoirienne en cinquième année à Sciences Po Bordeaux et âgée de 23 ans, décrit sa situation :
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“On n’en trouve pas ni à Etam, ni à RougeGorge, ni à Undiz ou dans toute autre enseigne connue de lingerie en France. Des marques américaines se sont spécialisées dans les nudes pour les peaux métisses et noires.”
Sur le site de Dim, dans la catégorie soutien-gorge, aucune couleur autre que le beige n’est proposée en nude.
Il faut effectivement chercher du côté des marques indépendantes outre-Atlantique. Deux entreprises américaines ont particulièrement attiré l’attention sur Internet, à savoir Naja et Nubian Skin. Le site Racked consacre un long article sur la galère des femmes noires et métisses à se procurer des sous-vêtements aux teintes naturelles qui pourraient leur convenir. Catalina Girald, fondatrice de Naja, pointe du doigt le manque de diversité des couleurs “nude” dans les collections de Victoria’s Secret :
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“Il n’y a aucune raison que Victoria’s Secret ne fasse pas de nude [pour les peaux non-blanches]. Ils ont déjà un tas de modèles. S’ils peuvent appliquer leur signature ‘super sexy’ à des soutiens-gorge d’une multitude de couleurs différentes — rouge, jaune, bleu — ils peuvent aussi faire sept différentes nuances naturelles. Apparemment, ils ont choisi de ne pas le faire.”
C’est souvent vers ces deux sociétés, lancées très récemment, que les Françaises et Européennes francophones non-blanches se tournent, en général. Cependant, elles sont obligées de commander en ligne, ce qui s’avère contraignant pour certaines, comme Léonie, âgée de 23 ans et née en Suisse :
“J’ai découvert le site Nubian Skin mais je n’ai encore jamais commandé, parce que j’adore toucher la lingerie avant d’en acheter. Ma perle rare doit se cacher là-bas probablement.”
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D’autres, dont Émilie, ont abandonné l’idée de passer commande en ligne, par souci financier :
“Si vraiment j’ai envie de me faire plaisir, je vais m’acheter un ensemble chez Nubian Skin, mais ce n’est pas donné ! C’est injuste parce qu’on doit payer plus cher, les frais de port compris…”
Du coup, Émilie se résigne à ne porter que de la couleur ou “à la limite du noir”, exactement comme Clara, jeune étudiante de 20 ans : “Je ne porte jamais de lingerie nude car je ne trouve pas de nuance qui corresponde à ma carnation noire”, explique-t-elle avant d’ajouter : “Je ne cherche même plus à en trouver, en fait.”
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L’an dernier, BuzzFeed faisait essayer des produits “nude” à des filles noires et métisses, pour une vidéo. Résultat : elles étaient toutes d’accord pour dire que les couleurs n’étaient même pas proches du ton de leur peau. L’une d’entre elles pense d’ailleurs que le nude ne devrait pas être une couleur considérée comme similaire à la couleur de la peau, puisqu’elle ne s’accorde qu’avec celle des femmes blanches.
Le système D du soutif’
Confrontée à un tel manque de diversité dans les produits de lingerie féminine nude, Léonie a développé quelques astuces pour en porter malgré tout :
“Je me contente de prendre le nude le plus foncé qui existe à H&M et à Etam, mais ça s’arrête au beige rose foncé. J’essaie de trouver ce qui se rapproche le plus de ma carnation. Les femmes noires, comme les femmes blanches, ont plusieurs variations de teint. Si la peau est très foncée il faut choisir un sous-vêtement brun… Mais même ça, ça reste rare.”
Les filles métisses et noires sont donc contraintes de s’adapter à un marché qui refuse de diversifier ses produits, alors que la demande est réelle.
Racked s’est demandé pourquoi les magasins de lingerie, dont le géant Victoria’s Secret, ne lançaient pas de collections nude pour toutes les peaux. Cora Harrington, créatrice du blog “The Lingerie Addict”, confie à Racked qu’il reste encore un sacré bout de chemin à parcourir :
“L’industrie de la lingerie est encore tellement conservatrice, homogène et si difficile à faire évoluer qu’elle est à la traîne derrière les industries de la beauté et de la mode, en terme de représentation à presque tous les niveaux : des stylistes, aux mannequins jusqu’aux blogueurs.”
Ce n’est pas tant que les multinationales manquent de moyens. La preuve, Racked souligne que les produits de marques indépendantes sont confectionnés par des équipes réduites, d’où des coûts de production et de vente plus élevés. Il est donc possible de fabriquer des sous-vêtements nude adaptées à toutes les peaux.
Le site précise également qu’au vu de son chiffre d’affaires d’un total de 7,2 milliards de dollars en 2014 (6,4 milliards d’euros), Victoria’s Secret pourrait se permettre de prendre des risques. Si une série de soutiens-gorge et de culottes nude pour les femmes noires et métisses en est un, la marque américaine a fait le choix de ne pas le tenter.
Se sentir belle et sexy, quelle que soit sa couleur de peau
Proposer une plus grande diversité de couleurs pour le nude ne faciliterait pas seulement la vie de beaucoup de femmes d’un point de vue purement pratique. Cela s’apparenterait à un véritable signe de reconnaissance. Clara l’affirme, elle se sent “exclue” quand elle se balade dans le rayons “nude” des grandes chaînes de lingerie européennes :
“Les peaux noires sont oubliées du marché et n’ont que peu de choix. Pour la lingerie nude comme pour le maquillage, c’est la même chose. Combien de fois ça m’est arrivé d’aimer un produit et de vouloir le tester, mais qui ne convenait pas à ma teinte ? Pourquoi les personnes noires ne pourraient pas jouir des mêmes plaisirs que les autres, ou alors devraient payer plus cher pour y accéder ?”
Ce sentiment, Émilie et Léonie le connaissent. “Je comprends pas pourquoi on ne nous inclut pas dans le marché de la lingerie à l’international, regrette Léonie. Nous aussi on aime être sexy, à l’aise, belles et coquettes en sous-vêtements, comme toutes les femmes je pense.”