Conséquence des attentats les plus meurtriers de l’histoire de France, l’armée enregistre davantage de demandes de recrutement qu’à l’accoutumée. Quatre jeunes nous expliquent leur désir d’engagement auprès des forces armées.
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Laura, Maxandre, Théo et Benjamin sont tous les quatre Français, plutôt jeunes, et ont un autre point commun : ils envisagent très sérieusement de s’enrôler depuis les attentats de Paris, vendredi 13 novembre. D’ailleurs, ils ne sont pas seuls : selon l’armée, c’est du jamais vu. Contacté par Le Monde, le colonel de Lapresle juge l’engouement “colossal”.
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Jusque-là, hors campagne de publicité, 100 à 150 jeunes en moyenne prenaient contact chaque jour avec l’armée pour s’enrôler. Dès les attentats contre Charlie Hebdo et l’HyperCacher, ce chiffre augmentait déjà pour parvenir à 400… et la semaine dernière, bondir à 1 500 par jour. Même si, évidemment, tous n’ont pas l’étoffe pour accomplir une carrière militaire, l’enthousiasme pour le métier est bien réel.
“J’ai pris conscience que personne n’est à l’abri”
Maxandre réside dans le XVIIe arrondissement parisien. A 17 ans, ce lycéen explique que même si l’ambition de devenir un jour soldat lui avait déjà traversé l’esprit, les attentats de la semaine dernière ont clairement eu un effet déclencheur. Lui veut lutter contre “l’insécurité”, mais aussi “défendre les autres” : “On peut entendre tout le monde proposer des idées meilleures les unes que les autres, mais pour moi la meilleure chose à faire ça reste de se bouger et de se défendre […] Je me suis dit : ‘Merde, je ne peux pas rester les bras croisés'”, estime-t-il.
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Ces mêmes motivations reviennent aussi chez Théo, 18 ans, en licence de Sciences économiques et gestion à Lille. Du haut de ses douze ans de karaté, il affirme n’avoir aucun problème avec “la discipline et le respect” qui sont “à la base des arts martiaux”. Il raconte tout simplement souhaiter “défendre [son] pays”, y compris à l’étranger :
J’ai pris conscience que personne n’est à l’abri et qu’on a besoin de défendre les populations, que ce soit en France ou ailleurs. Pour les défendre, il faut se déployer là où se trouve la menace.
“Ça serait tellement mieux si on avait pas besoin de ce genre de métier”
Laura a 19 ans et habite Aix-en-Provence depuis peu, elle qui vivait avant en région parisienne. “Choquée” par les attentats, indécise dans sa vie professionnelle, elle a vu dans l’armée plus qu’une filière professionnelle, mais carrément une “révélation”. Tout comme les autres, sa volonté de servir est altruiste et désintéressé. A l’entendre, c’est un sale boulot, mais quelqu’un doit bien s’y coller :
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J’ai envie de servir à quelque chose et d’aider les gens […] Mais ça serait tellement mieux si on n’avait pas besoin de ce genre de métier.
Elle poursuit et confie son “admiration” pour les hommes et les femmes qu’elle a vu risquer leur vie parfois en direct, à la télévision, vendredi dernier, impressionnée par leur “courage”.
Benjamin a 22 ans et présente les traits d’un sacré sportif. Etudiant en troisième année Staps éducation et motricité et parallèlement sauveteur en mer, ce Nantais raconte qu’il s’entraîne “six jours sur sept” avec dans le coin de la tête l’idée de rejoindre un corps très particulier des forces armées françaises : “A terme, je voudrais intégrer un peloton d’intervention, au mieux le GIGN, au pire un PSIG [Peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie]”. Ce n’est pas qu’il n’aime pas les études qu’il a entreprises, mais il craint “de regretter de ne pas [s]’engager maintenant”. Il poursuit :
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Je me suis dis que la France avait besoin d’un certain nombre de personnes et en me renseignant de-ci de-là, je suis tombé sur les tests d’entrée du GIGN et des informations sur leur quotidien (l’entraînement, etc.). C’est exactement pour cela que je pense être fait. En plus de cela, il faut rajouter le côté gratifiant de protéger d’autres êtres humains innocents.
“Tuer ? C’est très gênant comme question”
Ces jeunes qui se destinaient parfois à tout autre chose savent que s’ils deviennent un jour soldat, ils auront à porter une arme… et parfois à s’en servir. Pas étonnant qu’ils partagent leur désir de devenir militaire à leur famille, à leurs amis. A 18 ans, les parents de Théo n’y sont pas opposés “mais ils veulent que [je] commence au minimum sous-officiers, pas militaire du rang”. Pas de quoi entacher son envie de s’engager, au contraire : ses amis le soutiennent et certains lui disent même qu’il est “fait pour ça”. “C’est peut être un signe…”, glisse-il.
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Maxandre a suscité davantage de doutes auprès de son entourage. Comme lorsqu’un de ses amis lui a demandé s’il “voulait tuer”, une question avec laquelle il avoue se sentir encore mal à l’aise : “Ca, c’est très gênant comme question, donc j’évite d’en parler.” En famille, il compte sur ses beaux-parents (un ancien pompier et une réfugiée de guerre) pour faire “passer la pilule” au dîner, où les conversations sont parfois “houleuses”, du fait du sentiment anti-militariste de ses parents. Benjamin est encore en phase de recherche et n’en a pas encore parlé à ses parents : “Je préfère ne pas m’emballer tant que les tests d’admission ne sont pas okay”, dit-il.
Après tout, rien ne sert de s’emballer : à l’heure qu’il est, leur admission est tout sauf certaine. Comme précise Le Monde, si l’armée pronostique 160 000 prises de contact en 2015 contre 120 000 en 2014, seuls 35 000 dossiers seront finalement recevables. Même s’il y aura davantage d’embauches en 2015 que l’an passé, avec 15 000 postes contre 10 000 en 2014.
La défense, pas la vengeance
S’ils partagent tous le besoin de “défendre leur pays”, pas un seul n’évoque un sentiment de vengeance ou un besoin aveugle de violence. Pas plus qu’une quelconque motivation belliqueuse à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières françaises. Même la question du patriotisme les divise. Si Théo n’a aucun problème à se déclarer “patriote”, Laura admet se sentir “plus espagnole que française” de par ses origines ibériques. Mais au vu des événements, elle souhaite défendre une certaine idée de son pays : “Les valeurs de la France et l’image qu’elle véhicule”, liberté et fraternité en tête de file. Maxandre et elle auraient sans doute beaucoup de choses à se dire, lui qui confie un peu le même sentiment :
Je ne me considere pas comme patriote. Je trouve ça bidon, c’est un sentiment d’Américain… En revanche dire que je suis d’accord avec les valeurs de notre pays, ça oui !
On aimerait pouvoir se projeter dans un an ou deux, histoire de savoir si Laura, Théo, Maxandre et Benjamin seront un jour les militaires qu’ils envisagent de devenir – et s’ils se plairont dans l’uniforme. Après tout, ils n’en sont pas encore au stade de l’enrôlement formel, leur parcours peut encore changer. Lorsqu’on lui demande si elle voudrait s’engager autrement qu’en portant les armes, Laura admet d’ailleurs qu’il y a des alternatives auxquelles elle n’avait guère songé : “Pompier, ça peut être une idée aussi !”