Beyrouth, Athènes, Bari puis Paris, voici le parcours de Farouk, un sans-papiers d’origine libanaise. Depuis maintenant 33 ans, il vit en France comme n’importe quel citoyen français, mais pourtant Farouk est clandestin…
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Farouk est d’origine libanaise, il est né à Beyrouth et a connu les ravages de la guerre. Il a aujourd’hui 74 ans, possède 2 sociétés domiciliées en France. Il emploie une trentaine de personnes et se rend tous les jours à son bureau pour chapoter ses salariés. Rien d’anormal jusque-là… À un détail près !
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Farouk fait tout ça dans l’illégalité puisque c’est un sans-papiers. Et c’est un sans-papiers de longue date puisqu’il réside sur le territoire français depuis 33 ans ! Oui, oui vous avez bien lu ! 33 ans que Farouk s’est mis dans la peau d’un Français pas comme les autres puisque c’est un clandestin…
Le périple extraordinaire d’un Libanais ayant quitté son pays pour croire en sa chance et un avenir meilleur
Tout commence lorsque Farouk décide de quitter Beyrouth le 23 octobre 1975. Il n’a qu’une seule idée en tête : fuir la guerre ! À cette époque, il vient d’avoir 32 ans et exerce en tant que médecin généraliste depuis à peine 1 an. Farouk est médecin, loin des clichés d’une jeunesse orientale perdue et illettrée qui viendrait sauvagement piller des terres européennes.
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À 32 ans et du jour au lendemain, il décide de dire adieu à sa famille et ses amis en leur expliquant que sa place n’est plus au Liban. Farouk a l’ambition de s’exiler loin, très loin du Liban. Il souhaite vivre le “rêve européen” comme il l’appelle. Le pauvre, il va vite déchanter…
Farouk me raconte qu’il a quitté Beyrouth totalement en freestyle. Il a pris une valise, le peu d’oseille qu’il avait et s’est retrouvé devant le guichet d’une compagnie aérienne de l’aéroport en posant la question suivante : “Je n’ai fait aucune demande de visa, dans quel pays d’Europe puis-je me rendre ?” Deux heures après, Farouk se retrouvait à embarquer pour la Grèce.
De médecin à clandestin
Farouk s’installe à Athènes et découvre les joies de l’Europe. Niveau boulot, il galère et dans un coin de sa tête résonne le fait que dans 3 mois son “visa tourisme” va expirer. En attendant, il s’accroche, enchaîne les petits boulots à la con, s’entoure d’une bande d’amis composée d’Égyptiens, de Libanais et de Syriens. Très vite, il se lasse d’Athènes. Au bout de deux mois, il quitte la capitale grecque pour se rendre en ferry à Bari en Italie. C’est à ce moment et alors qu’il a à peine 33 ans que sa longue carrière de sans-papiers va débuter…
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Il restera 8 ans à Bari, vivant à 2 et parfois même à 3 dans une chambre de bonne de 20 mètres carrés payée au black à un mafieux qui loge les sans-papiers et les prostitués du coin. Il se prive de tout. Il travaille comme un forcené jusqu’à 16 heures par jour et se constitue une petite cagnotte tout en étant sans papier ! “J’avais tellement d’espèces que je ne savais plus où mettre l’argent chez moi”, m’avoue-t- il !
“Paname, paname, on arrive!”
Durant ces 8 ans à Bari, naît l’envie de s’installer à Paris !
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“Tout le monde me parlait de la France et de Paris. Pour moi c’est le pays des droits de l’Homme, là ou tout est possible. Les gens me disaient qu’en France la vie était belle et que le gouvernement donnait les papiers très facilement…”
C’est en septembre 1984 que Farouk débarque à Paname accompagné d’un ami, lui aussi clandestin. Pour y arriver, ils ont traversé en voiture toute l’Italie et toute la France. Farouk m’avoue que ce fut le voyage le plus angoissant de toute sa vie :
“Nous savions que si on se faisait attraper, c’était retour à la case départ, direction le Liban et pour rien au monde nous voulions y retourner. En plus nous avions beaucoup d’argent en liquide dans la voiture ! Nous avions vraiment peur de tout perdre et que l’on nous prennent pour des trafiquants.”
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Lorsque Farouk me parle de ses premières années à Paris, je remarque la nostalgie qu’il y a dans ses yeux . L’intégration fut immédiate, me dit-il.
“J’étais émerveillé par la ville et par les Parisiens et surtout les Parisiennes !” Il me dit avec une certaine grinta, qu’il était à l’époque une sorte d’attraction sexuelle.
“Lors de mes premières années, les Françaises m’arrêtaient dans la rue et me prenaient en photo ! Elles me demandaient de quel pays je venais ! Les filles étaient étonnées de voir des orientaux déambuler dans les rue de Paris. À l’époque nous étions très peu, c’était les années 1980 ! Les gens adoraient nous parler et nous poser des questions sur nos origines !”
Être un sans-papiers en France et alors !?
À son arrivée Farouk s’installe dans un hôtel miteux du côté de la gare du nord. Il est employé au black comme plongeur dans un restaurant. Je lui demande alors comment accepte-t-on psychologiquement de passer de médecin à plongeur ? Farouk me répond : “Tu sais à mon époque, être médecin à Beyrouth c’était voir l’horreur au quotidien. Après ce qui m’ennuyait le plus c’est que médecin ou pas, mes patrons me prenaient très souvent pour un abruti du fait de mon statut de clandestin !”
C’est au début des années 1990 que Farouk commence à être épanoui. Pour la première fois de sa vie, il va prendre un appartement seul ! Il cumule 2 boulots et s’autorise même un jour de break le dimanche. C’est aussi à cette période que Farouk souhaite se débarrasser de son unique et dernier fardeau. Puisque oui, rappelez-vous Farouk fait tout ceci, en étant clandestin sur le sol français. Un simple contrôle de police pourrait le renvoyer au Liban et c’est précisément ce qui le terrifie le plus.
Farouk fait alors tout pour se fondre dans la masse. Il adopte la mode de l’époque, veste en jean, chemise cintrée et se laisse pousser les cheveux. Il refuse tout rassemblement avec ses amis aussi bien pour boire un café ou que pour se balader dans la rue. Il se fait appeler Michel et tente de gommer son accent pour essayer de ressembler à un titi parisien.
Pour les papiers, ça sera NON !
D’un point de vue administratif, Farouk prend enfin les choses en main. Via un avocat, il fait une demande pour bénéficier d’un titre de séjour sur le territoire français. Sa demande est rejetée. Pour Farouk, c’est une véritable désillusion. Il ne comprend pas et selon lui c’est clairement un manque de chance. Comme beaucoup de Libanais, Farouk parle parfaitement le français. Il me dit très clairement qu’à l’époque il a vu tous ses amis avoir la nationalité française ou un titre de séjour, alors qu’ils ne connaissaient rien à la France. “Certains de mes amis, notamment les Égyptiens, savaient à peine dire bonjour et au revoir et pourtant ils l’ont eu !”, me dit-il.
Farouk m’explique qu’à l’époque Mitterrand était au pouvoir et que la période était très propice à demander une naturalisation. Il n’y avait pas de tension avec les nouveaux arrivants en France. Bien au contraire, les étrangers étaient globalement bien accueillis, peu importait leurs origines.
Les potes de Farouk sont maintenant Français mais lui ne l’est pas. Son avocat tente alors une deuxième demande en demandant le statut de réfugié de guerre. Mais là encore, c’est un échec cuisant. Pour la deuxième fois, l’état français refuse de naturaliser ou d’attribuer un titre de séjour à Farouk. Voyant la situation bloquée, Farouk n’a pas 36 000 solutions : vivre dans l’illégalité ou quitter le pays !
De Farouk le Libanais à Michel le presque Français
Aujourd’hui nous sommes en mars 2017 et 23 ans se sont écoulés depuis que Farouk a demandé un titre de séjour. Faisons donc l’ellipse de 23 années, pour découvrir comment Farouk à évolué et surtout si Farouk, le plongeur – médecin est devenu Français !
Vingt-trois ans plus tard, l’évolution de Farouk est incroyable ! Il est aujourd’hui patron et emploie une trentaine de salariés ! Vous vous dites donc : “Alléluia, après quelques années de galère et il a fini par avoir ses papelards !” Et bien non, la réalité est toute autre… Farouk est toujours un sans-papiers. Un sans-papiers riche certes, mais bel et bien un sans-papiers malgré ces 33 années à vivre sur le territoire français.
Sa life est pourtant plutôt cool et il me dit avec beaucoup de fierté : “Aujourd’hui j’ai 2 sociétés et je vis dans un appartement de 90 mètres carrés dans le 14e.” Des tas de questions fusent alors dans ma tête ! Comment peux-t-on avoir deux sociétés et vivre en France depuis 33 ans tout en étant un clandestin ?
Farouk se met à table. Il m’explique ses procédés pour survivre et j’ai l’impression d’avoir affaire à un coach en magouille. Premièrement, c’est un ami de sa communauté qui le couvre. Ce dernier l’a aidé à devenir le patron qu’il est aujourd’hui. Tout est basé sur la confiance, m’explique-t- il. Cet ami en question est en réalité son associé. Il lui a donné accès à toute l’administration française en se dupliquant ! En quelques sorte, tout est pipé !
Je commence par la base de la base. S’il n’a pas de papiers, il ne peut techniquement pas ouvrir de compte bancaire en France, alors où va l’argent que Farouk gagne ? Notre ami libanais m’explique qu’il est très simple d’avoir un compte bancaire en France même en étant clandestin ! Sa réponse est sans appel : “Il suffit de se rendre à la Poste et d’ouvrir un compte courant comme tout le monde. La Poste m’a simplement demandé une pièce d’identité alors je leur ai donné mon passeport libanais.” Il me montre sa carte bleue made in “La Poste” avec son prénom et son nom.
Farouk reçoit, en moyenne et par mois, 2500 euros sur ce compte (le reste de son salaire de patron-associé est en espèces). Et c’est du net d’impôts, étant donné qu’il n’est pas Français, il ne paye pas d’impôts ! Je me dis alors que j’aurais du naître au Zimbabwe et immigrer en France même en faisant le trajet à dos de chameau. Évidemment c’est une vanne les amis… Je suis très fier d’être Français et Farouk aurait adoré l’être aussi !
Donc si je comprends bien Farouk gagne une blinde en étant clandestin. Mais deuxième question : comment a-t-il fait pour monter ses sociétés ? En réalité Farouk s’est associé avec l’un de ses amis de confiance qui, lui, est naturalisé français. Ils ont donc ouvert un premier business dans le bâtiment au nom de son associé naturalisé, puis un deuxième business d’import/export de fruits et légumes. Ce qui est dingue dans cette histoire, c’est que Farouk m’explique que dans les statuts des deux sociétés, il y figure juridiquement comme “associé”. Il va d’ailleurs tous les jours au bureau et évidemment ses salariés ne sont au courant de rien !
C’est aussi grâce à son associé que Farouk vit dans un 90 mètres carrés. Pour faire simple, l’appartement est au nom de son associé. Aux yeux de la loi, l’associé de Farouk est donc locataire de l’appartement, mais en réalité, c’est Farouk qui y vit !
Si je récapitule : Farouk a un compte bancaire à la Banque Postale sur lequel il reçoit tous les mois son salaire. Farouk figure dans les statuts des deux sociétés en tant qu’associé et vit seul dans un 90 mètres carrés. Et là, je me pose la question suivante : si Farouk a soudainement une maladie et qu’il décide d’aller à la pharmacie pour se chopper un médicament, comment fait-il ? Farouk est il en mesure de nous dégainer une carte vitale ?
Mesdames et messieurs, roulement de tambour, et bien la réponse est OUI… MAIS NON ! Farouk a une carte vitale version sans-papiers, c’est-à-dire une “aide médicale” lui permettant d’acheter son médicament à moindre frais.
Après des années de galère, voici comment Farouk a pu se glisser dans la peau d’un citoyen français sans en être vraiment un…
“À 74 ans, je suis toujours un sans-papiers alors que je vis à Paris depuis 33 ans !”
Trente-trois ans que Farouk est sur le territoire français. Mais 33 ans également que Farouk est un clandestin, un sans-papiers. Quand on y pense, c’est assez ouf tout de même ! Il me dit que la peur de se faire attraper par les autorités françaises a été oubliée depuis belle lurette. Il s’acharne et me répète sans cesse qu’il aurait tant aimé être français, même au prix de l’abandon de sa nationalité libanaise.
Pour lui, ce n’est pas qu’un simple bout de papier, c’est la liberté et la fierté d’être Français. Mais qu’importe, en écoutant Farouk je me rends compte qu’il est certainement plus français que moi dans l’âme tant il aime la France et tant il est attaché à ses valeurs. Aujourd’hui Farouk a 74 ans. Il n’est pas marié et a aucun moment il n’a pensé au mariage blanc. C’était pourtant une solution comme une autre, lui dis-je.
Mais non, pour Farouk, hors de question de tricher pour devenir français.
Il me dit cette merveilleuse phrase pleine d’humilité : “Être français, ça se mérite !” Je reste bouche bée face à tant d’amour pour un pays qui l’a rejeté à plusieurs reprises. En janvier 2017, la ligue des droits de l’Homme a estimé le nombre de sans-papiers qui résident en France à 300 000 personnes. 300 000 personnes fuyant en majorité la guerre ou la misère de leur pays…
Farouk n’est plus jamais retourné au Liban, d’ailleurs il n’a même jamais quitté le territoire français depuis son arrivée, c’est-à-dire il y a 33 ans. Oui 33 ans d’exode pour se faire adopter par un pays qu’il chérit tendrement. Lorsque je demande à Farouk pourquoi ne pas tenter une nouvelle demande de papelards, il me répond :
“J’y pense de plus en plus, j’adorerais avoir la nationalité française avant ma mort, juste pour me dire qu’enfin, j’y suis arrivé… Je vais la faire cette nouvelle demande, mais avant je vais attendre le résultat des élections ! Si Le Pen gagne, ma demande ne servira sans doute à rien…”