Les trajectoires sont diverses, les origines aussi. Pourtant, ces destins ont convergé vers la France, que ce soit dès le plus jeune âge, ou lorsque le poids des ans se faisait sentir. Abdoullah, Rolande, Selva, Le, Nadia, Irakli, Max, Jinjing, Adrianna, Ewa, Yeshi, Dennisse, Rosa, Vladimir, Ani, Antonythasan et Ammar : ils sont 17 à avoir raconté leur histoire à Clémentine V. Baron. Elle explique sa démarche en préambule de son ouvrage :
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“Avec l’aide d’associations (France terre d’asile, la Cimade, Amnesty International, Parler Français), j’ai pu rencontrer et interroger une vingtaine d’immigrés, des ‘migrants’ au sens large, puisque certains d’entre eux sont réfugiés, d’autres candidats au rapprochement familial, d’autres encore simplement partis à la recherche de meilleures conditions de vie. […] Chaque histoire est unique, certaines sont tragiques, presque toutes pleines d’espoir et de reconnaissance.”
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Préfacé par l’écrivain turc Nedim Gürsel, et illustré par les touchants dessins de Sophie Cousinié, l’ouvrage est paru en décembre 2016 aux éditions L’Harmattan. Comme une nécessaire touche d’humanité dans un traitement parfois déshumanisé de la “question des migrants”, où chiffres et déclarations de personnalités politiques se bousculent. Les Oiseaux migrateurs nous permet ainsi de garder à l’esprit un élément ô combien important : chaque immigré a son passé, ses blessures, ses aspirations.
“Mourir, ce n’est pas le pire”
C’est le cas d’Ammar. À 26 ans, ce Syrien originaire de la ville de Deir ez-Zor a connu les manifestations contre Bachar el-Assad, les bombes, les privations. Médecin pour le Croissant-Rouge (équivalent de la Croix-Rouge au Moyen-Orient), il s’est résolu à quitter son pays en septembre 2015, avec sa famille. Sans autre choix, ils embarquent une nuit sur un frêle esquif, avec deux fois plus de passagers qu’il ne le faudrait. Au premier tiers du trajet, le moteur se coupe.
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“Vous savez, après tout ce qu’on avait vécu ces dernières années, ce n’était pas la situation la plus effrayante ni la plus dangereuse que nous ayons traversée. Oui j’avais peur, je ne peux pas dire le contraire, parce que j’étais avec ma mère, ma femme et ma fille qui devait fêter ses un an la semaine suivante, mais je ne sais pas, j’avais un bon pressentiment pour cette traversée. J’avais survécu à bien pire et je me disais, ‘Bon, je vais mourir ici ? Et alors ? J’ai déjà connu mille morts avant d’en arriver là’.
Et puis, mourir ce n’est pas le pire. En Syrie, ce qui nous faisait vraiment peur, c’était d’être arrêté par la police du régime. Vous ne pouvez pas imaginer ce qu’il se passe dans les prisons, des tortures tellement abominables qu’il vaut mieux se faire tuer tout de suite. Des amis qui ont été arrêtés m’ont raconté ce qu’ils avaient subi, je ne pouvais même pas imaginer. Ils battaient les gens, les suspendaient par les bras jusqu’à ce que leurs épaules se déboîtent, ils arrachaient les ongles… C’était aussi de la torture psychologique, des humiliations continuelles, et ça pouvait arriver à n’importe qui, à vous ou moi, il n’y avait pas besoin de faire partie de l’armée syrienne libre pour se faire torturer, et cela pouvait durer pendant des mois, des années…
Et puis, il y avait les disparitions. Certains gars étaient arrêtés et on n’entendait plus jamais parler d’eux. Leurs proches restaient dans l’incertitude, ils voulaient seulement savoir s’ils étaient vivants ou pas ! C’est pire que la mort. Être torturé ou disparaître, ça, c’était la vraie terreur, mais mourir noyés entre la Turquie et la Grèce ? Non, ce n’était pas ce qui pouvait nous arriver de pire.”
Un témoignage parmi les nombreux que rassemble ce recueil, que l’on vous laisse le soin de découvrir. Pour Clémentine V. Baron, la démarche ne s’arrête pas là : en 2017 paraîtra la biographie complète d’Antonythasan Jesuthasan, écrivain, acteur (il a tenu le rôle principal de Dheepan, de Jacques Audiard) et réfugié politique tamoul, dont l’histoire poignante a également été recueillie par la journaliste française.