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S’il n’a pas sorti son album plus tôt, c’est tout simplement parce qu’il estimait ne pas être prêt. Pas prêt à se dévoiler sous toutes ses coutures. Cette époque est bel et bien révolue puisque le 2 novembre dernier, Jacob Banks a sorti Village, son tout premier opus.
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Après plusieurs années, et autant de projets courts, Jacob Banks se lance enfin et nous propose d’entrer dans son univers : celui d’un gosse né au Nigeria, qui a grandi à Londres dans le même quartier que Jorja Smith, et qui s’est nourri de drum’n’bass, de reggae, de hip-hop ou encore de jungle.
Des genres dont il s’est pourtant éloigné pour créer Village, à l’exception du reggae et du hip-hop. Son terrain de jeu désormais, c’est la soul. Et c’est avec une voix rocailleuse qu’il pose ses mots sur des instrumentales, alternant entre puissance et douceur, et où se mêle parfois une pointe de hargne.
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Lors de l’un de ses nombreux passages à Paris, Jacob Banks nous a donné rendez-vous quelques jours avant la sortie de Village à l’Hôtel Grand Amour, à l’heure du thé, pour discuter de ce premier album studio, de sa vision de la musique, de son rapport à ses origines, de ses clips qu’il réalise lui-même, de Jorja Smith et du jeu FIFA qui a pour lui une signification particulière.
Konbini | Pourquoi ce titre, Village ?
Jacob Banks | C’est en référence à un vieux dicton africain qui dit qu’il faut un village entier pour élever un enfant. Quand tu grandis au Nigeria, tout le monde contribue à ton éducation, tes tantes, tes voisins. Donc l’idée de ce titre, c’était de célébrer toutes les choses que j’aime, les choses qui m’ont aidé à grandir en tant que musicien.
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Qu’est-ce que ça te fait de sortir ton tout premier album ?
Je me sens reconnaissant, très privilégié.
C’est aussi la première fois que tu sors un projet en physique ?
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Oui, et grâce à cette sortie en physique, le projet semble réel à mes yeux. J’avais besoin d’une preuve que ça a eu lieu, je voulais pouvoir le toucher et en avoir un exemplaire pour moi.
Comment as-tu construit cet album ?
Avec quelques amis, entre Los Angeles, Londres, et Nashville, au Texas. L’un des producteurs qui a travaillé sur l’album, Malay, est devenu un bon ami. Il a produit la plupart des morceaux sur Blonde et Channel Orange de Frank Ocean. Et mon album, je l’ai écrit l’année dernière, pendant la tournée.
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Pour quelqu’un qui ne te connaît pas encore, comment pourrais-tu te définir, et quelle est la mission de ta musique ?
Jacob Banks, storyteller, ma mission est de tenir compagnie aux gens.
Ton tout premier EP est sorti en 2013, depuis tu en as sorti deux autres. Pourquoi avoir attendu cinq ans avant de sortir ton premier album ?
Je grandissais, et je grandis encore aujourd’hui. Je pense que c’est en grande partie parce que je n’étais pas assez courageux. Je n’aime pas écouter un album et me rendre compte que chaque chanson sonne pareil. Je voulais faire un album dans lequel je dévoile toutes mes facettes, je n’étais pas prêt, et je pense que je n’étais pas assez courageux jusqu’à aujourd’hui.
Tu as toujours été très ouvert d’un point de vue musical, qu’est-ce que tu as voulu expérimenter dans Village ?
J’ai exploré quelque chose encore jamais abordé jusque-là : le beat afro. Je l’avais déjà un peu fait dans le morceau “Yolo” de mon précédent EP. J’ai aussi essayé d’accentuer les influences hip-hop et R’n’B. À l’avenir, j’ai très envie d’essayer la funk.
Dans “Slow Up”, tu dis “Wear your Afro like your backbone” (“Porte ton afro comme ta colonne vertébrale” en français), qu’est-ce que ça signifie et est-ce important pour toi de ne pas oublier d’où tu viens ?
Je l’utilise pour faire comprendre aux gens qu’il faut s’assumer pleinement et se foutre du regard des gens. Quand je dis “Porte ton afro comme ta colonne vertébrale”, ça fait référence aux personnes d’origines africaines, mais c’est le même principe pour tous ceux qui se sentent mis à l’écart. Quelle que soit la manière dont tu parles, dont tu t’habilles, la couleur de tes cheveux, qui tu choisis d’aimer, porte ce choix comme ta colonne vertébrale te porte.
Dans “Mexico”, tu essaies d’échapper à la routine londonienne en chantant sur une instru reggae, ce genre t’inspire ?
Oui, c’est quelque chose qu’on aime beaucoup au Royaume-Uni, le reggae, la dubstep, la drum’n’bass, la jungle… Ceux qui ont grandi au Royaume-Uni dans les années 1990-2000 ont grandement été influencés par le reggae. Londres et le reggae, l’Angleterre et le reggae, ça va ensemble, main dans la main.
Tu as fait appel à de gros producteurs comme Malay, Sons of Sonix, Paul Epworth, comment tu es entré en contact et as travaillé avec eux. À distance ou en studio ?
En ce qui concerne Malay, je l’ai rencontré à Los Angeles. Je suis un énorme fan de Frank Ocean, alors je l’ai contacté en lui disant que ce serait bien de bosser ensemble. Et on a effectivement fait pas mal de choses ensemble. Ça pourrait peut-être sortir plus tard dans l’année.
Il y a un autre morceau qui s’appelle “Kumbaya” en collaboration avec Bibi Bourelly, qu’est-ce que ça signifie, quel est le message ?
“Kumbaya” est un mot qui vient du gospel et ça traduit un certain état de paix, de sérénité. Cette chanson parle d’une relation qui arrive à sa fin et du fait que la personne que l’on quitte ne nous manque pas forcément. Il suffit d’accepter, ça ne marchait pas, c’est tout. On n’a pas besoin de se haïr.
Tu as toujours réalisé tes clips toi-même, comment est-ce que tu as développé cet œil pour la caméra et veux-tu en faire davantage à l’avenir (clips, films, pubs) ?
Oui, bien sûr ! On a plusieurs clips déjà dans la boîte, mes amis et moi. La raison pour laquelle j’ai décidé de réaliser mes clips, c’est parce que tous les réalisateurs étaient trop chers. Quand j’étais petit, ma mère me répétait souvent qu’il y a toujours un moyen de s’en sortir. Si tu veux faire quelque chose, prends ton temps et entoure-toi bien. À cette époque, je n’avais pas un rond, alors j’ai trouvé une caméra et je me suis dit que j’allais trouver une manière simple de raconter l’histoire que je veux en images.
Tu te souviens du tout premier clip que tu as shooté ?
Ouais, c’était dans le parking de mon immeuble pour un morceau intitulé “Monster”, je l’ai tourné avec mes amis proches. Je les avais tous réunis et leur avais dit : “J’ai besoin de votre aide, j’ai une caméra et un parking, qu’est-ce qu’on peut faire ?” Et on a fait “Monster”.
Dans l’intro du morceau “Grown Up”, on entend un message vocal, de qui est-ce la voix ? Qu’est-ce qu’elle dit ?
C’est ma grand-mère, elle dit : “Les salutations de la saison, j’espère que tu passes un merveilleux Noël, et quand tu entends le son de ma voix, s’il te plaît rappelle-moi.” J’ai toujours adoré ce message pour sa douceur, et le sens de cette phrase qui est très profond.
Quelle est la signification de ce morceau ?
Ce que la voix de ma grand-mère me fait ressentir, c’est que peu importe jusqu’où la vie me mène, peu importe le nombre de pays que j’ai visité, et peu importe à quel point je pense être devenu un adulte, elle m’offre toujours un point de vue alternatif qui me fait me sentir petit, et ça me fait du bien.
Dans “Keeps me going” tu explores les vibes africaines en termes d’instrumentale, est-ce ton premier morceau de ce genre ?
J’ai déjà fait des morceaux avec des influences africaines mais je n’avais jamais autant accentué cet aspect. C’est le morceau le plus afro que j’ai jamais fait.
Qu’est-ce qui te plaît dans le fait de chanter sur des instru africaines ?
Je sens que ma mère adorerait ça, ce qui est suffisant pour me dire que c’est la bonne chose à faire. Et puis c’était logique, si j’écris un album dans lequel je veux dévoiler toutes mes facettes, mes origines africaines constituent une grosse partie de ce que je suis. Je l’ai fait pour l’Angleterre, en faisant des morceaux aux influences britanniques, alors je voulais m’assurer de faire la même chose pour l’Afrique. Pour que les gens qui vivent au Nigeria sachent que je suis encore là.
Qu’est-ce que t’écoutes en ce moment ?
J’écoute beaucoup d’afro-beats justement. Je connais MHD et je suis vraiment fan de son délire afro-trap. Je l’avais vu sur YouTube il y a quelques années. On s’était même croisés sur scène pendant un festival à Londres où on était tous les deux programmés. Il est super chaud.
En ce moment au Royaume-Uni la musique se porte plutôt bien, des artistes comme Jorja Smith ou IAMDDB ont réussi à s’exporter à l’international, est-ce que tu aimerais collaborer avec ce genre d’artistes ?
Oui, j’adore ce que fait Jorja. Je la connais bien, elle a grandi à quinze minutes de chez moi. Elle fait un travail incroyable, je l’ai rencontrée plusieurs fois en concert, et j’adorerais bosser avec elle. Je suis musicien avant tout, et j’aimerais vraiment faire un album en collaboration avec un.e artiste qui me plaît.
Tu dis dans une interview pour Glass Magazine que tu as beaucoup joué de la batterie, est-ce que tu continues à en faire ?
Non, je n’y joue plus vraiment, mais je n’étais pas très doué pour ça, c’était un essai. Je me débrouille mais je ne suis pas un virtuose. Je joue de la batterie, de la guitare, du clavier, du saxo, mais jamais avec un niveau très élevé. Mon instrument principal, c’est ma voix.
D’ailleurs comment va Mrs Robinson (le nom qu’il a donné à sa guitare) ?
Elle est toujours là ! J’ai écrit “Nostalgia” sur sa musique et il y a un très court passage à la fin de “Peace of Mind” où je l’utilise.
T’es un gros joueur de FIFA, qu’est-ce que tu ressens quand tu entends ton morceau “Love Ain’t Enough” sur FIFA 19 ?
Je la zappe tout le temps, dès qu’elle tombe au hasard, je change directement. C’est juste bizarre, j’essaie de me concentrer et là j’entends ma voix. J’ai passé tellement de temps à jouer à FIFA… Ça m’a vraiment fait quelque chose la première fois, quand j’ai appris que mon morceau “Move With You” ferait partie de la tracklist de FIFA 15.
D’ailleurs quand est-ce qu’on se fait un FIFA ?
T’es sûr d’être au niveau ? Parce que tout le monde me dit la même chose, alors mesure bien tes propos ! (rires)
Revenons plutôt à l’album dans ce cas-là… Tes textes sont toujours très chargés en émotion, comment tu fais la transition entre la vraie vie et les histoires que tu racontes dans tes morceaux ?
Pas de transition ! C’est la même chose, je dis ce que je vois, je dis ce que je ressens, c’est une émotion. Je ne m’en cache pas, ça ne m’effraie pas non plus. Mon boulot, c’est de tenir compagnie aux gens. Je dois être honnête avec moi-même, si je ne le suis pas, je ne peux pas faire mon travail.