Enfin. Après des années faites de multiples collaborations, de projets avortés et de frustration, Loveni a dévoilé son tout premier disque solo, Une nuit avec un bon gamin, en début d’année. Une sortie qui sonne comme un soulagement pour le rappeur parisien. Car si ses collègues de Bon Gamin, le collectif qu’il forme avec le polyvalent beatmaker Myth Syzer et le génial Ichon, ont su tirer profit d’une popularité précoce, Loveni restait en retrait. Au grand dam des fans.
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Mais voilà que le rappeur parisien arrive en force sur le devant de la scène – et totalement en indé, s’il vous plaît. Grâce ce gros EP, Loveni règle ses comptes avec le passé de la plus belle des façons. Entouré de la crème des producteurs français (Myth Syzer donc, mais aussi Ikaz Boi ou PH Trigano), le jeune artiste narre avec brio les nuits parisiennes. De l’euphorie de la fête au spleen dévastateur du lendemain. Entretien fleuve avec un rappeur talentueux à la recherche du temps perdu.
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Konbini | Ton projet s’intitule Une nuit avec un bon gamin. À quoi ressemble une soirée avec toi ?
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Loveni | Ça peut ressembler à plein de choses. Généralement, ça dure assez longtemps [rires]. Quand je fais la fête, je la fais vraiment. Il y a souvent plein de gens, mais pas de plan défini. Ça se balade pas mal, mais je finis toujours par retomber sur mes pattes.
C’est pour ça que tu as mis autant de temps à sortir ce projet ?
À cause de ce style de vie, je n’étais pas forcément dans un rythme de travail ces deux dernières années. Aujourd’hui, je le suis un peu plus. Mais c’est vrai que j’ai mis du temps à ne faire que de la musique. Il y a deux ans encore, je travaillais. J’ai tout arrêté pour me consacrer à ça. Ce qui a vraiment accéléré la sortie du projet, c’est quand on a eu un studio avec Bon Gamin. Comme je ne suis pas très organisé, louer des studios pour faire des morceaux et aller les mixer après, ça me prenait trop de temps. Là j’ai un lieu où je peux faire les instrus et enregistrer direct.
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T’as eu un déclic ?
Oui, complètement. Ça fait longtemps que je rappe, mais j’avais besoin de passer cette étape-là et de sortir quelque chose. Construire un projet, cela demande une certaine maturité pour avoir de la cohérence au niveau de l’artwork, des morceaux, de l’ambiance. Ça a pris un peu de temps pour savoir ce que je voulais vraiment faire.
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Tu le considères comme un album ?
Moi, je n’ai pas de problème à dire que c’est un mini-album. Je l’ai annoncé comme un EP et non comme un album, qui est plus conséquent normalement. Dans ma sélection de morceaux, je l’ai travaillé comme un album pour que ce soit cohérent. Mais la façon dont j’ai travaillé les morceaux, je n’y ai pas réfléchi avant. Les titres ont été enregistrés à des périodes et des endroits différents. Peut-être que c’est mieux comme ça.
Pourtant tu avais des anciens projets, non ? Je pense à Pur (Genius n’oublie rien).
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C’est mon tout premier projet, une sorte de brouillon on va dire – j’avais 18 ans à l’époque. C’était avec Syzer, quand je l’ai rencontré. On avait même fait des CD à l’époque ! Je ne l’ai pas remis sur les plateformes de streaming. Il était sur BandCamp et doit toujours y être. Je pense que c’est mieux qu’il reste un peu underground [rires].
À une époque où il est important d’être productif, tu ne suis pas vraiment cette tendance. Comment tu l’expliques ?
Je ne pense pas que ce rythme effréné soit quelque chose de très bénéfique pour la musique. C’est bien s’il y en a qui y arrivent, mais moi en tout cas, dans ma manière de voir la musique, j’aime prendre le temps de réfléchir pour faire de nouvelles choses et progresser. Depuis Une nuit avec un bon gamin, j’ai enregistré vraiment plein de morceaux. Je suis actuellement en train de préparer le prochain projet (j’ai déjà une bonne base). Normalement, il ne faudra pas attendre trop longtemps.
Tu as changé ta façon de travailler ?
Il y a des feats sur quasiment tous les sons. Ce n’est pas forcément une volonté, c’est juste que dans ma manière d’écrire j’étais à chaque fois avec des gens, on s’échangeait des idées et chacun venait participer un petit peu. C’est vraiment comme ça que j’ai construit Une nuit avec un bon gamin. Mais pour les prochains projets, il y aura un peu plus de solo parce que j’ai adapté cette technique d’écriture quand je suis seul. Mais j’aime beaucoup ce travail de collaboration, l’énergie de groupe.
Tu as la sensation d’avoir eu de la visibilité avec Bon Gamin alors que tu n’avais pas forcément la maturité nécessaire ?
J’ai la sensation qu’ils étaient prêts avant moi. C’est d’ailleurs eux qui ont apporté de la visibilité à Bon Gamin, alors que je suis à la base du concept. C’est avec l’arrivée de Myth Syzer que le projet a pris une autre ampleur. Bon Gamin existait déjà avec Ichon et moi à la fin des années 2000, mais c’était vraiment informel. La première fois où on s’est vraiment dit qu’on pouvait être des artistes à part entière, c’est quand on a fait “Can I Kick It”, en 2011. Mais c’est vrai qu’entre 2011 et 2018, c’est Yann [Ichon, ndlr] et Myth Syzer qui ont eu de l’exposition.
Je suis un peu plus jeune qu’eux, mais il y a aussi une question d’ambition. J’ai mis du temps à me dire que, tout seul, je pouvais faire quelque chose. Je savais faire un bon couplet, à la limite un bon morceau, mais pas un projet entier. J’avais des projets de prêts pourtant, que j’avais même annoncés, entre 2015 et maintenant. Mais je suis content de ne pas les avoir sortis quand je les réécoute aujourd’hui [rires]. Il y avait des bons morceaux, mais ça ne suffisait pas à faire un bon disque.
J’imagine que c’était important pour toi d’avoir “enfin” ton propre projet.
Ouais, c’est clair. Surtout pour ceux qui suivent Bon Gamin et qui aimaient bien ce que je faisais. Il y avait une certaine frustration. Je recevais des messages pour savoir quand je sortais mon projet et j’étais obligé de répondre que je ne savais pas moi-même. C’est important pour m’installer en tant qu’artiste, parce que jusque-là j’avais des couplets par-ci par-là sur les projets des autres et quelques titres avec Bon Gamin qui ont un peu tourné – comme “Michael Schumacher”, par exemple – mais c’est tout. J’avais un peu une position d’outsider.
Aucun de vous trois n’a fini au placard.
C’est vrai. Ces dernières années, on a un peu abandonné l’idée d’être un groupe au sens propre. On a fait une tournée en 2017 qui s’est super bien passée, mais on n’a sorti aucun disque en tant que groupe. Après la tournée, on devait sortir un projet. Les morceaux, on les a, même s’ils ne sont pas mixés. Chacun s’est concentré sur des projets solos, mais on est tous sur les projets des uns et des autres. Donc il n’y a pas de raison que Bon Gamin n’existe plus pour autant. On a peut-être des envies différentes aujourd’hui au niveau de la musique. On se laisse la liberté chacun de les réaliser.
Dans l’esprit, on se rapproche davantage d’un collectif que d’un groupe.
Ouais, c’est ça. Peut-être que ça va ressembler à un truc genre A$AP Mob, même s’ils ont sorti des projets ensemble. Ce serait quelque chose comme ça, où chacun aurait son identité propre. J’espère qu’un jour il y aura un projet Bon Gamin. Peut-être qu’on va sortir des morceaux un de ces quatre.
C’est très à la mode de faire des projets entiers communs. C’est un format qui te plairait ?
Ce serait chanmé de le faire avec Bon Gamin ou des artistes avec qui je fais des feats parfois, comme Jeune LC. Mais en tout cas, le format me plaît beaucoup, même pour la tournée. Ça se fait beaucoup aux États-Unis, et ça peut se démocratiser en France aussi. J’en discute d’ailleurs avec quelques artistes actuellement… Rien de concret mais pourquoi pas !
Comment est né le morceau “À l’arrière du Uber” ?
Quand tu es à Paris, tu as la chance de pouvoir un peu tout faire à pied quand tu es un vrai rider. J’en discutais avec Jeune LC la dernière fois justement, et on se disait qu’on kiffe marcher la nuit, prendre le temps. Ma ride se fait à pied, parfois en trottinette électrique maintenant [rires]. Mais quand tu as la flemme, tu prends un Uber. C’est le plus vieux morceau du projet, vers fin 2016, à l’époque où Uber n’était pas complètement démocratisé.
Pourquoi avoir repris “Toute la nuit” de Bisous mortels avec Myth Syzer sur ton EP ?
Ça devait être à l’été 2017. Il m’envoie la prod’ avec le refrain : j’étais comme un ouf dessus et je fais un couplet. On ne savait pas trop ce qu’on allait en faire encore. Quand l’idée d’Une nuit avec un bon gamin commence à prendre forme, je lui demande ce qu’il compte en faire.
Il me dit : “Rien de spécial pour l’instant”, car il venait de finir Bisous. Je lui ai dit que je le prenais sur mon projet, ça collait bien. Sauf qu’entre-temps il m’appelle et il m’annonce qu’il fait une mixtape avec plein de rappeurs et qu’il compte le mettre dans Bisous mortels.
Je lui réponds “Pas de souci”, mais je le garde dans le mien. Franchement, ça ne m’a pas dérangé. Ça apporte juste de la visibilité en plus. En aucun cas je l’aurais enlevé de mon projet, on était d’accord tous les deux. C’était vraiment important pour moi d’avoir une tracklist qui raconte une histoire.
À l’écoute de ce projet, on ressent un besoin récurrent de ne pas penser au lendemain. D’où vient-il ?
C’est l’âge qui veut ça, mais aussi le fait qu’à cette période j’ai arrêté les études et le travail. Par rapport à la société, tu te mets dans une position un peu précaire, quand tu ne te lèves pas tous les matins pour vivre de ta musique. Maintenant c’est le cas, mais quand j’ai écrit ce projet ça ne l’était pas. J’avais ce vertige de : “Putain, qu’est-ce que je vais faire ?” C’est sûr que ce besoin d’oublier le lendemain, ça a grave marqué ma musique. Et puis pour moi, sortir la nuit, ça va avec la musique. J’aime rencontrer des gens, danser, l’aventure.
Tu penses avoir dépassé cette angoisse dorénavant ?
Ouais parce que je me rends compte que je ne fais pas ça pour rien. J’ai fait un concert pour la sortie de mon projet, c’était rempli. Les gens connaissaient les paroles par cœur. C’était la première fois que je faisais un concert après avoir sorti un projet. C’est mon métier maintenant, tout ça me fait moins peur aujourd’hui.
Ce qui est fort avec ce projet, c’est qu’il est cyclique.
C’est comme un petit film, un épisode de série sur ma vie nocturne à Paname. J’espère que je pourrais arrêter, mais c’est quelque chose qui m’inspire. De moins en moins d’ailleurs, j’ai peut-être besoin d’aller faire de la musique ailleurs pour les prochains projets. Je suis DJ à côté de mon activité de rappeur, pour gagner un peu de sous (je préfère ça que de bosser dans un truc pourri). Je commence à avoir fait le tour, j’ai envie d’autre chose. Je vais continuer d’aborder ces thèmes-là de manière différente maintenant.
Dans “Le Piège”, tu dis : “Il y a trop de trucs que je laisse tomber.”
On parlait de mes débuts tout à l’heure, si j’ai mis autant de temps, c’est parce que j’ai laissé tomber pas mal de choses. Par manque de confiance en moi, je laissais tomber. Surtout, je ne pensais pas pouvoir sortir quelque chose à la hauteur de mes attentes. “Le Piège”, c’est grave un morceau sur ça, cette période de ma vie, où je commençais à sortir, à boire et à prendre de la drogue. Justement, le besoin de se perdre va avec tout ça. C’était nécessaire pour reprendre confiance en moi, trouver ce que je voulais faire, vivre d’autres expériences et me retrouver.
Tu n’as jamais craint de rater le coche ?
J’ai senti l’urgence de sortir un projet au moment où on a eu le studio, il y a un an et demi. De me dire : “OK, là, si tu ne te bouges pas le cul, tu vas vraiment rater le wagon.” Mais je me dis que je n’ai pas encore eu mon wagon. C’était après la tournée de Bon Gamin. On devait sortir le projet, mais ça ne s’est pas fait. J’étais dans le rythme des tournées, je me disais que c’était cool.
On a fait quelques morceaux. Ichon a sorti un projet, Syze aussi. Le temps passe, une année même. Les gars commençaient à sortir des trucs et ça marchait. Là, il fallait que je me bouge le cul, et que je sorte un truc pour moi. Je suis content de ne pas avoir sauté dans n’importe quel wagon, et je prendrai mon train tranquillement.
Tu as ressenti de la frustration ?
Un peu, du fait d’avoir vu pas mal de gens il y a quelques années – je ne parle pas d’Ichon et Syzer – sortir des projets, grandir et réussir. Je me suis dit : “Putain, pourquoi pas moi ?” Et c’était complètement de ma faute. Il y a un moment où ça te frustre : le nombre de gens avec qui j’ai commencé et que tu vois grossir vraiment, c’est dingue.
“Le Piège” est un morceau produit par Ikaz Boi. Pour toi, c’est l’un des meilleurs producteurs actuels ?
Carrément. En France, en Europe, voire aux USA. Ikaz et Syzer sont très forts. Je ne dis pas ça parce que ce sont mes potes, mais ils ont vraiment mis les producteurs sur le devant de la scène ces dix dernières années. Ils ont créé un nouveau statut pour les producteurs et rien que pour cela, ils vont marquer l’histoire de la musique.
Il y a plein de jeunes beatmakers en France qui ont été inspirés par eux. Ils ont vraiment leur patte, c’est assez rare. C’est peut-être les meilleurs en France, et ce qui est ouf, c’est qu’ils viennent de la même ville : La Roche-sur-Yon. Qui aurait cru qu’à La Roche-sur-Yon il y aurait deux des meilleurs producteurs français ? C’est quand même une histoire de ouf. Il faut aller enquêter ! [Rires.]
On retrouve également PH Trigano à la prod’ sur plusieurs morceaux.
Je l’ai rencontré grâce à Ichon. Il ne vient pas du hip-hop, il avait un groupe de rock au début des années 2010. La première fois qu’on se rencontre, je m’embrouille avec lui [rires]. Je me dis : “C’est qui ce connard prétentieux ?” Alors qu’en fait c’est un mec en or.
Si mon projet est sorti, c’est aussi grâce à son aide. Il m’a accompagné sur le mix des projets, sur les arrangements, etc. C’est un bête de producteur. Il a l’oreille absolue, il peut rejouer n’importe quoi avec n’importe quel instrument. Avoir quelqu’un qui joue une vraie basse, des vrais accords sur un clavier, c’est un luxe.
Tu es aussi très proche de Jeune LC.
C’est quelqu’un qui rappe depuis longtemps. Il a sorti des morceaux, les a supprimés, etc. Les gens les enregistrent et les repostent sur Internet, il y a un truc un peu légendaire avec ça. C’est un gars qui m’a grave inspiré dans la manière de rapper et dans le style de musique. Il écoutait beaucoup de son du Sud des États-Unis, genre Three 6 Mafia. Ça m’a grave influencé.
Et maintenant, tu fais partie de “La Relève” du rap français.
On m’a proposé ce projet et je me suis posé la question de savoir si je faisais vraiment partie de “La Relève” du rap français. En 2011, j’ai sorti un morceau qui s’appelait “Rookie” pour te donner une idée. Mais en fait si : j’ai sorti mon premier projet et j’ai 26 ans. Je m’estime nouveau dans ce que je fais et j’ai envie qu’on me considère comme quelque chose de frais, c’était parfait pour moi.
Récemment, on a pu t’entendre sur “Ratchet” avec Binks Beatz. Comment s’est faite cette connexion ?
Il a un vrai délire trap, et j’aime quand c’est bien fait. En France, il y a finalement assez peu de gens qui le font bien, et il en fait partie. On a passé une soirée, on a un peu fait la fête. On a vu qu’on avait les mêmes goûts musicaux, genre Juicy J, 21 Savage. Il m’a appelé parce qu’il faisait une compilation avec des rappeurs, et je lui ai dit : “Quand tu veux.” On a choisi le beat, on a écrit le morceau dans la foulée et on l’a fait dans la soirée. Je voulais envoyer un bon titre de mixtape.
On t’a aussi entendu sur le projet de Prince Waly.
Ça fait un bout de temps qu’on se connaît. C’est un gars adorable. On avait un peu le même délire “nineties” dans la façon de s’habiller, dans les goûts musicaux. D’ailleurs le morceau qu’on a fait sur Junior, c’est un des titres dont on me parle le plus, encore aujourd’hui.
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Ça va être quoi la suite pour toi maintenant ?
Travailler un nouveau joli projet. J’ai pas mal de matière, même si c’est encore un peu flou. Ce sera soit en fin d’année, soit en début d’année prochaine. Pour bien finir la conception et un peu mieux travailler ce qu’il y a autour de la musique, comme je suis en indépendant. Là, je ne l’ai quasiment pas fait sur Une nuit avec un bon gamin. Maintenant que je sais comment ça se passe, il va falloir développer la stratégie. J’ai envie de continuer à produire, et surtout faire de la scène parce que je kiffe vraiment ça.
C’est quoi tes conseils pour bien porter les lunettes de soleil ?
J’aime bien en porter la nuit, ce qui est assez absurde dans l’absolu. Il faut juste bien se sentir avec et que ça se fonde avec ta tenue – ça permet de mettre un petit filtre, un masque. Et puis sur scène, c’est assez pratique avec les lunettes [rires].
Photos : Benjamin Marius Petit.