N’aura-t-on bientôt plus besoin des réalisateurs pour produire un film ? C’est la question inquiétante que soulève l’enquête du média américain The Verge, qui rapporte avec justesse ce qui est en passe de devenir la nouvelle tendance à Hollywood : l’usage du big data. Ce dernier serait, pour ainsi dire, la nouvelle norme.
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Après s’être immiscée dans les stratégies marketing puis dans la vie politique lors des élections de 2016 aux États-Unis notamment, l’analyse de données pourrait s’avérer utile pour les studios américains. Si vous vous êtes déjà demandé comment les acteurs de vos films préférés avaient été choisis, la réponse pourrait se trouver dans cette nouvelle initiative, lancée par des business compagnies recourant à l’intelligence artificielle.
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Des logiciels massivement utilisés
La promesse de ces start-up bourgeonnant sur la West Coast est d’apporter des informations fiables sur ce qui marche actuellement au cinéma. Sur le papier, ça fonctionne plus ou moins, à l’image de ScriptBook, un algorithme qui assure avoir prédit correctement 86 % des films qu’il a analysés. Le hic réside dans l’incapacité de prédire (pour le moment) les changements culturels et les nouvelles appétences des spectateurs.
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Pour autant, peu à peu, l’industrie du cinéma semble s’intéresser davantage à cette pratique que le “modèle Netflix” a popularisée. En effet, la célèbre plateforme de streaming américaine oriente ses futures productions et achats autour d’une technique centrée sur l’usage du data, avec des résultats sans conteste.
Ces mêmes résultats ont peu à peu poussé les studios hollywoodiens, d’abord sceptiques, à croire en cette nouvelle approche, que des professionnels comme Michel Ruelens de ScriptBook défendent fermement. Le développeur affirme que, parmi les nombreux logiciels mis au point, de plus en plus de réalisateurs tendraient à user de l’analyse de données sans l’avouer publiquement.
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Un usage souvent gardé secret
Il pourrait effectivement “être embarrassant pour un cinéaste aguerri de reconnaître qu’il a besoin de se référer aux conseils d’un ordinateur pour savoir ce qu’il y a de mieux à faire pour son film”, explique Ruelens. Cela prouverait que certains préfèrent “assurer la réussite de leur film plutôt que d’offrir un contenu artistiquement innovant, ou intéressant”. Un risque que de nombreux géants du cinéma hésitent encore à prendre.
Toujours selon The Verge, le tournant pris par Century Fox en novembre n’est également pas à prendre à la légère. La firme a en effet expliqué comment l’usage de l’intelligence artificielle lui permettait de valoriser certains mots plutôt que d’autres dans les bandes-annonces et affiches publicitaires, mais aussi “comment les objets choisis dans les scènes d’un film pouvaient le rendre plus attrayant pour certaines audiences”.
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Un véritable avantage ?
Mais ce que reproche ironiquement The Verge à l’analyse de données dans le cinéma, c’est aussi le caractère parfois évident des prédictions effectuées, qui ne semblent pas toujours utiles. “Tout le monde sait qu’un film avec Leonardo DiCaprio ou Tom Cruise aura plutôt tendance à bien fonctionner au box-office”, avance James Vincent, journaliste de l’enquête en question.
Pour les cinéastes, le procédé semble fonctionner plus comme un soutien que comme un véritable élément déterminant. Ainsi, le producteur Andrea Scarso, fier utilisateur de Cinelytic, racontait que le logiciel lui permettait de “valider ou infirmer certaines idées […] et de s’assurer que les choix d’un film sont bien motivés et pas seulement arbitraires”.
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L’intelligence artificielle est aussi le moyen pour lui “de réaliser comment plusieurs décisions autour d’un même projet peuvent avoir une influence massive sur la performance du film à sa sortie”.
Netflix, ce précurseur
Les logiciels de ce type risquent d’envahir le marché du cinéma, d’autant plus maintenant que certaines grandes figures hollywoodiennes revendiquent leur utilisation. La meilleure solution resterait de les utiliser avec parcimonie : l’intelligence artificielle serait un bon complément, capable d’apporter un ensemble de moyens marketing pour sécuriser un univers artistique et donc parfois instable.
Pour l’heure, Tobias Queisser de Cinelytic déplore la réticence encore visible d’Hollywood, qui, “en dépit de ses innovations filmiques à coups de drones et autres inventions, est resté au stade des tableaux Excel et documents Word en matière d’analyse de données”. Pendant ce temps, Netflix continue son ascension avec un software surpuissant, qui lui vaudrait chaque année “plus d’un milliard de dollars”.
Le futur du cinéma pourrait donc dépendre de ces logiciels, discernant autant les préférences des spectateurs d’un territoire donné que les émotions qu’il serait préférable de susciter à travers un film en fonction de sa période de sortie. Et même si ce n’est pas demain la veille que l’intelligence artificielle remplacera les réalisateurs, on se demande quelle serait son influence sur l’inventivité et le libre arbitre d’un cinéaste face aux puissants distributeurs d’un film.