Si la poésie et la philosophie s’acharnent à professer que les yeux sont le miroir de l’âme, la science et la médecine se foutent bien de ce genre d’aphorisme, auquel elles préfèrent la froide beauté de la méthode empirique : dans le monde médical, vos yeux sont le miroir de votre santé cardiovasculaire, et tant pis si ça ne sonne pas comme il faut.
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Mieux : en se basant sur cette corrélation avérée, les équipes de recherche de Google (en partenariat avec sa filiale Verily) ont développé un système algorithmique qui permet d’estimer vos chances de subir une attaque ou une crise cardiaque en observant des clichés de vos rétines. Poétique ? Non, simplement pratique.
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Les résultats de ce travail de recherche ont été publiés ce 19 février dans le journal médical en ligne Nature Biomedical Engineering ainsi que sur le blog de recherche de Google, et sont assez édifiants : l’entreprise assure que son système estime correctement l’état de votre santé cardiovasculaire dans 70 % des cas… soit à peine moins que le protocole couramment utilisé, appelé “Score”, qui requiert un test sanguin et offre 72 % de précision de diagnostic.
L’étude, menée sur près de 300 000 patients, est donc suffisamment solide pour offrir de très intéressantes perspectives d’avenir, même si les auteurs eux-mêmes admettent qu’il faudra affiner les recherches avant de parvenir à une méthode “infaillible”, ou presque.
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De l’importance du fond d’œil
Bon, et du coup, ce lien entre rétine et crise cardiaque ? Plusieurs études ont par le passé montré que la paroi arrière intérieure de l’œil, aussi appelée “fond d’œil”, est parsemée de vaisseaux sanguins, dont l’état révèle la santé générale du corps.
À partir d’un simple examen du fond d’œil, il est donc possible de connaître précisément l’âge ou la pression sanguine d’un individu, ainsi que d’autres facteurs déterminants dans l’estimation des risques cardiovasculaires (comme la consommation ou non de cigarettes). 300 000 dossiers de patients plus tard, et autant d’images de rétines, l’algorithme de machine learning parvenait peu ou prou au même degré de précision que les médecins.
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Si les résultats sont encourageants, ils ne sont cependant pas encore suffisants pour les équipes de Google et Verily, qui, pourtant, n’avaient pas envisagé de travailler sur les risques cardiovasculaires avant de mettre leur IA dessus. L’entreprise, explique The Verge, ne se satisfait plus de “simplement” mettre au point des méthodes de diagnostic algorithmiques plus rapides, moins invasives et au moins aussi efficaces que leur équivalent traditionnel (comme dans le diagnostic du cancer de la peau ou l’analyse radiologique, où l’IA dépasse déjà les meilleurs praticiens pour identifier les pneumonies).
Vers un nouveau paradigme médical
Non, ce qui intéresse Google et Verily, c’est de créer un nouveau paradigme médical, dans lequel les intelligences artificielles mettraient au point des méthodes totalement inédites à partir de l’analyse de données plutôt qu’à partir de conclusions empiriques (en d’autres termes, tâtonner jusqu’à identifier la cause du problème).
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Et l’entreprise ne lésine pas sur les moyens pour y parvenir, en multipliant les partenariats avec les centres hospitaliers et les laboratoires pour son étude Project Baseline, qui n’a pour autre ambition que de “cartographier la santé humaine” avec un coup de main de 10 000 volontaires (et les universités Duke et Stanford).
Pour Lily Peng, qui a dirigé l’étude sur le diagnostic cardiovasculaire, la question n’est pas tant de savoir quand l’IA fera partie intégrante de la recherche médicale, mais plutôt de quelle manière elle révolutionnera la découverte scientifique, que ce soit dans un ou dix ans. En 2018, les algorithmes ont déjà commencé à bousculer les fondamentaux de la médecine.