En l’espace de trois affrontements, AlphaGo a forcé la communauté de joueurs à repenser en profondeur sa conception du jeu. Depuis sa toute première partie contre Lee Sedol, la machine déconcerte tous les observateurs, jouant des coups aussi improbables que magnifiques, voire occasionnellement considérés comme particulièrement mauvais. Un comportement erratique et imprévisible aux yeux des joueurs humains, qui a systématiquement mené la machine à la victoire et devient donc source de curiosité pour la communauté, comme l’ordinateur Deep Blue d’IBM avant lui, lorsque ce dernier terrassait l’immense champion d’échecs Garry Kasparov en mondovision.
Pour tenter de comprendre comment l’IA s’y prend, DeepMind va lancer un outil d’apprentissage, développé en collaboration avec Ke Jie, qui permettra aux joueurs de demander à AlphaGo d’analyser des positions – en d’autres termes, la plateforme leur permettra de voir le jeu du point de vue de la machine. Parallèlement à cela, l’entreprise a commencé à publier les données d’une cinquantaine de parties menées par AlphaGo contre elle-même, l’une des nombreuses (et passionnantes) étapes de son “entraînement”. Des données inestimables pour les joueurs, qui commencent à s’inspirer de la machine pour imiter ses plans de jeu et le style totalement inédit qu’elle a inventé en jouant des millions de parties contre elle-même.
DeepMind a également promis de publier un article dans une revue scientifique qui détaillera, l’année qui vient, toutes les améliorations apportées à l’algorithme depuis sa mise en service, avec l’idée que les professionnels du machine learning adapté au jeu de go s’en inspirent pour développer leurs propres machines. En janvier 2016, la publication d’un article similaire avait permis à la concurrence, les Chinois Fine Arts et les Japonais Deep Zen Go, de faire progresser subitement leurs IA au point de talonner le champion de Google. Seul (léger) regret : AlphaGo, contrairement à d’autres IA made in Google, ne sera pas open source. Grâce à ses outils, il est possible que le jeu de go des années à venir n’ait plus rien à voir avec celui qui, des siècles durant, fut joué par des entités de chair et d’os partout dans le monde.
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Prochaine étape : la médecine ?
Pendant que l’élite du jeu de go attend de recevoir ses futurs cadeaux, les équipes de DeepMind ont déjà annoncé la prochaine affectation de leur enfant prodige : la médecine générale, et plus exactement les hôpitaux publics. “Nous allons développer des algorithmes généraux qui pourraient un jour aider les scientifiques à résoudre les problèmes les plus complexes, comme la découverte de remèdes pour les maladies, réduire drastiquement la consommation d’énergie ou inventer de nouveaux matériaux révolutionnaires.” Un programme ambitieux déjà concrétisé via plusieurs partenariats en Angleterre dont une collaboration massive signée en 2016 entre DeepMind et le service public de santé britannique (NHS) : la création d’une entité, DeepMind Health, pour aider le corps médical anglais à mieux traiter les maladies rénales via une application, Streams, qui permet aux patients d’alerter les médecins en cas de détérioration de leur condition.
Si le projet était initialement accueilli avec beaucoup de joie par les professionnels de la santé, le scepticisme n’a fait que grandir au fil des mois, l’accès à une gigantesque base de données nationale offert à Google par les autorités britanniques faisant débat. En mars dernier, une étude menée par des chercheurs de Cambridge estimait ce partenariat “inexcusable”, Google (via DeepMind) ayant accès aux dossiers médicaux d’un million de patients britanniques sans l’accord de ces derniers, le tout en l’absence totale de régulation formelle. Depuis le 20 mai, la collaboration entre l’entreprise américaine et le gouvernement est placée sous la surveillance de deux organes de régulation des données britanniques, le National Data Guardian et l’Information Commissioner’s Office. DeepMind et AlphaGo ont peut-être maîtrisé le jeu de go en quelques années au point de terminer invaincus, mais s’attaquer à la privatisation des services publics est une compétition autrement plus complexe.
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