Tinder, Adopte, Happn… En amour, l’orgie des possibles nous monte à la tête. Et si on changeait de modèle ?
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“T’es où ? Je suis venu chez Raoul juste parce que je voulais te voir, en vrai…” Voilà le genre de SMS qui, même s’il émane d’un jeune homme qui ne te déplaît pas, est plutôt du genre à te faire sourire derrière ton écran. J’y répondais en me payant le luxe de la jouer impertinente, arrogante, voire : “J’arrive d’ici une bonne heure, tu pourras supporter l’attente ? Tiens le coup !”
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J’étais pourtant à cet instant précis en train de me vautrer dans la naïveté, façon petit cochon qui se roule dans la boue. Car une fois arrivée sur zone, après avoir feint une entrée décontractée, claqué des bises et m’être remis du crayon dans la salle de bain, je l’apercevais, le jeune homme impatient. Avachi dans un canap’, la main sur la nuque d’une blondinette.
Son pouce qui montait et descendait derrière son oreille, quelle salope, j’adore qu’on me caresse derrière les oreilles, et surtout, surtout, détail de taille, sa langue dans la bouche de la blondinette en question. Vous ne serez, je pense, pas surpris, si je vous dis que ça n’a pas été ma soirée préférée de 2015.
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Le lendemain, je recevais une salve de messages me suppliant de ne pas le détester. Jetons s’ils vous plaît un voile pudique sur le fait évident qu’un mec qui ne peut pas t’attendre une heure est un mec à qui tu ne plais pas vraiment, et intéressons-nous à notre sujet. Il m’écrivait: “Je fais n’imp’ avec les meufs, je suis dans une période de zapping compulsif, et je me sens juste tellement glauque.” Je me sentais de moyenne humeur à lui remonter le moral, mais voilà un propos qui m’a intéressée.
Perdus dans la jungle de la chope
Car voilà un discours qui m’a rappelée beaucoup de conversations que j’ai eues. Des milliers, au moins. Peut-on trop choper ? Entre les applications smartphone, les sites et les bonnes vieilles soirées, avons-nous trop de moyens pour fricoter les uns avec les autres aujourd’hui ? Cette orgie de possibles nous rend-elle fous, en quête perpétuelle d’un “mieux” qui se planquerait peut-être quelque part ?
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Il ne s’agit pas d’écrire la complainte des mecs et des meufs les plus hot de Paris qui se plaignent de ne plus savoir où donner de la tête tellement la terre entière les veut. Loin non plus de moi l’idée de vouloir défaire mai 68, plutôt mourir que de passer ma vie à faire l’étoile de mer sous un mari que je n’ai pas choisi. Mais je crois que l’ultra-libéralisme sexuel est parfois un peu lourd à porter sur nos petite épaules.
Prenez Mathias par exemple. Mathias a tout pour lui. Il a 33 piges et a monté deux entreprises, il passe sa vie entre Londres et Paris dans des espaces de co-working tout cozy où il instagramme son Mac Book et son café. Et a des cheveux bouclés trop cools. C’est mon pote, et à chaque fois que le vois, il me parle d’une petite meuf différente.
Quand je lui dis que j’écris sur l’éventualité d’un “trop de choix” dans les rencontres pour notre génération, il abonde.
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C’est exactement ça. Nous avons un sentiment d’abondance et de choix, couplé avec la facilité qu’apportent les trucs comme Tinder, qui nous poussent à ne jamais nous engager. De peur de rater quelque chose de meilleur. Mais avec cette logique, on ne sera jamais satisfait, voire on passera notre vie tout seul. Je voudrais aller dater loin, loin, de tout ce bordel.
Je crois qu’il a glissé ces mots avec un zest de lassitude. Où aller… En Amazonie peut-être ?
“Sur Happn les mecs défilent comme sur un catalogue, t’as toujours envie de trouver s’il n’y en a pas un mieux”
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Quelques heures plus tard, je discute avec Léa. Petite Parisienne avec une montre jaune qui défonce et le cerveau qui va vite, tu le sens dès les premières minutes de conversation. Elle trouve “cruels” les codes du célibat et la “société du zapping”. Ils me touchent tous les deux, et je trouve ça presque absurde de les entendre parler chacun de son côté de leur galère dans la jungle de la chope. J’aurais envie des les présenter l’un à l’autre, façon comédie romantique de Noël.
Quand je me suis retrouvée célibataire, raconte Léa, je me suis inscrite sur Tinder, Happn, Adopte un mec, Once, Match… Au début, j’étais très enthousiaste, le monde s’offrait à moi. Mais en fait j’ai tout désinstallé, ça me montait à la tête. Sur Happn les mecs défilent comme sur un catalogue, t’as toujours envie de trouver s’il n’y en a pas un mieux.
Paul a la trentaine et sort d’une période “chope intensive”. Il a tout arrêté, “dégoûté” par lui-même.
J’étais comme un gosse dans un magasin de jouets. Je voulais tester toutes les beautés des corps mais je m’intéressais pas beaucoup à la personne. J’avais à peine couché avec une fille que je regardais les autres, elle partait dans la cuisine et je rallumais Tinder. Ah tiens elle elle me plaît, elle a des cheveux bouclés j’adore, elle, elle est métisse, etc. C’était sans fin.
Quand je parle avec Paul, je pense à Pierre Rahbi, le paysan gourou en Ardèche. C’est un genre d’écolo charismatique qui prône la décroissance et le retour à la terre, donne des conférences qui font salle comble. Pour décrire notre société de consommation, il évoque une “surabondance sans joie”.
C’est exactement ce que m’inspire ce que me raconte Paul. Pas pour le juger, c’est lui qui me le dit, que c’était triste au final. Du cul, du cul, du cul, des cheveux de brune, de blonde et de rousse à ramasser sur son oreiller, des draps à changer quatre fois par semaine, des orgasmes mécaniques sans surprise, des mois et des mois passés à se mettre à poil sans jamais se mettre à nu.
Peut-on devenir décroissant du cul ?
Faudrait-il se revendiquer écolo de la chope, décroissant du cul ? Choper moins mais mieux ? La tendance existe. Jean Meyer a lancé Once, une application qui se veut de “slow dating” où l’on te propose un seul profil par jour. Je l’ai interviewé pendant sa promo. C’est un gars adorable de 30 piges, qui rigole tout le temps et décline son CV de petit génie en sirotant peinard son petit smoothie à la papaye. Il avance :
Nous n’avons jamais été autant connectés et nous n’avons jamais été aussi seuls. Notre drame est que nous avons trop de choix. Nous sommes amoureux de la phase passion et nous y sommes dépendants, sérieusement dépendants, comme à de la cocaïne. Les multiples outils nous permettent d’avoir accès à ce nouveau frisson tellement facilement que nous n’avons pas à nous remettre en question, jamais.
Pourquoi diable en effet se demander où j’ai merdé avec telle personne, pourquoi vouloir rattraper le coup, puisque je peux en trouver une autre dans deux heures ? C’est ce que me raconte Thibault. Davantage de mecs que de filles ont accepté de répondre à mes questions. Je pense que les filles célibataires ont plus de pression à avouer qu’elles galèrent, qu’elles se sentent seules parfois, de peur de passer pour la Bridget Jones, la fille désespérée.
“Notre génération n’a plus le temps de douter”
Thibault, lui, estime que notre génération n’a “plus le temps de douter”. J’adore cette formule.
Plus le temps de douter, cela veut dire plus de temps de construire. On ne pose pas les fondations de la relation, donc forcément au premier coup de vent, ça s’écroule. Avant, quand je repérais une fille, je mettais en place des stratagèmes pour la revoir sans l’attaquer frontalement… Il se passait des longs moments, des semaines voire des mois où je doutais, où je ne savais pas si la personne était intéressée aussi.
Ce sont tous ces moments qui faisaient au final que je ne me barrais pas à la première nouvelle opportunité. Alors, c’est bien quand tu veux juste baiser, du coup c’est d’une facilité absolue. Le problème vient quand tu veux un peu te caser, quand l’hiver est long et que tu préférerais rester au chaud avec une meuf cool.
Stéphane, musicien d’une trentaine d’années, abonde. Lui aussi friquote à droite à gauche.
Je fais en sorte que ma vie soit pleine de surprises et de folies, mais j’ai conscience que je peux passer à côté de quelque chose. Comme ce petit SMS que tu reçois le matin, “Bonne journée mon chéri, je t’aime”, qui te donne une énergie indescriptible, qui te ferait déplacer des montagnes.
Alors, bonne journée quand même les chéris.
Judith Duportail