La “Génération Bataclan”, nous définit-elle vraiment ? Rien n’est moins sûr.
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Oui, nous resterons marqués à vie. Comme un sceau cruel et aveugle, la terreur restera gravée dans notre mémoire. Vendredi. 13. Novembre. En cette fin d’année 2015, l’expression “Génération Bataclan”, proposée en une de Libération le 16 novembre, avec bienveillance, aura mis un nom sur une émotion, qui imprègnera nos souvenirs à travers une trame sensorielle faite de sirènes, de peur et murs criblés de balles.
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Est-ce qu’une génération peut se former après un événement aussi terrible ? Est-ce que cet événement doit être le terreau d’identification d’une génération ? On peut en douter. La jeunesse française ne peut être résumée à un concert qui s’est tenu un vendredi soir dans le XIe de Paris. Le seul drapeau que cette génération porterait serait alors celui de l’insouciance : sortir plus, s’amuser, boire plus. En réaction aux attentats, il fallait le marteler au lendemain des attaques, et nous l’avons fait. Puis le sous-titre : nous serions “festifs, ouverts, cosmopolites”. Oui, peut être. Mais tout autant que la génération “X” des années 90.
Cette tragédie a eu pour effet un sursaut d’orgueil et de solidarité formidable. Mais cet élan ne peut résumer les fondements de notre identité, ni créer une communauté d’esprit, qui aurait éclos du jour au lendemain. La “Génération Bataclan” est vouée à être éphémère. Si elle a rassemblé une partie de la jeunesse dans les rues françaises, il n’est pas sûr qu’elle perdurera, une fois l’émotion passée.
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À quelle “génération” appartenons-nous finalement ? À la génération chômage. Vendredi 26 novembre, à la veille de l’hommage national rendu aux 130 victimes des attentats, comme un couperet, les chiffres sont tombés : 42.000 chômeurs en plus. Les jeunes sont les premiers concernés. En dessous de 25 ans, le chômage touche plus de 25% des personnes. Parfois près de 35% chez les jeunes de quartiers populaires et même 43% des jeunes actifs. Près de la moitié de la jeunesse n’a pas de travail dans les Zones urbaines sensibles (ZUS).
La voilà, notre vraie “guerre”. Une guerre contre la précarité. Une guerre contre la peur du lendemain. Oui, Daech peut nous blesser, nous fusiller en terrasse ou lors d’un concert, et c’est atroce, surtout quand nous ne sommes pas responsables de la politique étrangère de notre pays. Mais le chômage meurtrit notre génération, tous les jours, et depuis des années nous donnant paradoxalement une conscience générationnelle tout en fusillant notre propre vivre ensemble. On aurait tout aussi pu bien dire “Génération stagiaires”, tout le monde aurait pu s’identifier, qu’on sorte de BTS comme de Paris-Dauphine ou d’écoles privées. Cela traverse toutes les couches sociologiques de notre “génération”, et ici le terme fait sens, car chômage et précarité ne font pas de quartier.
Les bac +5 qui ne trouvent pas d’emploi. Les réponses similaires des gouvernements successifs à base “d’emplois jeunes”. La non compréhension par les plus âgés d’une génération non pas “Y”, non pas determinée par sa propension à être en phase avec des ressorts technologiques et individualistes, mais formée sur des cendres. Celles de guerres qu’elle n’a jamais connues, celles des baby-boomers qui ont profité des Trente Glorieuses, celles d’un État puissant.
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Le résultat est une génération chômage, une génération qui s’est progressivement dépolitisée, n’ayant plus confiance dans les partis et plus largement dans l’action politique. S’il fallait des critères pour former une “génération”, ils sont avant tout socio-économiques. Il serait idiot de dire que nous sommes tous technophiles, hyper-connectés, entrepreneurs, rebelles, créatifs ou impatients : voilà des mots creux relayés par des médias pour tenter de définir ce que nous avons en commun.
De fait, comment faire corps lorsque l’abattement et la peur sont le pain quotidien ? Comment faire corps quand, à ces critères, s’ajoutent des attentats qui nous visent, nous, jeunes, les “millenials”, les “digital natives”, les 13 millions de Français nés entre 1978 et 1994, pris entre deux feux d’une guerre qui ne dit pas son nom et dont on pensait, naïvement, que son théâtre était à des milliers de kilomètres ? Las, on ne peut pas. Et dans un climat où certains, désabusés, décident de choisir le FN comme point d’accroche, on ne peut que désespérer de voir un parti d’extrême-droite devenir le drapeau nauséabond d’une partie de la jeunesse.
L’unique solution qui existe est d’ancrer cette idée de génération chômage dans les décisions de nos responsables politiques. Marteler l’importance de cette expression qui n’est en rien le fait d’une émotion et d’un événement dramatique mais d’une réalité désastreuse. Aux yeux de chaque gouvernement, les jeunes étaient considérés comme la “priorité” : Hollande comme Sarkozy, pour ne citer que les plus récents, devaient y répondre.
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Ce vendredi 27 novembre, la classe politique était au chevet d’une génération dite “Bataclan”. Qu’elle y reste, à notre chevet. Qu’elle comprenne que le lit est plus grand : il recueille des centaines de milliers de jeunes qui n’ont pas de travail, qui sont indéfiniment stagiaires, ou vivent de statuts précaires.
Alors, avant de nous considérer selon nos habitudes de sorties, notre ouverture, nos religions ou notre lieu de résidence, sachez une chose : nous sommes aussi tous unis par la peur du chômage. Nous ne sommes pas seulement des “festifs”, des personnes qui vont s’amuser en terrasse. Nous pouvons être sérieux, motivés, éclairés, sans frontières, productifs, ouverts, forts. Et nous sommes surtout l’avenir de ce pays. À vous de nous faire confiance.