Le but des récoltes, c’est dénoncer le gaspillage. Alors emmener les gens c’est encore mieux : c’est là qu’on peut les sensibiliser, qu’une prise de conscience peut s’opérer. On invite d’ailleurs les gens à qui ça plaît à le faire avec d’autres pour les initier à leur tour.
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Arrivés peu après 21h30, nous retrouvons les participants à la récolte de la nuit. Ils sont jeunes, entre 20 et 30 ans, et entre eux s’appellent “freegans” ou “glaneurs”. Ce soir, deux journalistes compris, nous sommes 14 – soit tout juste assez pour rentrer dans les trois voitures qui nous serviront de moyen de locomotion. Les curieux (comme les journalistes) sont toujours plus nombreux selon Jacqueline. “De plus en plus de monde qui vient aux récoltes. C’est bien mais on commence a être trop”, admet-elle. “On aimerait ne pas toujours être les seuls moteurs de cette initiative”.
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Se prendre en main
“C’est fou de jeter des produits toxiques dans des poubelles…”
“On ne pourra jamais tout emporter”
Aucun signe d’alerte ne sera répertorié non plus lors de la récolte suivante, la plus fructueuse de la soirée. Aux abords d’un hypermarché hard discount, Ben escalade la clôture en quête de découvertes. Quelques instants plus tard, il revient vers nous, extatique : “Y’a bon, là, y’a bon !” C’est définitivement la réaction la plus enthousiaste à laquelle j’ai assisté face à des bennes à ordures.
Depuis l’autre côté de la barrière, on en distingue au moins huit complètement remplies. Elles sont pleines. J’attends de l’autre côté de la barrière avec Leïla pour récupérer les sacs. Peinant à patienter, elle enrage devant la misérable contenance de notre Twingo. “On ne pourra jamais tout emporter… Avec un fourgon, au moins, tu remplis à gogo !”
Pendant que nos trois compères partent à l’inspection des poubelles, elle m’entretient de ses maraudes, ses combines, ses démerdes. Très vite, elle étend son action à une pensée globale : “Est-ce qu’il faudrait pas réduire la production pour qu’il y ait moins de gaspillage ? C’est bien ! Aujourd’hui, j’ai pu récupérer mais tout le monde n’en a pas l’envie, ni l’idée… […] Et il n’y a pas que l’industriel, il y a aussi les franchises bio où on arrive à récupérer”. Tout comme Jacqueline, Leïla me confie qu’elle ne rentre plus dans les supermarchés. Ou du moins, plus par devant.
Leïla est convaincue de l’utilité d’emmener des consommateurs en maraudes pour que la prise de conscience fonctionne. “Mais comment sensibiliser les gens ?” La question est rhétorique, tant la jeune femme peine à rassembler autour d’elle. Ex-bénévole aux Restos du Cœur, elle a vu arriver “de plus en plus de jeunes”. Pour elle, la crise s’envisage sur un mode global et chacun devrait prendre part à la récupération :
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Ce qui me gêne, c’est que ce soit interdit alors que c’est dans une poubelle. Alors que c’est comme si quelqu’un jetait un meuble : je ne vois pas en quoi ça dérangerait qu’on le récupère.
L’heure de l’inventaire
On n’avait pas tellement de place pour transporter mais on a des produits de qualité, on n’a pas eu de problème avec la police, je crois que tout le monde a passé une bonne soirée… C’est un bilan positif !
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Sur ces paroles, nous rentrons nous coucher. Demain, il faudra accomplir l’autre moitié du travail.
La désobéissance civile dans la joie
C’est super parce qu’avec une petite retraite comme la mienne, ça m’aide beaucoup ! J’aimerais bien participer aussi mais je n’ai pas de voitures, des enfants à garder… et c’est la nuit. Mais le gaspillage alimentaire, c’est énorme. C’est énorme ! Des gens n’ont pas les moyens, ici ! En France ! …et se retrouvent aux Restos du Cœur… et quand on voit tout ce qui est jeté dans les poubelles… ça peut nourrir des familles entières !
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Elle répète encore “des familles” deux fois, me fixant droit dans les yeux, comme si l’ampleur du désastre nous dépassait tous les deux. Je ne sais pas si c’est l’air d’accordéon qui lui a donné l’inspiration, mais elle part ensuite dans une diatribe de l’État “-voyou”, du système et du capital, “qu’il faut toujours grossir aux dépens des autres gens”. Malgré tout, quand elle s’éloigne, c’est en souriant et les bras chargés de marchandises.
Une grande distribution, des alternatives
Un quart d’heure après notre arrivée et ce grand déballage, la foule est déjà clairsemée. Restent les amis et les habitants du squat. On discute entre nous, glanage, musique, ZAD… Mais c’est un bilan en demi-teinte pour Jacqueline : avec les annonces des actions sur Facebook, les habitués sont au courant et viennent se servir. Or les badauds vraiment intéressés ne sont pas si nombreux :
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Le but, c’est de faire de la sensibilisation dans la durée. Aujourd’hui, on a parlé avec les gens qui sont venus nous attendre, mais pas vraiment avec les habitants du quartier. C’est dommage. Peut-être faut-il qu’on se remette à lancer des distributions sauvages, et non plus à les annoncer en avance.
Là on rate un peu la diffusion de notre vrai message : arrêtons ce système de gaspillage alimentaire, essayons de reprendre conscience de là d’où vient la nourriture, envisageons d’autres systèmes que celui de la grande distribution.