Le long-métrage de Netflix sur le tristement célèbre festival est disponible depuis vendredi dernier sur la plateforme. L’occasion de se plonger dans les coulisses d’une immense supercherie.
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On vous parlait récemment d’un documentaire de Netflix sur le Fyre Festival. La sortie du long-métrage de Chris Smith, le 18 janvier dernier, n’a pas manqué de faire réagir tant le désastre avait marqué les esprits. Si le fiasco était déjà connu de beaucoup, les détails mis à jour par le docu sont encore plus perturbants et lèvent le voile sur les dessous d’un système tout sauf huilé, fondé quasi uniquement sur des promesses intenables et une communication aguicheuse.
Intitulé très justement Fyre : The Greatest Party That Never Happened, le show retrace durant près de 1 h 40 la genèse de l’un des plus gros fails de l’histoire moderne. Un véritable modèle de tout ce qu’il ne faut pas faire pour tous ceux qui souhaitent se lancer dans l’événementiel. D’autant plus que le film est richement fourni et comporte de nombreuses preuves accablantes, puisque l’organisation a eu l’excellente idée de filmer quasiment toutes les réunions et discussions une fois sur place. Y compris celles avec le désormais célèbre Billy McFarland.
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Promotion ≠ logistique
Sur Wikipédia, il est présenté comme tel :
“William Z. McFarland est un criminel reconnu coupable d’avoir escroqué des investisseurs pour un montant de 27,4 millions de dollars. Il était le fondateur et le PDG de Fyre Media qui avait promu le Fyre Festival, un festival de musique qui fraudait les acheteurs de billets.”
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Difficile de contredire cette présentation après le visionnage du documentaire. Tout est résumé en quelques mots. Mais le plus intéressant demeure la façon dont Billy McFarland a réussi à draguer à merveille les investisseurs et récolter des millions de dollars, en échange d’énormes mensonges, sans la moindre garantie. Ayant en tête l’idée d’organiser un “Coachella du riche” pour promouvoir une application de booking d’artistes, le pseudo-entrepreneur va repousser toutes les limites imaginables. “On vend du rêve aux losers”, assène même Billy McFarland, plein de sang-froid, dans une séquence assez déroutante.
Tout commence une fois sur place. Toute l’équipe tourne des vidéos promotionnelles avec d’éminentes mannequins, et commence à réfléchir à la logistique. Enfin ça, c’était le programme de base, car il n’y a pas vraiment de logistique, et tout le monde – à commencer par les deux co-fondateurs, le rappeur Ja Rule et Billy McFarland – finit bien bourré sur une plage paradisiaque Bahamas .
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Néanmoins, les images sont là : des meufs avec des dizaines de millions d’abonnés Instagram qui courent en bikini dans du sable fin et se baignent dans une mer cristalline. Si l’équipe en charge de la promotion se révèle au top, il aurait fallu un vrai leader, rationnel et capable de gérer les problèmes qui s’accumulaient. Tout ce que ce bon vieux Billy n’a pas su faire. Avec uniquement de jolies images et le soutien d’influenceuses de poids, le Fyre Festival se fait néanmoins un nom et parvient à duper tout le Web.
Organisateur de festival ≠ entrepreneur
Il faut bien reconnaître que sur le papier, tout avait l’air paradisiaque. Mais le manque flagrant de professionnalisme va venir gangrener ce programme idyllique et, disons-le, clairement utopique. Dès le départ, les vrais professionnels du secteur sont stupéfaits de la façon de travailler des organisateurs et remarquent de nombreux détails qui clochent.
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Ne serait-ce que pour la capacité d’accueil de l’île largement surpassée, ou les vols (inclus dans le prix exorbitant du billet) qui n’étaient ni payés ni même réservés. Mais Billy McFarland fait partie de ces gens qui parviennent à convaincre n’importe qui d’à peu près n’importe quoi – même si des doutes persistent.
Comme le dit l’un des protagonistes interrogés dans le cadre du documentaire, “soit c’était un génie, soit c’était de la folie”. Et quand on sait que la frontière est parfois très mince entre les deux, il suffit d’une bonne dose de charisme et d’optimisme pour faire croire ce qu’il souhaite faire croire.
Le documentaire nous montre un entrepreneur complètement déconnecté de la réalité. On pense notamment au moment où il suggère avec insistance à l’un de ses employés (homosexuel) d’effectuer une fellation à un douanier, pour qu’il laisse une cargaison d’eau arriver gratuitement et ainsi “sauver le festival”. Et le pire, c’est que Billy a tellement d’emprise sur les gens que son collègue était prêt à aller au bout de sa requête.
Fyre dépeint un personnage avec une soif insatiable de réussite, peu importe les moyens, tant que cela peut rapporter de l’argent et du buzz. Finalement, seuls les artistes ont été prévenus du désastre, tandis que les festivaliers ont évité le pire malgré l’inconscience de l’équipe du Fyre Festival. S’il n’y a aucun mort ni blessé grave à déplorer, la situation aurait pu être dramatique.
Car en plus de la gestion désastreuse, et surtout des mensonges délibérés, les conditions météorologiques n’ont même pas joué en faveur de l’organisation, avec une tempête la veille de l’événement. Comme si la nature avait décidé de prouver à la bande de Billy McFarland et Ja Rule que l’on n’organise pas un tel projet de cette façon – d’autant plus qu’il aurait dû être annulé plusieurs jours à l’avance. Depuis, le Fyre Festival est devenu la risée de la profession. Avant de se lancer dans une telle aventure, avec de tels risques humains et financiers, autant s’y connaître un petit peu : ça peut être pratique.
Instagram ≠ la vraie vie
Mais au-delà du fiasco total de l’événement, le Fyre Festival se révèle très intéressant sur bien des points, notamment celui de l’utilisation des réseaux sociaux, en particulier Instagram. Fondé avant tout sur l’image, le réseau social a joué un bien vilain tour à tous ceux qui aiment se coller une étiquette “influenceur/influenceuse” sur le front. Le voyage sur l’île de Great Exuma a d’ailleurs été un sacré retour à la réalité pour eux.
Invités, ils pensaient profiter de leur statut. Il faut dire que leur séjour devait être totalement gratuit, en échange de publicité sur leur compte. Difficile de leur jeter la pierre, mais l’image est assez forte. Encore plus pour toute cette population en quête perpétuelle d’événements parfaitement “instagramables”, capable de lâcher des sommes folles pour un event dont on ne connaissait rien si ce n’est un line-up assez prometteur (Migos, Major Lazer, Skepta, Rae Sremmurd, Lil Yachty, Disclosure…).
Avouons-le : c’est assez jouissif de voir des starlettes, dans une telle situation de panique générale, subir un retour de bâton aussi violent. Qui ne s’est pas tapé une grosse barre en voyant des gens se vanter de prendre part à l’un des événements de l’année 2017 et débourser des milliers de dollars, pour finalement manger ce sandwich au fromage d’ores et déjà légendaire ?
Hey @GordonRamsay what would you rate #fyrefestival gourmet meals? pic.twitter.com/SYJIgwAIYp
— Rain Man (@omgRainMan) 28 avril 2017
La responsabilité des influenceurs est aussi engagée. Comment peut-on conseiller à des millions de gens qui vous admirent d’aller à un festival dont on ne sait rien, et pour lequel il faut débourser des montants astronomiques ? L’échec cuisant du Fyre Festival est également l’occasion de se poser cette question.
Le rôle de la presse a lui aussi été déterminant. Car si une partie d’entre elle s’est enflammée après quelques clichés Instagram de célèbres mannequins (et est donc également responsable de l’engouement autour de cette supercherie), une autre partie a souhaité enquêter sur les dessous de cette affaire. Une journaliste de Vice News, interrogée par le documentariste, a ainsi su anticiper avant tout le monde le drame qui s’annonçait.
Cependant, les conséquences ont été désastreuses pour les locaux, puisque Billy McFarland n’a toujours pas payé les employés de cette petite île bahaméenne, alors que concrètement il y a foutu le bordel pendant des semaines. Car ce sont sûrement eux qui ont le plus souffert du Fyre Festival. La désillusion est d’autant plus grande que Billy expliquait que ce n’était “que le premier pas pour faire refleurir les Bahamas”.
On a une pensée émue pour la cuisinière Maryann Roll, qui n’avait pas demandé grand-chose, mais s’est finalement retrouvée à dépenser toutes ses économies (50 000 dollars) pour payer ses employés durant la durée du désastre et les factures causées par l’incompétence de l’orga. Un passage très émouvant, qui a touché des spectateurs puisqu’une cagnotte a été lancée pour la dédommager, et a déjà recueilli plus d’une centaine de milliers de dollars (!), comme le rapporte The Fader.
Puissance ≠ impunité (enfin pas toujours)
Comme a pu le montrer la série Elite (même si elle est franchement mauvaise), les puissants (c’est-à-dire les riches) ont cette fâcheuse tendance de s’en sortir comme si de rien n’était, là où la classe moyenne se fait allumer pour s’être garée à des endroits interdits ou pour avoir jeté un mégot dans la rue. Bref. Le “je n’irai pas en prison” du principal concerné, Billy McFarland, lorsqu’il apprend la peine qu’il encourt, est plutôt consternant et insupportable.
D’autant plus qu’il y a encore plus sidérant. Quelques semaines après ce flop, Billy a repris du service. Désormais escroc notoire, il parvient au début de l’année 2018 à poursuivre ces activités illégales avec une nouvelle arnaque : “NYC VIP Access”. Mais heureusement, la limite est bel et bien franchie, et l’homme d’affaires se fait griller en quelques semaines et n’a plus aucune excuse sur ses agissements. On ne va pas se mentir, il est difficile de ne pas prendre son pied quand on sait qu’il est aujourd’hui incarcéré. En plus de sa peine de six ans, il devra rembourser tout l’argent récolté.
Finalement, on se retrouve avec un événement à plusieurs dizaines de millions de dollars, mais qui n’en a rapporté que quelques dizaines, et une situation qui aurait pu dégénérer à tout moment. Sans évoquer l’image désastreuse pour toutes les personnes impliquées de près ou de loin, notamment Ja Rule.
Son rôle est toujours un peu flou après avoir pris connaissance du documentaire. Si pour certains, il n’est que la figure promotionnelle du festival (chargé de “la connexion avec les artistes”), pour d’autres, il a pleinement une part de responsabilité dans tout ce processus foireux. En tout cas, il n’est pas resté insensible devant le docu de Netflix (et celui de Hulu, sorti un peu plus tôt) et a tenu à donner sa version des faits sur Twitter. Mais il n’empêche que Fyre: The Greatest Party That Never Happened se révèle très pertinent sur bien des points, et dépeint un festival mort comme il est né : avec les réseaux sociaux.
FYRE: The Greatest Party That Never Happened est disponible sur Netflix depuis le vendredi 18 janvier.