Décidément, en cette période agitée sur le plan de la sécurité intérieur, le député LR des Alpes-Maritimes Éric Ciotti n’en finit plus d’avoir des idées pour lutter contre la radicalisation en ligne : après avoir proposé la fermeture sans délai de Facebook et Twitter, soi-disant “complices” de Daech – la phrase est du député PS Olivier Falorni –, et l’interdiction de l’iPhone, l’élu a trouvé une nouvelle parade “pour mettre fin à cette impunité qui règne sur Internet”.
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L’idée ? “Rendre obligatoire pour les réseaux sociaux la vérification de l’identité de leurs membres”, a-t-il déclaré à Nice-Matin. Comment ? En fournissant au préalable une pièce d’identité au site, tout simplement. Après tout, y’a pas d’raison, on le fait bien IRL, non ? Libre ensuite à l’utilisateur de choisir un pseudonyme pour utiliser la plateforme, précise le magnanime député, tant que les autorités peuvent “savoir qui se cache derrière ce compte en quelques minutes” en demandant gentiment à Facebook, Twitter ou Snapchat de fournir le document. En bref, la stratégie du contrôle d’identité – “papiers, s’iouplaît”– appliquée au virtuel pour lutter contre la diffusion de la propagande de Daech. Comme si Internet et le monde réel obéissaient aux mêmes lois.
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Déplacer le problème
Si la propagande et la radicalisation en ligne sont évidemment des problèmes à combattre autant que possible, l’idée d’Éric Ciotti se heurte à une foule d’obstacles avant même sa traduction en projet de loi. Numerama, dans un papier du 4 août, revient sur les différentes raisons pour lesquelles la vérification de l’identité en ligne n’aurait à peu près aucun effet sur la diffusion de la propagande djihadiste et, à l’inverse, risquerait de faire beaucoup de mal à l’Internet tel que nous le connaissons.
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Premièrement, en plus de durcir graduellement sa politique de lutte contre les pseudonymes (avec, entre autres, des conséquence désastreuses pour les journalistes), Facebook coopère déjà avec le ministère de l’Intérieur lorsque celui-ci a besoin d’informations ou souhaite éviter la propagation de photos de propagande, à l’image de celle de l’intérieur du Bataclan supprimée 32 000 fois sur demande de la place Beauvau. Deuxièmement, si une telle loi devait un jour être promulguée, il est à peu près certain que les terroristes en puissance s’adapteraient en utilisant d’autres moyens de diffusions anonymes, comme ils nous l’ont prouvé en s’entichant du cryptage end-to-end de l’application de messagerie Telegram dès 2015. Un simple déplacement du problème et un effet quasi nul sur les cibles visées par le dispositif, donc.
Et en cas de piratage, on fait quoi ?
Du côté des réseaux sociaux, en revanche, il y a fort à parier que les utilisateurs verraient d’un très, très mauvais œil l’idée de voir un scan de leur carte d’identité stockée dans les serveurs d’entreprises américaines, tant pour des questions (évidentes) de vie privée que de sécurité : tout le monde n’a pas des serveurs aussi protégés que ceux de Facebook, loin de là. Pour rappel, le 10 juin dernier, 32 millions de comptes Twitter et leurs informations étaient piratés et revendus en ligne. Imaginez seulement l’impact d’un tel piratage si ces bases de données incluaient des scans de papiers d’identité… Bilan : plus de surveillance, une catastrophe pour la vie privée en ligne, un risque d’usurpation de l’identité décuplé, des utilisateurs paranos et des terroristes pas vraiment gênés par le dispositif.
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Éric Ciotti l’admet lui-même dans Nice-Martin, “il n’existe pas de solution miracle” face à la propagande en ligne. Néanmoins, la stratégie de la surveillance généralisée des plateformes d’échange et/ou des outils de communication sur Internet, préconisée par le député, est plus proche du danger que de la solution – et on est très très loin du miracle. Le droit à l’anonymat en ligne est l’un des piliers d’Internet, peu importe le paradigme sécuritaire, et doit à tout prix le rester. Pénaliser le plus grand nombre pour l’identification et l’arrestation d’une infime minorité , si dangereuse soit-elle, n’est pas un mode d’action viable à long terme. Éric Ciotti le sait, mais l’occasion de se replacer dans la course à la récupération politique était probablement trop belle.