Dites bonjour à “FaceTinder”. Impossible de ne pas faire l’association des deux termes – et la presse américaine ne s’en est d’ailleurs pas privée — à l’issue de la keynote inaugurale de la conférence annuelle F8 du réseau social, le 1er mai, qui a annoncé le déploiement prochain d’un ensemble d’outils de… rencontres amoureuses. Contrairement à d’autres annonces plus convenues, celle effectuée par un Mark Zuckerberg sourire en coin a semblé sortir de nulle part, surprenant à la fois les développeurs et les journalistes présents en Californie.
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Il est vrai, rétrospectivement, que Zuckerberg et ses chefs de produits ânonnent depuis longtemps déjà leurs ambitions de “rapprocher les gens” (“bringing people closer together”), mais pas au point de… enfin, de… voilà, quoi. Vrai aussi que l’embryon de Facebook était un site, baptisé Facemash, qui permettait aux étudiants de voter pour leurs homologues les plus sexy.
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Et rappelons-nous qu’il n’y a pas si longtemps encore, nous affichions tous avec fierté nos “statuts relationnels” – célibataire, en couple, ou le pétillant “c’est compliqué”. Rappelons-nous enfin qu’en septembre 2017, un journaliste de Motherboard décrivait une étrange fonctionnalité apparue du jour au lendemain sur son compte, qui voyait le réseau social se transformer en vieille tante entremetteuse un poil insistante…
Après 15 années d’expérimentations avec la vie sociale et sentimentale de ses utilisateurs, nous y voilà enfin : en 2018, Facebook s’avance sur le terrain de Tinder et consorts avec une appli de dating sobrement intitulée…”Dating”. Et plutôt qu’un service proposé dans la même interface que le réseau social classique, Facebook a choisi de créer une sorte d’environnement dans l’environnement, parfaitement cloisonné et totalement discret – une décision logique, étant donné que personne ou presque n’a envie de clamer haut et fort à ses 500 amis Facebook qu’il utilise un service de rencontres amoureuses pour combler sa vertigineuse solitude — pour que chacun s’adonne tranquillement à l’une des plus vieilles activités de la civilisation moderne, j’ai nommé la séduction.
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Une appli dans l’appli
Pour utiliser Dating, donc, vous devrez commencer par vous créer une nouvelle personnalité en ligne qui contiendra uniquement votre prénom et, promis juré, ne tentera pas de vous matcher avec vos véritables amis Facebook, ce qui serait quand même un peu bizarre, avouons-le.
Avec cette nouvelle version de votre moi Facebook, vous pourrez explorer un archipel de groupes et d’événements, en sélectionner un, “débloquer” votre profil aux yeux des autres participants, faire votre marché, parcourir le profil de vos cibles et enfin engager une conversation (par message uniquement, pour “raisons de sécurité”), qui se retrouvera ensuite dans une boîte mail dédiée. Un peu comme dans la vraie vie, explique Facebook, dont les cadres croient visiblement qu’on peut encore rencontrer quelqu’un à un concert en 2018 alors que tout le monde sait que la musique est bien trop forte et la lumière trop faible pour engager la moindre interaction.
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Et si vous n’aimez vraiment rien, ne sortez jamais de chez vous et n’avez pas de problème à vivre dans un futur à la Black Mirror, des algorithmes dédiés se chargeront de vous proposer de potentiels partenaires (selon l’indémodable modèle de la tante entremetteuse) en se basant sur “vos préférences de dating, vos intérêts mutuels et vos amis en commun”. Dans tous les cas, personne n’en saura rien et vous pourrez continuer à prétendre, sur Facebook, que votre célibat vous va comme un gant. Rappelez-vous simplement de surveiller l’évolution de cette dissociation de personnalité.
RIP Tinder ? Pas si vite
Si la fonctionnalité ne sera pas disponible avant quelques mois (“plus tard dans l’année”, écrit Facebook), difficile de ne pas voir de similitudes entre l’interface de Dating et celle de Tinder. Disons-le carrément, les profils se ressemblent à mort, le swipe en moins. Et c’est normal, après tout : Facebook n’en est pas à son premier plagiat (coucou Snapchat). Le réseau social a néanmoins tenu à préciser, via Mark Zuckerberg himself, que Dating n’était pas uniquement fait pour les hookups, coups d’un soir et autres joyeusetés, mais bien pour des relations durables, partant du principe que bon nombre de gens auraient rencontré leur moitié sur le réseau social.
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Un angélisme de façade qui ne résiste pas longtemps à la réalité nue : les rencontres en ligne sont un marché extrêmement lucratif (selon le Pew Research Center, un tiers des Américains entre 18 et 34 ans draguent en ligne). Preuve par l’exemple : quelques minutes à peine après l’annonce effectuée par Facebook, le cours de l’action de Match Group, évalué à 12 milliards de dollars (et qui possède notamment Match.com, Tinder, OKCupid ou Meetic) plongeait, perdant plus de 20 % au fil de la journée.
À première vue, l’entrée de Facebook sur le marché des rencontres en ligne est donc une mauvaise nouvelle pour Tinder et les autres, qui vont devoir se battre pour attirer des utilisateurs sur leurs plateformes alors que tout le monde ou presque est déjà sur Facebook et que Tinder, par exemple, s’appuie sur le réseau social pour proposer des fonctionnalités à ses utilisateurs (comme les intérêts et amis en commun ou encore l’inscription rapide), au point d’en être parfois dépendant. Début avril, par exemple, Tinder avait cessé de fonctionner pendant quelques heures… à cause des changements opérés par Facebook sur sa politique de partage des données.
Cependant, n’enterrons pas ces plateformes trop vite : comme le rappelle Wired, Match, AttractiveWorld, Tinder, Adopteunmec et les autres possèdent chacun des fonctionnalités uniques et attirent des catégories démographiques particulières, alors que Facebook se contente de mettre en relation ceux qui composent son réservoir quasi illimité de célibataires, sur la seule base de la proximité géographique ou d’événements en commun.
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Les spécificités de chaque service continueront donc d’attirer des utilisateurs souhaitant un certain type de relation avec un certain type de personne. Enfin, alors que l’écume du tsunami Cambridge Analytica imprègne encore la conscience collective, on voit mal le grand public se précipiter sur Dating pour offrir à Facebook des données encore plus personnelles qu’avant. Après tout, notre vie sentimentale était l’un des derniers domaines qui échappaient encore à la curiosité du réseau social et appartenait encore à… la vie privée.