Avec les attentats de début janvier, les théories du complot et autres paroles anti-système se décomplexent. Pour mieux comprendre ce phénomène, nous avons posé quelques questions à Guillaume, l’un des trois fondateurs du site Hoaxbuster.
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Sur Internet, il y a des chats. Beaucoup. Presque autant que de porno. Pourtant, malgré leur potentiel viral, ces deux mamelles du web ne sont pas aussi fertiles que les bruits, les rumeurs, les hoax, les infos qu’on nous assure être vraies… et qui ne le sont pas. Ou bien le sont-elles ? Si Fox Mulder nous faisait rêver lorsqu’il confiait à Scully les yeux dans les yeux que la vérité est ailleurs, le problème semble être qu’aujourd’hui, pas mal d’internautes pensent en être les détenteurs.
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“So, who you gonna call ?” Hoaxbuster ! Ce site fait un peu office d’appel d’urgence du Web. La police du fake. Le nine one one de l’intox. Bref, sa mission est de démonter les canulars vus sur Internet, afin “de valider l’information en libre circulation”, selon Guillaume, l’un des trois fondateurs de l’équipe (sans compter une vingtaine de bénévoles occasionnels). A l’époque du 56k, trois types qui avaient déjà “une activité sur Internet assez intense” se mettent en tête de monter une plateforme pour contrer les rumeurs et la désinformation qui se répandaient déjà par mail, ou sur les antiques bulletin boards.
Quatorze ans plus tard, le rôle de Hoaxbuster est toujours aussi précieux. Davantage même, puisque dans une France post-tueries de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher, les théories conspirationnistes et/ou “anti-système” ont obtenu l’attention des médias généralistes dont elles ont toujours rêvé.
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Mais au fait, le complot, d’où ça vient ? Comment se propage-t-il ? Qui sert-il ? Et surtout, comment le combattre ? Entre deux démontages de fakes, Guillaume de Hoaxbuster a bien voulu apporter ses lumières de gardien des avant-postes du web.
Konbini | D’abord, une question évidente : pourquoi avoir créé Hoaxbuster ?
Guillaume | Simplement pour permettre de valider l’information en libre circulation. On est trois co-fondateurs réunis autour de cette idée qui date de 1999. Cela peut sembler vieux vu de 2015, mais il y avait déjà pas mal “d’infos” bizarres qui circulaient. A l’époque, c’était par mail, hein, évidemment les réseaux sociaux n’existaient pas encore.
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Mais ce qui n’existait pas sous une forme existait sous une autre : avec les prémisses du mail et les échanges par bulletin boards, déjà, des rumeurs et des fausses infos circulaient. Puis ça a explosé avec la démocratisation du mail. A l’époque, sur le web, il n’y avait rien qui permettait aux internautes de vérifier l’info. De mon côté, je travaillais pas mal avec le mail et je voyais des trucs bidons circuler.
K | Avec le temps, on a l’impression que les théories conspirationnistes envahissent la parole publique. Qu’en penses-tu ?
C’est sûr, la portée des théories conspirationnistes a explosé avec Charlie Hebdo. Leur visibilité et leur reconnaissance médiatique aussi : les médias généralistes les crédibilisent peu, mais ils en parlent, une chose qu’ils ne faisaient pas avant. Cela légitimise les thèses complotistes.
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Depuis janvier, sur les réseaux sociaux, les commentaires qui remettent en doute ce qu’ils appellent “la version officielle” des attentats de Charlie ont explosé. Ceux qui portent ces idées hésitent moins à exprimer leur point de vue. Mais cela puise ces origines dans les attentats du 11 septembre 2001, qui coïncident avec l’avènement du Net – donc la possibilité pour le grand public de prendre la parole. C’était larvé à l’époque, maintenant ça touche vraiment la société.
Les événements de début janvier ont créé un véritable traumatisme national, alors les gens ont eu besoin de parler, de trouver des slogans, des valeurs… et s’ils ne sont pas Charlie, et carrément anti-Charlie, ils veulent exprimer leur sentiment aussi. Ce qui est assez paradoxal, c’est que, si dans cette histoire on sait que les mecs se sont revendiqué d’Al Qaida et qu’Al Qaida a revendiqué l’attentat, l’enquête “officielle” n’a, elle, encore rien établi, pourtant les théoriciens hurlent depuis le premier jour que la thèse officielle n’est pas la bonne et que seuls eux connaissent le(s) vrai(s) coupable(s).
K | On est tout de même plusieurs à être surpris par le succès de cette parole. Alors comment ça marche ?
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Prenons l’exemple du polémiste Alain Soral. Sur son site Egalité & Réconciliation se trouvent à la fois des contenus hyper complotistes, mais aussi d’autres papiers type médecine alternative sur comment guérir le cancer en bouffant des plantes, sur la dangerosité des vaccins, etc. Il agrège simplement tout ce qui est anti-système. Sauf que lui il propulse une idéologie, il est politique.
Il rassemble autour de son nom des gens qui ne sont pas spécialement politiques, eux, et ne voient pas son idéologie nauséabonde. Certains qui le lisent pensent relayer un article sympa mais ils se trompent. Ils ne soupçonnent pas la parole qu’ils diffusent. C’est comme ça que les anti-système donnent l’impression d’être très nombreux.
“Entre eux, les gens qu’on nomme des “complotistes” ou des “conspirationnistes”, ne s’appellent pas du tout comme ça. Ils se disent “anti-système”, voilà tout.”
K | Nous parlons d’Alain Soral ici, qu’on placera aisément à l’extrême droite de l’échiquier politique. Sans faire trop de raccourcis, les thèses conspirationnistes naissent-elles de l’œuvre d’individus de ce bord ?
C’est une question à laquelle il est difficile de répondre. Les idées telles que “les médias et les pouvoirs politiques cachent la vérité” sont l’apanage des extrêmes, à gauche comme à droite – même si ça vient plus souvent de l’extrême droite. Un Mélenchon, plutôt modéré, a aussi ce type de discours concernant les médias. Et ses paroles, à force d’être répétées, finissent par porter. Toutefois, la gauche de la gauche n’est pas tant sur les théories du complot que sur un grand ordre de la finance et sur une victimisation médiatique.
L’idée c’est qu’il faut surtout se souvenir qu’entre eux, les gens qu’on nomme des “complotistes”, des “conspirationnistes”, ne s’appellent pas du tout comme ça. Ils se disent “anti-système”, voilà tout.
Après, c’est sûr, le Front National a une part de responsabilité énorme. C’est tout le temps le même discours, “UMPS” partout. Sauf que plus ils arrivent dans les sphères proches du pouvoir, plus leur discours s’adoucit. Certes, ce discours fonctionne quand tu es dans une opposition. Mais on voit bien que plus le FN se rapproche du pouvoir, plus il montre qu’il veut s’insérer dans le système qu’il dénonçait vigoureusement.
K | Mais alors qui relaye ces théories, et comment prend-on le chemin de “l’anti-système” ?
A l’échelle de l’individu, c’est encore une fois difficile à dire. Cela peut être n’importe qui, mais plutôt quelqu’un qui a le sentiment d’être saturé d’infos. Quelqu’un qui n’a plus confiance en ce que lui disent les médias. Globalement, la responsabilité est collective : pendant longtemps, médias et pouvoirs publics ne parlaient pas du complot. Les gens qui diffusaient ces théories, on ne leur répondait pas. Parce qu’ils pensaient, à tort, que les rumeurs finiraient par s’éteindre. Nous ça fait quinze ans qu’on les démonte ces thèses, mais il faut bien admettre qu’aujourd’hui, on est noyé sous la masse.
Alors aujourd’hui, les médias prennent ça en compte et ont envie de faire quelque chose, mais ils ne savent pas vraiment quoi. Ils commencent à intégrer Internet, les télés essayent de faire de leur mieux mais ce n’est pas assez : pour l’instant, le formatage de pensée exclut toujours ces idéologies. Alors que le medium Internet permet aux conspirationnnistes d’avoir le même espace de parole publique que n’importe quel acteur majeur de l’info, les médias ne le comprennent pas.
Il suffit d’observer les commentaires sur les publications Facebook ou Twitter des médias : en grande majorité, ils n’y répondent pas. Si tu ne leur réponds pas, tu fais comme si l’info était quelque chose d’évident : “Vous ne voulez pas croire à ce qu’on dit, tant pis pour vous”. Or le community management est important à l’heure des réseaux sociaux dans le suivi de l’info. Voilà pourquoi les gens se dirigent vers d’autres sources médias alternatives, qui leur mentent sans aucune retenue mais leur disent ce qu’ils ont envie d’entendre. Aujourd’hui ils sont peu, mais petit à petit, ils seront de plus en plus.
K | Des documentaires de Michael Moore aux jeux vidéo, on a l’impression que la pop culture a joué son rôle dans la diffusion de ces messages. Est-ce tant le cas que ça ?
Bien sûr, les films, les jeux vidéo jouent aussi dans l’inconscient. Avec Charlie c’est encore plus flagrant. On l’a vu avec certains détails, notamment lorsque beaucoup réfutaient la véracité de la vidéo où l’agent Ahmed Merabet se fait abattre, et où de nombreux internautes criaient à la manipulation parce que sa tête n’explosait pas… Sauf que dans la réalité, tu n’es ni dans Call of Duty, ni dans Expendables ! Pourtant, des gens sont convaincus que ça se passe vraiment comme ça.
Concernant les jeux vidéo, c’est assez normal du fait que les ados adorent remettre en cause ce qui est établi. Au lycée, toi comme moi on était intéressés par ça, les Illuminati, le spiritisme, etc. donc les éditeurs de jeux vidéo plongent dedans. Sans parler de l’influence de séries comme X-Files, etc.
“Globalement, on voit largement, ces temps-ci, se développer une haine anti-juif de plus en plus inquiétante. Selon certaines sources, les juifs ont tout. Ils ont le monde dans leurs mains. De Charlie au 11 septembre, tout semble être de leur fait.”
K | Quels sont les porte-voix de ces théories sur le web français ?
“Quenel+” est un aspirateur à clics assez important aujourd’hui. Il a un très bon ranking, c’est un site très fréquenté en France. Il y a d’ailleurs des news qui ne sont pas fausses. Mais c’est l’argument que ses visiteurs resservent tout le temps pour le défendre : “Y’a pas que des conneries”. Sauf que c’est un site avec une idéologie, très mise en avant : en pied de la home page, il est visiblement inscrit “Journal francophone anti-sioniste d’actualité”. Ils agrègent tout ce qui touche à ça, d’anti-sioniste à anti-juif.
Egalité & Réconciliation a moins de force, il est davantage politisé. Mais il y a plusieurs sphères et tout fini par se mélanger. Vincent Laarman, par exemple, est représentatif de comment ils s’y prennent. Ce type a lancé le site “Santé Nature Innovation”, et aussi “l’Institut pour la nutrition”, mais aussi “sos-education”, un lobby anti-école publique, puis également l’institut pour la justice, un lobby contre la justice… Bref, ce gars vend des remèdes nutritionnels à base de plantes, mais en même temps te dit comment il faut sauver l’école et la justice. C’est louche… Soit il est très fort, soit il y a une idéologie derrière tout ça.
Evidemment il y en a une, mais il draine un maximum de gens avec ses sites en apparence anodins. Derrière, il y a l’ultra-droite, bien planquée, à base de déstabilistation du gouvernement, de renversement du système pour servir son idéologie : l’ultra-libéralisme.
Il faut aussi citer les sites haineux, comme “Panamza”, un site “d’infos subversives”, en fait spécifiquement anti-juif. Il y a aussi la sphère d’extrême droite nationaliste avec les sites “Dreuz.info” ou “Fdesouche” – bizarrement assez calmes en ce moment. Enfin globalement, on voit largement, ces temps-ci, se développer une haine anti-juif de plus en plus inquiétante. Selon certaines sources, les juifs ont tout. Ils ont le monde dans leurs mains. De Charlie au 11 septembre, tout semble être de leur fait.
K | Est-ce que ces sites agissent au nom d’un intérêt commun ?
Leur seule bannière, c’est l’anti-système. Si tu te places comme tel, tu as voix au chapitre chez eux. On l’a vu au moment de la théorie du genre. Dieudonné a fricoté avec l’extrême droite – bien que ce soit un amour avec des hauts et des bas – mais sur “Quenel+”, désormais, il tape à fond sur Le Pen. Au moment de la théorie du genre, les sites étaient tous sur le sujet, mais il ont malgré tout des différences de fond.
Cela marche sur le terrain des identités aussi, certains veulent “gérer” les arabes, les autres ciblent les juifs… on l’a vu avec l’exacerbation du conflit israélo-palestinien. Ceci dit, pour taper sur Hollande (le système), ils sont tous ensemble.
“On ne fait pas d’idéologie, on fait dans le vérifiable. Et si tu ne nous fais pas confiance, va plus loin, fais la démarche par toi-même.”
K | Au quotidien, que conseiller à un internaute pour faire la différence entre l’info et l’intox ?
C’est pas compliqué, il faut qu’il fasse la même chose que nous chez Hoaxbuster. On n’est pas des magiciens ! Internet est une richesse fantastique, encore faut-il savoir s’en servir. Dans une info il y a des noms, des endroits, des dates, des établissements mis en cause. L’internaute doit aller voir ces sources, se renseigner. Tu peux aller voir par toi-même très facilement. C’est à la portée de chacun.
Avec la télé, la radio, tu ne peux qu’absorber ce qu’on te dit. Mais Internet est un média malléable. Les gens n’ont pas encore compris que le net pouvait marcher dans l’autre sens. Après, si tu n’as pas envie de faire ce travail et qu’une info te semble louche, tu peux te rendre sur des sites comme le nôtre. On ne fait pas d’idéologie, on fait dans le vérifiable. Et si tu ne nous fais pas confiance, va plus loin, fais la démarche par toi-même.
K | Pensez-vous qu’il faudrait apprendre ça à l’école ? Sensibiliser les plus jeunes au fait que les informations méritent d’être vérifiées et décryptées ?
Oui, il faut apprendre ça aux jeunes. Peut-être pas aller jusqu’à leur inculquer une démarche journalistique mais qu’on leur apprenne à utiliser l’outil Internet, qu’il est possible d’aller chercher l’info autrement que comme elle se présente. Les professeurs doivent apprendre ça. C’est des questions auxquelles les pouvoirs publics doivent répondre.
Mais la société met du temps à réagir, avant il n’y avait pas Internet, on ne s’informait qu’avec les journaux, la télé, la radio, puis à la machine à café. Aujourd’hui, Internet fait partie du quotidien de chacun… mais si sur Facebook on ne s’abonne qu’à des sources comme “Quenel+”, les seules infos qu’on trouvera ne proviendront que de ces sources-là. Au fond, les gens n’ont pas appris à se servir d’Internet. Ce qu’on leur a appris, c’est que l’info vient à toi. Pas l’inverse.