Marre de la ville ? On vous emmène en Alaska sur les traces du photographe Brice Portolano. Au programme : village de pêcheurs, aurore boréales et solitude.
Fascinantes de par leur grandeur, les villes sont aussi source d’anxiété et de dépression. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui rêvent d’échapper au stress urbain pour se retrouver au milieu de la nature. Brice Portolano l’a fait : né à Paris, le photographe français n’est pas juste parti pour un week-end en Normandie, il a décidé d’aller bien plus loin.
Pendant plus de deux mois, il a vécu et partagé le quotidien d’une famille de pêcheurs sur l’île du Prince-de-Galles en Alaska. Sa dernière série Living in Wild Alaska vous donnera l’impression de respirer l’air iodé du Pacifique juste en la regardant.
Oui, vous trouverez de magnifiques paysages. Mais aussi des histoires d’habitants solitaires, d’animaux flamboyants et d’aurores boréales inattendues. Brice Portolano, à qui nous avons demandé un carnet de 16 images commentées, nous a résumé son voyage ainsi :
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Le reste de l’année je vis à Paris, ville que j’aime aussi beaucoup mais ce sont deux vies très différentes. C’est cette quête de contrastes qui m’anime.
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“Printemps 2015 : j’embarque dans un hydravion”
Printemps 2015, Sud-Est de l’Alaska. J’embarque dans un hydravion qui m’emmène chez Jerry, un ancien agent immobilier originaire du Michigan.
Après un burn-out et ressentant un profond besoin de reconnexion avec la nature, il a quitté la région des grands lacs pour s’installer en Alaska, l’État le moins densément peuplé des États-Unis (0,4 habitants au kilomètre carré).
Il vit avec sa femme, perdu dans la nature sans eau courante ni électricité, à 1h30 d’hydravion de la ville la plus proche. Je m’apprête à passer sept semaines chez lui pour partager et photographier son quotidien
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Véritable aventurier, Jerry gagne sa vie grâce aux huîtres qu’il élève et se nourrit de la chasse et de la pêche. En arrière plan on peut voir le hameau de maisons qu’il a construit.
Ici, les habitations ont une particularité : la plupart d’entre elles flottent sur l’océan et bougent au rythme des marées. Il y a quelque chose d’étrange et excitant à vivre sur l’eau, le bord de mer étant littéralement à un mètre de ma porte d’entrée.
Ce moment-là est arrivé juste après la photo précédente : nous sommes en train d’accoster et je viens de sauter hors du bateau pour atteindre le rivage.
La lumière était folle avec ces énormes gouttes de pluie qui s’abattent sur nous. Les conditions étaient chaotiques et mes bottes s’enfonçaient dans la boue mais je tenais vraiment à réussir cette photo, peu importe que mon appareil soit trempé. C’est probablement ma préférée.
Très attiré par ces montagnes, je me suis renseigné pour partir à leur découverte. Mais c’est une véritable expédition qu’il faut mettre en place : pas de sentiers, terrains inconnus et très peu explorés, peu de cartes fiables existantes ; les montagnes sont ici tellement sauvages que certaines n’ont même pas encore de nom.
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La faune est omniprésente : ici la nature est chez elle. Cette fascinante scène de pêche, je l’ai vue se répéter chaque matin devant ma maison.
À force de vivre sur l’eau, les escapades sur la terre ferme ressemblent souvent à la découverte d’un nouveau monde. Avec quelques maisons, cet abri est l’une des rares traces humaines dans un rayon de plusieurs dizaines de kilomètres.
En se baladant dans la forêt il nous arrive de tomber sur des totems indiens datant parfois de plus d’un siècle. D’après les rumeurs locales, piller les reliques indiennes revient à signer son arrêt de mort et une malédiction s’abat sur les pillards.
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En Alaska, les gens sont nombreux à croire au yéti, aux extraterrestres et à la théorie du complot. J’ai même rencontré un local qui transportait son portable dans un Pelican Case (étui ultra-résistant) doublé d’une couche de plomb afin d’éviter d’être espionné par Obama et le gouvernement, et ce malgré l’absence quasi-totale de réseau.
Lorsque la marée est assez basse, le chien de Jerry s’échappe de la maison et nage jusqu’au rivage pour chasser les ours dans la forêt et les faire grimper aux arbres.
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Les téléphones portables sont inutiles : ici le réseau ne passe pas et les nouvelles extérieures arrivent par Internet via une connexion satellite lente et capricieuse. Le confort est très sommaire et après trois ans d’isolement complet, Jerry a enfin obtenu l’autorisation du gouvernement d’installer une parabole satellite afin de recevoir la télévision.
Au petit matin dans la brume glacée, c’est un sentiment jubilatoire de parcourir ces eaux sauvages et d’y pêcher pendant des heures sans croiser un seul bateau. Au fil des années je prends de plus en plus de plaisir à m’éloigner des foules et des lieux touristiques pour expérimenter des modes de vie radicalement différents du mien.
Dans des endroits aussi isolés, tout est très concret : on coupe du bois pour se chauffer, on pêche pour se nourrir et il n’y a aucune place pour le superflu. Le corps devient aussi un outil de travail et à la fin de la journée, ce sentiment d’accomplissement est très agréable.
Le reste de l’année je vis à Paris, ville que j’aime aussi beaucoup mais ce sont deux vies très différentes. C’est cette quête de contrastes qui m’anime.
L’isolement extrême implique un nombre de voisins limité. Du coup, lorsqu’on croise une connaissance sur l’eau, les conversations peuvent facilement durer une heure. Quatre averses plus tard, nous avons continué notre route vers le village où Jerry va chercher son courrier une fois par semaine. Là bas, une pomme coûte deux dollars.
Après de longues semaines d’attente, les baleines arrivent enfin. 24 heures avant mon départ, j’ai la chance d’en voir une sauter à quelques centaines de mètres du bateau. Trop rapide pour une photo, l’image est heureusement bien gravée dans ma tête.
C’est impressionnant, même émouvant de voir un mammifère de la taille d’un bus sauter en silence hors de l’eau avant de retomber contre la surface de l’océan. C’est probablement le souvenir le plus marquant de mon voyage.
J’ai appris à conduire un bateau un peu par la force des choses. Lors d’une escapade de fin de journée, le frère de Jerry qui vit ici depuis plusieurs années perd le contrôle du moteur et se retrouve éjecté du bateau. Il reste trois personnes à bord.
Après avoir coupé le moteur nous lui lançons des gilets de sauvetage, puis je me mets à la barre et redémarre le bateau. À ce moment-là tout va très vite, le cerveau est saturé d’adrénaline et il faut absolument éviter de se laisser envahir par la panique.
Une fois arrivés à son niveau, l’un d’entre nous agrippe le frère de Jerry par le col pendant que je rejoins le rivage, où il remonte à bord en sécurité (trop costaud pour remonter dans l’eau, il aurait retourné le bateau). 20 minutes plus tard et après plus de cinq minutes dans une eau à 8°C, nous voilà en sécurité chez Jerry auprès du feu.
C’est un mec qui connaît très bien la nature et s’il est encore en vie, c’est surtout parce qu’il a su rester calme et nous donner des instructions pour le ramener en sécurité. Entre le fort courant, l’eau glaciale, le ciré et les bottes qui l’empêchaient de nager, j’ai sérieusement cru qu’il allait y rester.
Magiques et inattendues, les aurores boréales m’ont surpris au milieu de la nuit et ont animé le ciel plusieurs soirs d’affilée. À tort associées aux paysages enneigés, je ne pensais même pas en voir en venant ici. Et pourtant.
La philosophie de Jerry l’a amené à faire des choix qu’il ne regrette aujourd’hui pour rien au monde : “J’ai quitté une vie absurde pour être libre, travailler à mon compte et vivre au cœur de la nature. Les gens m’estiment chanceux mais n’importe qui peut venir vivre ici, il faut simplement être prêt à travailler pour y rester.”