Reportage dans les rues de Paris, au cœur de la manifestation contre le projet de loi censé moderniser le marché du travail.
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L’entrée dans le monde du travail semble effrayer la jeunesse d’aujourd’hui. Une partie d’entre elle a décidé d’aller dans la rue, manifester contre le projet de loi El Khomri. Nous sommes partis à la rencontre de ces individus pour comprendre leurs moteurs, engagements et inspirations. Une jeunesse mobilisée et angoissée, à la fois par la précarité mais aussi par l’état d’urgence qui s’éternise dans notre pays.
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“On dit ce qu’on pense, même s’il y a des militaires devant notre lycée !”
Pour Alice, lycéenne de 17 ans, ce projet de loi ne fait que renforcer ses inquiétudes. Ce n’est pas seulement sa situation en tant que future salariée qui interpelle la jeune fille, mais aussi sa place de femme dans le monde du travail, et de citoyenne dans la société française.
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“Pour le moment, je ne suis pas confrontée directement au monde du travail, cette loi n’aura pas un impact immédiat sur ma situation mais je sais que dans quelques années, je vais devoir travailler. Cette loi El Khomri assure une véritable liberté à l’employeur mais aussi une vraie précarité au salarié. On recule totalement dans ce qu’on avait acquis en France !
Je m’intéresse beaucoup aux droits des femmes en général. On est déjà sous-payées par rapport aux hommes, si, en plus, on rajoute de la précarité avec cette loi, ça va ne faire qu’empirer la situation et les inégalités.
Je suis contre l’état d’urgence et aujourd’hui je manifeste aussi à ce sujet ! Je trouve ça important de faire savoir au gouvernement que nous ne sommes pas d’accord, que ce ne sont pas les bonnes solutions et qu’ils font les choses dans leurs intérêts à eux. Je n’ai pas peur, on dit ce qu’on pense même s’il y a des militaires devant notre lycée !”
“Cette loi, c’est une manière de légaliser la précarité”
Orane, étudiante de 19 ans, nous fait part de mécontentements multiples. Elle témoigne notamment des difficultés auxquelles elle a déjà dû faire face dans le monde du travail. Bien qu’elle ne se considère pas assez engagée politiquement, la jeune femme essaie de se mobiliser le plus possible.
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“Je manifeste pour plein de raisons différentes. Je trouve ça honteux que ce projet de loi soit proposé par un gouvernement de gauche ! Ce n’est pas ce qu’on attend quand on vote pour un gouvernement socialiste. Cette loi, c’est une manière de légaliser la précarité.
Pour le travail des étudiants, ça va être dur. On va encore plus être utilisés comme des personnes jetables, alors que c’est déjà le cas. En tout cas c’est ce que j’ai déjà vécu. J’ai travaillé pendant 7 mois dans la restauration, ça s’est terminé par un licenciement économique dans des conditions désastreuses. Finalement, on ne m’a pas payée, j’ai dû démissionner. Concrètement, je me suis déjà fait exploiter et, là, c’est la porte ouverte à encore pire.
Si je suis ici, c’est aussi à cause d’un ras-le-bol général. C’est tout un contexte : la loi El Khomri, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, alors que le vase était déjà rempli de plein de choses depuis un bon moment ! J’espère que la manifestation d’aujourd’hui pourra véritablement changer les choses, même si on est jamais vraiment assez entendus.
“Il faut que ceux qui sont en haut sachent que nous, on bouge”
Crapaud est le pseudo qu’a choisi ce jeune homme engagé à l’humour corrosif, étudiant en ingénierie du son qui ambitionne de devenir rappeur.
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“Je ne suis pas venu forcément manifester contre la loi Travail, mais contre toutes les dérives des lois actuelles du gouvernement. La manifestation d’aujourd’hui n’est pas que ce combat-là, qui n’est qu’une partie du bourbier dans lequel on vit en ce moment. Entre l’état d’urgence, la déchéance de la nationalité et la difficulté de faire entendre la parole démocratique.
Ça fait 3 mois qu’on ne peut pas sortir pour manifester. C’est un symbole de venir ici, surtout depuis la peur des attentats terroristes, pour montrer qu’on est là, mobilisés ! Il faut que ceux qui sont en haut sachent que nous, on bouge. Pour montrer que le système politique aujourd’hui n’est plus viable. Que les citoyens n’entendent plus et ne savent plus quoi répondre à toutes ces lois.
Pour moi, l’avenir est vraiment incertain. Je me demande toujours si ce que je fais va donner quelque chose, si ça ne va pas tomber à l’eau. Si je vais pouvoir gagner ma vie. Je suis dans une fillière artistique compliquée, si tu n’as pas de contacts ni de réseau… Encore plus avec un projet de loi comme celui-là. C’est vraiment stressant.”
“Il faut complètement revoir le système”
Laure, 24 ans, étudiante en sciences sociales, s’alarme des conséquences que les négociations au sein des entreprises pourraient avoir sur la vie des salariés. Malgré ses désillusions face au monde du travail et à la vie politique française, la jeune femme s’enthousiasme de la mobilisation citoyenne.
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“Avec la loi Travail, on pourra changer nos contrats n’importe quand. On sait très bien comment marchent les ‘accords’ entre employés et patrons, le salarié n’est jamais en position de négocier. Entre la corruption, le harcèlement, les abus, les conditions de travail sont de pire en pire !
Pour l’instant, je ne suis pas impactée par tout ça au quotidien, je bosse seulement dans une petite entreprise les week-ends. Mais je n’arrive pas à me projeter dans un emploi en France. Là, je vais partir en camion l’année prochaine pour faire le tour de l’Europe. Il faut complètement revoir le système. Ce n’est pas juste une question de changer quelques textes !
Aujourd’hui, c’est un vrai symbole. Il y a de gens de tous les partis, tous les âges, toutes les nationalités .C’est finalement peut-être la seule chose bien avec cette loi Travail, c’est que du coup, ça rassemble tout le monde. Il y a une forme d’union dans le mécontentement !”
“Cette loi est un pur retour à l’esclavage”
C’est pour ses élèves plus que pour lui-même que Pierre, prof de français de 24 ans, dit être inquiet. S’il constate la dégradation de ses conditions de travail c’est avant tout sa déception à l’égard du gouvernement dont il témoigne.
“Je pense à mes élèves, au monde du travail qu’ils vont devoir affronter qui est vraiment très violent, un monde où il est de plus en plus difficile de rentrer, où tu peux être facilement exploité, obligé d’aller faire des boulots de merde alors que tu es surqualifié. Cette loi c’est vraiment de la saloperie de base, un pur retour à l’esclavage.
Là, c’est un truc symbolique, avec un gouvernement socialiste qui n’avait pas à prouver qu’il trahissait les idéaux de gauche. Des mouvements comme ça, l’intersyndicale avec toutes ces professions, la jeunesse… Je voulais en faire partie. Fédérer dans la durée, ça ne va pas être facile, mais je me dis que là c’est peut être possible.”
“Si demain on m’impose ça, je serais dans la merde”
Manelle et Virginie sont toutes deux étudiantes en psychologie et travaillent à côté comme vendeuse ou hôtesse. Elles expriment leur difficulté à parler de la loi Travail dans les détails, mais deviennent beaucoup plus concrètes quand il s’agit de parler de leur angoisse vis-à-vis de leur avenir professionnel. Virgine avance :
“On n’est pas d’accord avec cette loi, mais on n’a pas lu tout, un texte de 131 pages, voilà… Si je prends un exemple, le contrat de base, qui dit que l’on bosse 8 heures par jour, que l’on nous propose 10 heures et que si on refuse, on n’a pas d’aide… Moi qui ai repris les études, si demain on m’impose ça je serais dans la merde, je perdrais mon travail, parce que je ne peux pas travailler plus. Moi, je veux une famille, j’aurai besoin d’un emploi stable.
J’ai déconnecté avec la politique. Ils sont pas dans le même monde, ce sont des aristocrates. Quand on est étudiant salarié il faut 900 euros pour toucher la prime d’activité. Quel étudiant gagne 900 euros ?”
“Si les politiques veulent être élus, ils ont tout intérêt à nous écouter”
Sikanda, Théo et Matthieu n’ont pas encore fini leur licence mais ils se sentent déjà très concernés par la loi Travail. Ce qu’ils ne comprennent surtout pas, c’est qu’elle puisse venir d’un gouvernement de gauche. Ces futurs bac + 5 ont déjà en ligne de mire la précarité du monde du travail, qu’ils veuillent faire du théâtre ou de la recherche, dont la baisse des subventions les laisse sceptiques.
“Je me rends compte que les gens avaient voté pour François Hollande, en 2012, justement pour voir un progrès par rapport à ça. Ça fait déjà peur en soi de se projeter dans l’avenir. Alors, se dire qu’en plus malgré le fait d’avoir un travail, on va quand même galérer…
Les jeunes ne sont pas les seuls concernés. Ma mère travaille dans une multinationale et ça va se ressentir, c’est sûr. C’est notre avenir à tous qui est en jeu. Après, si les politiques veulent être élus, ils ont tout intérêt à nous écouter.”