Monuments Men : “Ce film est une suite d’inexactitudes”

Publié le par Théo Chapuis,

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Depuis sa sortie dans les salles françaises, Monuments Men fait beaucoup réagir sur l’autel de la vérité et de la fidélité historique. On a demandé à une chasseuse d’oeuvres spoliées pendant l’Occupation de nous éclaircir. 
“Inspiré de faits réels”. Sous cette vague étiquette dont abuse Hollywood, le cinéma américain se permet bien des libertés avec l’Histoire. Dernier exemple en date : George Clooney et son Monuments Men, l’histoire (romancée) d’une (vraie) brigade créée par le général Eisenhower afin de récupérer les oeuvres d’art dérobées par les nazis.
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Elizabeth Royer-Grimblat est bien placée pour nous en parler : galeriste de renom, son mari producteur la décrit comme “une détective hors du commun”. Il faut dire que derrière son image de bourgeoise un peu poussiéreuse, la Parisienne traque des pièces spoliées par les nazis au cours de la Seconde guerre mondiale.
Tout au long de sa carrière, elle a retrouvé une trentaine d’oeuvres d’art, parmi lesquelles Braque, Pissarro, Marquet, Picasso, ou Léger. Concernée, la “Monument Woman” s’exprime sur le film de George Clooney.
Konbini | Vous avez vu le film Monuments Men de George Clooney. Qu’en pensez-vous ?
Elizabeth Royer-Grimblat | Pas beaucoup de bien. J’ai trouvé ce film brouillon, mais surtout pas à la hauteur de son sujet. Les déclarations de Clooney sont très naïves voire grossières : dans une interview au journal 20 Minutes, George Clooney a déclaré que “le vainqueur a tout rendu aux pays qui ont été pillés.” C’est tout à fait faux.
Pour les États-Unis, les oeuvres d’art étaient des actifs comme les autres. Aussi, à l’issue de la guerre, eux aussi comptaient bien prendre des oeuvres comme trophées, comme prises de guerre. Il faut voir ce qui se produisait à l’Est : les Américains étaient tétanisés par les Russes qui emportaient les oeuvres d’art par wagons entiers en se disant alors : “Et nous !?”.
Il est pourtant bien connu que les Américains ont fait traverser l’Atlantique à de nombreuses oeuvres après la fin de la guerre et entravent encore aujourd’hui leur restitution.
Ajoutez à cela les clichés et imprécisions dont le film est rempli : Matt Damon retrouve un tableau et le dépose dans l’appartement d’une famille déportée, Rose Valland qui crache dans le verre de champagne d’un nazi… Comme ce film est une suite d’inexactitudes, on peut craindre que le spectateur ne discerne pas le vrai du faux, entre la romance et les faits historiques – dont le film prétend s’inspirer.
K | George Clooney a-t-il cherché à donner le beau rôle aux Américains ?
C’est ça, on dirait qu’il veut nous faire croire au père Noël. Mais probablement plus de l’ignorance de sa part. Lorsqu’on lit ses interviews, il se positionne avec énormément de bons sentiments. Clooney a dit partout qu’il voulait aborder cet épisode avec légèreté. Hélas, on peut lui reprocher d’avoir carrément réécrit l’Histoire. Donc je ne suis pas contre les divertissements… mais là c’est raté.
Je lui reproche d’avoir voulu faire d’un sujet aussi sérieux un film de bons sentiments. Vous savez, encore aujourd’hui, il est très difficile de récupérer ces tableaux disparus aux États-Unis au lendemain de la guerre.
K | Dans Monuments Men, la Française Rose Valland est jouée par Cate Blanchett. Pouvez-vous détailler le rôle qu’elle a tenu dans la réalité ?
Encore et toujours, les bons sentiments ! Dans la réalité, Rose Valland est homosexuelle. Dans le film, elle pousse la stupidité jusqu’à demander à un Monument Man de rester avec elle à Paris… Ça, ça ne va pas. George Clooney en a fait une pure héroïne de cinéma. Et lorsqu’elle crache dans le verre de champagne qui est destiné à ce Nazi, on dirait que c’est pour symboliser la Résistance française, comme une sorte de désaccord face à l’ennemi, sans véritable puissance. C’est évidemment trop réducteur.
En vérité, Rose Valland était attachée bénévole puis attachée de conservation au Musée du Jeu de Paume à Paris. C’est là-bas que les Allemands entreposaient le butin de leurs pillages artistiques. Valland était un peu l’oeil le plus privilégié sur ce que faisaient les nazis avec les oeuvres d’art volées. Elle a tenu des carnets qui ont servi au Comité de Restitution Artistique (CRA), qui a participé au retour auprès de leurs propriétaires de nombreuses oeuvres. En somme, le rôle de Rose Valland a été très important : elle était une sorte d’espionne.
K | Aujourd’hui, peut-on estimer le nombre d’oeuvres d’art pillées par les nazis ?
Pas vraiment. On lit parfois qu’elles seraient 45 000, parfois 70 000… Moi-même, je ne peux pas m’engager sur un nombre exact. D’ailleurs, s’il n’y a pas de chiffre, c’est parce que l’appropriation des oeuvres a eu lieu de façon massive et désorganisée. Parfois, quand les nazis pillaient, il y avait des listes manuscrites. Mais comme dans tout pillage, des biens ont disparu sans être répertoriés. Aussi, je pense que personne ne peut connaître le chiffre exact.
K | Avec la découverte récente de 1500 oeuvres dissimulées en Allemagne, doit-on s’attendre à d’autres cas similaires ?
Ce cas est vraiment particulier. Le fait que le fils de Hildebrand Gurlitt [employé sous les ordres directs de Joseph Goebbels, ndr] en ait conservé une grande partie est spécial. Mais des oeuvres spoliées aux Juifs à l’époque et dissimulées encore aujourd’hui, il y en a partout, il y en a encore énormément. Mais surtout, il y en a en Europe dans de nombreux musées.
Beaucoup de provenances sont incertaines dans les musées. Parfois, certaines ont même été occultées. Ceux-ci ne font pas les recherches nécessaires ! C’est tout à fait illégal et des musées d’Etat sont concernés. Pas seulement en France, mais dans toute l’Europe et en Amérique. Aussi, on n’a pas retrouvé les oeuvres au lendemain de la guerre. Le CRA a rendu des oeuvres mais ensuite, pendant de nombreuses années, il ne s’est rien passé alors que pour les gouvernements d’Europe, ça aurait dû être un sujet important dans l’après-guerre.

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