Tribune : pour en finir avec l’écologie libérale

Publié le par Thibault Prévost,

ROSIGNANO SOLVAY, TUSCANY, ITALY – 2017/08/18: The Solvay factory dominates the post-apocalyptic background of the white beach, while the careless swimmers enjoy a typical summer day by the sea
Until fifteen years ago, the drainage channel connecting the Solvay factory to White Beach crossed the road slowly, bringing with it water and chemical waste and pouring large quantities of mercury into the sea of Rosignano. These are the producers of Solvay Bicarbonate for hygiene “with a thousand uses”, which can be found on supermarket shelves.
The Solvay factory is the background to the seaside landscape. From 1914 it stands out on the horizon with its smoking chimneys. The exhaust pipes lead visitors directly to the beach, along a walk of a few kilometers surrounded by greenery.
Rosignano Solvay, the city of white sand and bicarbonate, faces the Ligurian Sea. On the map of Italy Google Maps is instantly recognizable even by the most inattentive look: you immediately notice how the sea of ??that area is distinguished by its bright blue, unnatural. And this is so, because for over a hundred years, in this territory are produced tons of soda, the perfect ingredient to “whiten” the beach with a bleach effect.
Although the Municipality of Rosignano has arranged to place a sign of prohibition of bathing and parking, the bathers do not notice: they crowd the beaches every year, thinking of being in the Caribbean. In the summer sunk umbrellas are sunk into the bleach-colored sand, sunbathing, not caring for the contaminated air that you breathe, they launch into the water with ease.
Yet statistics record frightening figures every year about 913,000 tons of carbon sodium, arsenic, mercury and chromium are poured on the coasts. (Photo by Stefano Guidi/LightRocket via Getty Images)

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Et puis, pendant qu’on en était à s’étriper sur Facebook, grâce à l’AFP, pour savoir ce qui polluait le plus entre 7 vols transatlantiques en charter et la naissance d’un enfant, l’oligarchie blanche du YouTube francophone a décidé de s’y mettre aussi. Bingo : sur Facebook, la vidéo “Il est encore temps” chiffre 9 millions de vues, le site lancé conjointement cartonne et le 13 octobre, près de 80 cortèges défilaient en Europe pour sauver la planète.
Il faut voir, sincèrement, cet aréopage de youtubeurs nous expliquer, tout sourires, que le monde n’est pas (encore) perdu et qu’en s’y mettant, à nous tous, on pourra inverser le cours de la catastrophe. Il faut les écouter nous dire que des pétitions en ligne, des marches citoyennes et un bon coup de pression sur la classe politique suffiront, à condition de s’y atteler sérieusement. Il faut se frotter les yeux pour y croire. Et se demander quel degré d’inconscience ou quelle quantité de psychotropes il faut posséder pour y croire réellement, après quarante ans d’action citoyenne aux résultats (quasi) nuls et d’accord internationaux piétinés les uns après les autres.
Il suffit d’entendre Pablo Servigne, seul au milieu des youtubeurs, avouer que “c’est déjà catastrophique, mais il n’est pas trop tard pour éviter que ce soit encore pire”, pour être envahi d’un sentiment de vide profond. Que diront ces mêmes influenceurs dans cinq, dix, quinze ans, quand rien n’aura bougé d’un iota ? Les rapports du GIEC ne servent plus à rien. Les appels sont muets. On continue, pourtant, à appeler. À quoi, au fait ? Au calme, surtout. À la “prise de conscience”, d’accord. À l’action, certes, mais pas n’importe laquelle. Démocratique, hein. Non-violente, toujours. Diligente. Bien élevée. Individuelle. Atomisée, puisqu’il ne reste plus rien de l’esprit des luttes collectives du siècle dernier.

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“Car ce n’est pas ‘l’homme’ – ou son synonyme, l”activité humaine’ – qui bouffe la planète, c’est le capitalisme. Le consommateur, lui, n’y est pour rien”

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Toute la fable du changement individuel se déroule là, sous nos yeux. Le mythe fondateur de l’écologie libérale, qui voudrait résoudre l’équation de la survie de l’espèce en la réduisant à des habitudes de consommation personnelle. Complet hold-up sémantique, qui nous raconte ad nauseam que “l’homme” est à l’origine du réchauffement climatique – il y a même un mot pour ça, “l’anthropocène” – et que la “bonne volonté” suffira à en sortir. En consommant autrement, mais en continuant à consommer tout de même. Une performance de contorsion sémantique à faire pâlir un champion régional de limbo.
Car ce n’est pas “l’homme” – ou son synonyme, l'”activité humaine” – qui bouffe la planète, c’est le capitalisme. Le consommateur, lui, n’y est pour rien. Ce sont un demi-siècle d’empilement agressif des richesses, d’exploitation dérégulée des ressources naturelles, de croissance économique à tout prix et de déréglementation des flux de capitaux et de marchandises qui nous ont menés à cette situation désespérée. Notre consommation est la conséquence de ce modèle, en aucun cas sa cause. Sans remise en cause du capitalisme, aucune amélioration climatique n’est envisageable.
Mais on a beau chercher chez les youtubeurs, dans les appels des grands quotidiens ou dans les discours des pasionarias de la science dépolitisée comme l’astrophysicien viral Aurélien Barrau, une critique systémique : pas un mot, pas une réprimande, pas même une tape sur les doigts. Surtout, évitons le sujet du modèle politique et économique. Dans les conversations autour du climat, le capitalisme, c’est Voldemort – on ne le nomme pas, par crainte de représailles. Pile au moment où les forces en présence devraient être identifiées avec une résolution parfaite, on préfère nous cajoler avec des histoires de conscience individuelle et de bonnes volontés juxtaposées.
Quand il s’agit d’esquiver la remise en cause du capitalisme, les efforts de diversion opérés depuis le début du XXIe siècle sont remarquables. Outre les appels à répétition dans la société civile, qui refilent incessamment le fardeau aux consommateurs, le monde entrepreneurial parle désormais très sérieusement, avec des étoiles dans les yeux, de “consomm’action”, d'”économie verte”, d’“économie circulaire” et d’autres Subutex du profit. Mieux : à Bruxelles, capitale de la mondialisation néolibérale, on tient des conférences sur la décroissance – attendez, pardon, on dit “post-croissance”, maintenant.

“Votre guacamole, votre quinoa et vos noix sont des désastres environnementaux”

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Comme si la Commission européenne, frappée d’une épiphanie, allait soudain renoncer à sa raison d’être économique et œuvrer à faire de l’Union une ZAD géante où régneraient le troc et les pailles en carton recyclé. Comme si les lobbies de l’automobile et des énergies fossiles allaient finalement rattraper leurs décennies de dissimulation et de duperie, au nom de la bonne volonté environnementale. Comme si les intérêts économiques immédiats allaient un jour s’effacer devant l’impératif de survie de l’espèce. Comme si les politiques européennes allaient un jour s’attaquer réellement aux industries polluantes et risquer de perdre quelques points de croissance.
Appelez ça comme vous voulez, la “consommation éthique” reste un oxymore. Votre guacamole, votre quinoa et vos noix sont des désastres environnementaux. La voiture électrique ? À peu de chose près, aussi polluante que celle à essence. On ne vous propose pas d’arrêter de polluer, mais de polluer différemment. Consciencieusement.

“Nous vivons dans un monde où huit personnes possèdent autant que 50 % de la population mondiale. Où 82 % des profits générés en 2017 ont bénéficié aux 1 % les plus riches, selon Oxfam. Où 100 entreprises totalisent 71 % de la pollution planétaire annuelle”

Mais n’en déplaise aux penseurs de l’économie verte, l’accroissement des richesses et la sauvegarde de l’environnement sont mutuellement exclusifs. Le problème ne vient pas du mode de consommation, il vient de la nature de la production et de la distribution des ressources dans un monde limité. Il suffit, pour s’en convaincre, de relire Naomi Klein, qui disait déjà tout ça en 2016. Ou un récent rapport, commandité par les Nations unies et paru le 31 août, qui conclut à la nécessité de mettre fin au capitalisme pour survivre aux conséquences du désastre environnemental.
Nous vivons dans un monde où huit personnes possèdent autant que 50 % de la population mondiale. Où 82 % des profits générés en 2017 ont bénéficié aux 1 % les plus riches, selon Oxfam.100 entreprises totalisent 71 % de la pollution planétaire annuelle. Où un tiers de la nourriture créée chaque année – soit 1,3 milliard de tonnes – termine à la poubelle. Un monde dans lequel la majorité des habitants vit avec 2 à 10 dollars par jour, mais parvient quand même à épuiser les ressources planétaires annuelles en huit mois. Le modèle que l’on nous offre, sans alternative possible, est le plus toxique qui soit.
En Occident, lutter efficacement contre le réchauffement climatique suppose de renoncer volontairement à des siècles de domination économique et diplomatique sur le reste du monde pour une meilleure gestion des ressources. En attendant, le capitalisme menace l’espèce humaine d’extinction. Voilà ce que ces multiples appels devraient marteler, inexorablement, dans la presse internationale. Voilà le propos que nos youtubeurs nationaux devraient porter, avec le même optimisme viral. Pas sûr, cependant, que tout le monde soit prêt à l’entendre.
Pour la première fois, la critique du capitalisme dépasse le simple cadre d’une lutte de classe pour devenir une lutte d’espèce. On ne devrait entendre que ça. Mais non. On marche dans les rues le dimanche après-midi, à l’initiative d’un réseau social, avec de jolies pancartes “make the planet great again”. On rentre chez soi, en vélo, manger un bon repas vegan. On signe une pétition Change.org contre le glyphosate. On poste sur Facebook son “geste pour la planète”, drapé dans sa vertu, avant de s’endormir satisfait. Satisfait d’avoir protesté, calmement, contre la fin du monde. Satisfait d’avoir fait sa part, jusqu’au prochain appel.

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