Le film de Feras Fayyad, Les Derniers Hommes d’Alep, est nommé dans la catégorie Meilleur documentaire à la 90e cérémonie des Oscars, qui aura lieu le 4 mars prochain. Mais, en cas de victoire, son producteur et son protagoniste n’auront pas l’occasion de soulever la statuette dorée.
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En effet, comme le rapporte The Hollywood Reporter, le gouvernement syrien ralentirait la procédure de délivrance des visas de travail, ces derniers étant nécessaires à Kareem Abeed et Mahmoud Al-Hattar, l’un des Casques blancs de l’organisation humanitaire Défense civile syrienne – sujet principal du film –, pour se rendre à la cérémonie.
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Une situation regrettable pour Feras Fayyad, le réalisateur du film basé en Californie, seul membre de l’équipe présent sur le sol américain : “Nous sommes des artistes, nous voulons simplement partager nos histoires et rien de plus.”
Une réticence de l’administration syrienne
Après l’annonce de la nomination du film aux Oscars le 23 janvier dernier, les deux hommes ont déposé une demande de visa, sans se douter que cela poserait problème. C’était sans compter l’administration syrienne, qui a choisi de programmer l’entretien des autorités avec Kareem Abeed le 2 mars. Même en cas de réponse positive, cela compromet grandement la présence du producteur à la cérémonie, qui a lieu seulement deux jours plus tard.
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Pris dans le même bourbier bureaucratique que son collègue, Mahmoud Al-Hattar doit faire face à un challenge supplémentaire : il n’a pas de passeport syrien, car on le lui a récemment refusé. Le Casque blanc et protagoniste du film regrette de ne pouvoir profiter de l’influence de la cérémonie pour faire passer des messages importants :
“J’aimerais être sur la scène des Oscars pour dire : ‘Il est temps de finir cette guerre et d’arrêter ceux qui utilisent leur pouvoir pour nous détruire.'”
Une organisation qui fait polémique en Syrie
Premier long-métrage entièrement produit et réalisé en Syrie à être nommé aux Oscars, Les Derniers Hommes d’Alep documente les missions des Casques blancs, membres de la Défense civile syrienne qui recherchent et secourent les civils dans les parties d’Alep tenues par les rebelles.
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Cette organisation humanitaire créée en 2013 procure des soins médicaux aux habitants, présents de force au cœur d’une guerre civile d’une violence rare ayant décimé une immense partie de la population du pays depuis ses débuts en 2011.
Présélectionnée pour le prix Nobel 2016, la Défense civile syrienne se voit sévèrement critiquée par le président syrien Bachar al-Assad et ses partisans, qui n’hésitent pas à la qualifier de “couverture pour Al-Qaïda” et à la mettre au centre de nombreuses théories du complot alimentées par les médias pro russes, malgré son absence des zones contrôlées par l’État islamique (à l’exception d’al-Bab).
Une position radicale qui expliquerait la réticence des autorités syriennes à offrir aux membres de l’équipe du documentaire la possibilité de promouvoir à l’étranger les actions d’une organisation antigouvernementale. Le réalisateur Feras Fayyad dénonce cette décision, qui relèverait plus de la stratégie politique que de difficultés administratives :
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“Le gouvernement syrien ne veut pas délivrer de passeports et de visas parce qu’il utilise la même accusation que les Russes, consistant à dire que les Casques blancs travaillent avec un groupe terroriste. Le gouvernement syrien est sous le contrôle des Russes [Vladimir Poutine soutient le régime d’Assad, ndlr].“
Mahmoud Al-Hattar aurait aimé pouvoir “interpeller ceux qui causent de la peine et de la souffrance” et “condamner la Russie, Assad et toutes les personnes qui représentent les autorités et leur fournissent des armes pour réprimer le peuple syrien”.
Le décret anti-immigration de Donald Trump
Adopté en mars 2017 et renforcé par la suite, le décret anti-immigration du président Trump interdit de façon permanente le franchissement des frontières américaines aux ressortissants de sept pays (Corée du Nord, Iran, Libye, Somalie, Syrie, Tchad et Yémen) pour des raisons de sécurité nationale. Le texte empêche donc l’entrée sur le territoire national de tout ressortissant syrien, sauf dans le cas d’une rencontre avec un représentant politique.
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Ainsi, dans l’hypothèse où l’administration syrienne se décidait finalement à faciliter le départ de ses deux ressortissants, ces derniers devraient encore affronter un obstacle de taille, que l’on présente comme faisant partie de la lutte contre la menace terroriste, une fois sur le sol américain.
Kareem Abeed et Mahmoud Al-Hattar ont plaidé leur cause auprès du Département d’État des États-Unis (équivalent du ministère des Affaires étrangères), sans grand espoir d’intervention. Le réalisateur Feras Fayyad dénonce les “hideuses positions du président Trump” et salue les membres de l’Académie des Oscars pour leur soutien.
Il termine sur une note plus positive, en précisant que la communauté cinématographique hollywoodienne est remplie de “belles personnes qui veulent travailler avec vous et vous offrir des jobs, parce qu’ils croient en votre talent et vos compétences en tant que réalisateur. La véritable population des États-Unis, les vrais formidables Américains, vous êtes heureux de les connaître”. Il promet enfin :
“Si quelqu’un est banni, d’autres parleront pour lui et raconteront son histoire.”