Pour la Journée mondiale de lutte contre le Sida, ce lecteur nous raconte le choc de la découverte de sa séropositivité, et la stigmatisation qu’il s’est lui-même infligée.
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Cela fait trois ans que j’ai découvert ma séropositivité. C’est donc relativement récent, et pourtant, c’est en voulant écrire ce témoignage que je me suis rendu compte que j’avais complètement occulté certaines parties particulièrement douloureuses.
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Comment j’ai contracté le VIH
À l’époque, je venais de me séparer de mon copain et j’avais énormément de partenaires, avec lesquels je me protégeais toujours. Il faut dire que mes études m’avaient amené à étudier le VIH, et je faisais d’ailleurs des tests de dépistage tous les six mois.
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Et puis, quelques mois après ma rupture, au début de l’été, je suis parti en vacances au bord de la mer. J’ai eu une belle histoire d’été avec un garçon génial pendant une semaine. Et une fois, alors qu’on était sur la plage et que tout était parfait, on a eu très très envie l’un de l’autre. Mais le sable ne faisant pas bon ménage avec les préservatifs, pour une des très rares fois de ma vie, on a fait l’amour sans se protéger.
On est ensuite retournés à nos vies respectives. Il a essayé de m’appeler en août, mais j’étais au travail et ne pouvais pas répondre. Puis le lendemain mon portable a fait une chute, et il s’est cassé. Je n’avais plus son numéro, je l’ai zappé.
Est venu, quelques mois plus tard, le moment de mon test bisannuel. J’avais toujours peur des résultats, mais cette fois-là, c’était encore pire. Le médecin m’a finalement annoncé que j’étais séropositif, que j’avais contracté le VIH. Comment décrire ce moment ? J’étais complètement sonné, terrassé par la nouvelle.
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Le choc du diagnostic
Le médecin m’a laissé seul quelques minutes, le temps de me remettre, et j’ai prévenu un ami proche. Il m’a dit de passer chez lui, et c’est ce que j’ai fait, encore sonné et honteux.
Bien sûr, j’avais tout de suite compris, je me suis souvenu de ces rapports sur la plage. Et en réfléchissant, je me suis souvenu que le garçon avec qui j’avais couché m’avait dit qu’il avait eu une grippe quinze jours avant ses vacances. Une grippe en juin ? Avec le recul, c’était sûrement une primo-infection. Il devait donc être extrêmement contagieux lors de notre rapport.
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Comme Aides le rappelle, “le VIH est le virus responsable du Sida, le stade ultime de la maladie en absence de traitement pour contrer le virus”. Le virus peut se transmettre par voie sexuelle, sanguine et de la mère à l’enfant.
La primo-infection marque “l’invasion progressive de l’organisme par le VIH jusqu’à la colonisation complète du corps” : elle s’accompagne souvent de symptômes communs à la grippe. Le risque de transmission lors de la primo-infection est très élevé.
Le ministère de la Santé rapporte que chaque année en France, environ 6 000 personnes découvrent leur séropositivité, dont plus d’un quart (27 %) à un stade avancé de l’infection. Par ailleurs, 25 000 ignoreraient leur séropositivité pour le VIH. En 2016, selon Santé publique France, les deux groupes les plus touchés étaient les homosexuels et les hétérosexuel·le·s nés à l’étranger (principalement en Afrique subsaharienne), pour 44 et 40 % des découvertes de séropositivité. Venaient ensuite les hétérosexuel·le·s nés en France, pour 15 % d’entre elles.
Je ne lui en voulais pas, il ne savait pas et on était deux à prendre la décision de ne pas mettre de préservatif. Son appel en août m’est apparu comme une tentative de me prévenir : avait-il appris sa séropositivité ? J’ai cherché un moyen de le contacter, et j’ai fini par le retrouver sur Facebook. Sauf que son mur était plein de messages lui rendant hommage.
Je ne comprenais pas alors j’ai contacté plusieurs des personnes qui lui avaient écrit, et on m’a expliqué. Il avait eu un grave accident de voiture et était tétraplégique.
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Tout avait basculé en quelques jours entre la découverte du virus et celle de son accident. En plus de la tristesse, j’ai ressenti beaucoup de frustration : je ne pouvais plus communiquer avec lui.
Et finalement, il n’y a pas qu’avec lui que je n’ai pas communiqué. Je ne suis déjà pas quelqu’un qui se livre facilement, même avec mes amis proches, alors avec en plus la culpabilité et la honte… Ce qui est fou quand j’y repense, c’est que je pensais vraiment être bien informé sur le VIH. Mais une fois que je me suis trouvé personnellement touché, j’ai oublié ce que je savais pour ne garder que les stéréotypes.
Je me sentais pourri
Je me sentais pourri de l’intérieur, je me dégoûtais. Sans le savoir, je portais l’idée que les personnes séropositives sont dégueu. J’avais constamment l’image d’un sang pourri, et j’avais même développé un tic : dès que j’évoquais le VIH, que j’y pensais, je regardais les veines à l’intérieur de mon poignet et les touchais. Je me disais “Il est là”, le virus (me) pourrit là, juste sous ma peau.
Peut-être aussi à cause de mon éducation très chrétienne, j’étais complètement assommé par un sentiment de culpabilité. Pourquoi n’avais-je pas mis ce préservatif ? C’était de ma faute si j’avais attrapé le virus, j’avais failli, j’avais couché quand il ne l’aurait pas fallu. J’étais tellement dégoûté de moi-même, tellement honteux. Et tellement triste.
J’habitais alors en colocation avec mon meilleur ami, propriétaire de l’appartement. Je le connaissais depuis dix ans, mais j’ai eu trop peur de lui dire : le VIH, ça touche à des choses intimes (l’amour, le sexe, la maladie), et ça peut susciter des réactions irrationnelles terribles. Pendant mes études, je l’avais comparé à la lèpre, qui véhiculait le même imaginaire irrationnel. Je ne pouvais pas risquer que mon ami me jette de l’appart et que cela brise notre amitié.
En fait les premiers mois, seulement trois personnes étaient au courant de ma séropositivité : mon médecin, l’ami que j’avais immédiatement contacté et une pharmacienne. Elle m’a apporté un soutien inattendu, mais qui m’a beaucoup aidé.
Entrer en résistance
Il y a eu environ un mois entre le résultat du dépistage et le début de ma trithérapie, mais ça ne m’a pas forcément préparé à la prise du traitement.
Je me revois marcher dans la rue allant à la pharmacie, aussi sonné que le jour de l’annonce. Je suis entré, je suis allé à un guichet et j’ai tendu mon ordonnance à la pharmacienne devant moi. Elle m’a demandé si je savais comment prendre le médicament et j’ai été incapable de lui répondre, j’étais comme paralysé.
Elle a parfaitement réagi : elle s’est mise à m’appeler par mon prénom et m’a amené à un autre guichet isolé. Chuchotant, elle a pris le temps de devancer toutes mes craintes en me donnant plein de conseils pour gérer la prise du médicament. Je ne voulais pas que mon coloc sache, je voulais que personne ne sache, alors elle a enlevé l’étiquette sur le flacon, a jeté le carton de l’emballage et m’a dit de mettre du coton à l’intérieur pour qu’on n’entende pas les comprimés s’entrechoquer.
Ça a été un moment charnière de mon parcours : j’ai eu l’impression d’entrer en résistance. Les chuchotements, l’isolement, les astuces pour cacher la trithérapie à mon entourage… La pharmacienne m’a aussi conseillé un groupe de parole, mais je ne voulais pas verbaliser, et peut-être bien que j’en étais incapable.
J’ai commencé la trithérapie, dont la prise était toujours un moment de tristesse lancinante. Je ne sais pas pourquoi, alors que je ne suis pas pratiquant, je faisais un signe de croix après chaque comprimé. Tout était bon pour m’aider à gérer cela quasiment seul et en secret. Extérieurement je ne montrais rien, mais toute ma vie était bouleversée.
Une période d’autodestruction
Parallèlement, j’ai commencé à avoir un comportement sexuel aberrant. Je me suis mis à fréquenter des endroits où je n’avais jamais voulu mettre les pieds avant, et j’ai fait des choses terribles (mais toujours avec préservatif). Il fallait que je me salisse, le plaisir sexuel était associé à la saleté. Je me détestais, je me dégoûtais, mais j’avais un appétit sexuel de plaisir sale gargantuesque.
J’ai toutefois dû adapter ma façon de draguer, préférant les applis aux bars. Et j’ai vite décidé de toujours informer mes partenaires potentiels de ma séropositivité dès le début. Les “non” que j’ai parfois reçus étaient difficiles à entendre mais compréhensibles, et personne n’a été trop indélicat.
Précisons que trois mois après le début de la trithérapie, je suis devenu indétectable — et le suis resté depuis.
“L’objectif du traitement antirétroviral est de ralentir l’activité du virus et d’atteindre une charge virale indétectable. Si la personne dont la charge virale est indétectable demeure porteuse du VIH et est toujours séropositive, le virus est présent en quantité plus faible dans le sang.
Commencer un traitement très tôt après la découverte de la séropositivité permet de mieux préserver à court et long terme comme l’explique Aides, permettant ‘une espérance de vie tendant à celle de la population générale’.
Le Huffington Post rapporte que l’association a également souligné pour ce 1er décembre que les dernières études scientifiques ont démontré qu’‘une personne séropositive qui prend correctement son traitement et dont la charge virale est dite indétectable depuis plus de six mois, ne peut pas transmettre le virus’.”
Cette frénésie sexuelle a duré seize mois, jusqu’à ce que je rencontre l’homme avec qui je suis aujourd’hui. Là, tout s’est calmé, et j’ai partagé avec lui le fardeau que je portais depuis la découverte de ma séropositivité. Les personnes au courant se comptent toutefois toujours sur les doigts d’une main.
Le VIH, les autres et moi
Six mois après le diagnostic, j’en ai parlé à deux amis proches lors d’un dîner alcoolisé. C’était la première fois que je fondais en larmes et exprimais ma tristesse. J’ai enfin lâché les vannes, et j’ai tout de suite reçu leur soutien. J’en ai également parlé à mon meilleur ami, qui a en fait été absolument parfait.
Par contre, en parler à ma famille n’a jamais été une option, même s’ils sont très ouverts. Je sais que mes parents se feraient un sang d’encre, et je veux les épargner.
Et mes autres amis proches ne savent pas non plus, parce qu’ils font parfois des maladresses en parlant des personnes vivant avec le VIH. Comme beaucoup de gens, leur vision des séropositifs et malades du sida est celle de drogué·e·s en marge de la société, qui ne sont pas instruit·e·s et plutôt déstructuré·e·s psychologiquement. Une vision que j’avais en fait intégrée, comme mes réactions après le dépistage le montrent, à mon sens.
J’étais le premier, et d’ailleurs le seul, à me culpabiliser, à me sentir pourri et à ne plus avoir aucune estime de moi-même. Je ne veux pas que mes amis me voient à leur tour de cette façon-là.
En fin de compte, une seule autre personne m’a discriminée, dans un boulot qui se passait déjà mal. J’étais en concurrence avec une collègue qui me harcelait et faisait tout pour m’écraser. À cette époque, je prenais mon médicament le midi, ce qui m’arrangeait vis-à-vis de mon coloc qui n’était alors pas au courant. Je gardais mes comprimés dans un tiroir de mon bureau, dissimulés dans une boîte de médicaments anti-stress.
Un jour je suis rentré dans le bureau qu’on partageait, et j’ai vu, posé bien en évidence sur son poste, l’impression d’un article sur mon médicament contre le VIH — inutile de préciser qu’il n’y avait aucun rapport avec notre travail. Ce papier, elle l’a laissé là trois semaines. Ça m’a terrassé de voir qu’on pouvait aller aussi loin dans la méchanceté pure. C’était affreux, c’était effrayant. Elle avait fouillé dans mes tiroirs, touché mes comprimés puis été chercher à quoi ils correspondaient pour me faire du mal.
“Ce mardi 28 novembre, France Info révélait les résultats d’un sondage réalisé pour l’association Aides par l’institut CSA. Il montrait selon Aides ‘la persistance d’une ignorance et de préjugés importants en matière de transmission du VIH’, à commencer par la stigmatisation des personnes séropositives. Car si près de neuf Français sur dix considèrent qu’une personne séropositive sous traitement peut vivre “comme tout le monde”, la côtoyer est une autre affaire.
16 % des personnes qui ont un emploi seraient ainsi gênées de travailler avec un collègue séropositif, et la proportion atteint jusqu’à 30 % chez les 18-24 ans. Un Français sur dix n’aimerait pas être soigné dans le même cabinet médical que celui d’un autre patient atteint du Sida, et dans 49 % des cas, c’est à cause de la ‘peur des risques de contamination’.”
Pour cause : le virus et les avancées thérapeutiques qui ont été faites semblent encore méconnus. Seuls 2 % des Français interrogés ont intégré le fait qu’une personne séropositive sous traitement et indétectable depuis plus de six mois ne peut transmettre le virus.”
Je me suis redécouvert
Finalement, moi aussi j’ai eu cette position de mépris pour les personnes porteuses du VIH. Le diagnostic n’a pas révélé que la maladie : j’ai découvert des aspects de ma personnalité que je ne soupçonnais pas. À commencer par cette capacité de mépris : au fond si je me détestais autant d’être séropositif, c’est qu’auparavant je méprisais les séropositifs, que je considérais qu’ils avaient fauté.
J’avais ce dégoût physique, mais aussi un dégoût social : je pensais que ça ne pouvait d’autant plus pas m’arriver à moi parce que j’étais éduqué, instruit. J’avais cette conscience de classe de me dire “ça ne peut pas m’arriver parce que je sais”. Moi, faire cette erreur de ne pas me protéger ? Moi, attraper le VIH ? Je me pensais au-dessus de tout cela, même en étant instruit sur l’absurdité de ces préjugés collant au VIH.
C’est peut-être aussi à cause de ça que le récit de ma séropositivité, celui que j’ai raconté à mes amis et mon copain, ne compte pas les aspects les plus douloureux de mon parcours. Mon esprit a fait preuve d’une fascinante capacité à taire les choses, pour eux comme pour moi.
La tétraplégie de mon ex-partenaire, mon sentiment d’être pourri, le sexe sale, la méchanceté de ma collègue… J’avais donc oublié tout ça jusqu’à ce que je réfléchisse à ce que j’allais dire dans ce témoignage. C’est là que tout est ressorti, et franchement, ça me touche encore de façon très aiguë.
Ce silence m’a peut-être protégé autant qu’il m’a détruit, je crois que j’en avais besoin et étais incapable de réagir différemment, mais cela fait qu’aujourd’hui je n’ai pas encore réussi à prendre beaucoup de recul. J’ai dépassé l’impression d’être sale et le dégoût de moi-même, mais la culpabilité et la tristesse sont toujours là à chaque fois que je pense à ma séropositivité.
Je dois vivre avec cette sorte d’acte manqué à l’envers, cette occasion de me protéger que j’ai ratée et que je revis sans cesse. C’est un cheminement long pour tout accepter, comme un mouvement très silencieux et invisible.
Propos recueillis par Mélissa Perraudeau