L’univers de Jouana Jasim, étudiante en communication à l’univers sexy et tout en pixels, donne définitivement bonne mine à la Toile.
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À seulement 23 ans, Jouana Jasim est une bombe d’énergie qui fait déjà preuve d’une grande maturité artistique. Sa pratique oscille entre video, illustration et “pixel art”. Le cynisme ultra-coloré et 90’s de son univers (entre Vice City et Mario Kart) fait autant de bien qu’un feel-good movie du dimanche. C’est avec bonne humeur et joie de vivre que Jouana Jasim partage avec nous son regard ironique et aguicheur sur le monde 2.0, qui nous environne.
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Jouana Jasim est née à Villejuif (“ville affreusement ennuyante”, selon elle) de parents réfugiés politiques kurdes-irakiens. L’endroit, monotone, barbant et incolore influence alors son imaginaire. Le dessin est sa première porte de secours. Elle commence réellement à s’y mettre à 12 ans, en sixième, après l’achat de son premier manga : Fruits Basket, dont elle copie, fière et acharnée les traits.
Elle entre, après un bac S, sans être tout à fait sûre d’où elle met les pieds, à l’Atelier de Sèvres (classes préparatoires aux concours des écoles d’art) – une bouffée créative pour elle. Elle intègre ensuite la Villa Arson (Beaux-Arts de Nice) mais hélas, pour elle, trop intense et élitiste. Une dépression d’un an s’en suit. Jouana Jasim est actuellement élève en troisième année à l’EPSAA (l’école professionnelle supérieure d’arts graphiques de la ville de Paris) et ça se passe plutôt bien. C’est une école qui n’a rien à voir avec les beaux-arts : elle est censée préparer à faire de la direction artistique et non à devenir artiste.
“Même si les gens ont l’air de penser que je suis ‘un cas à part’, les professeurs et la direction ont l’intelligence de me laisser une certaine forme de liberté. Si j’ai envie de dessiner une pénétration anale sur une assiette en porcelaine, ils me laisseront faire. D’ailleurs, je l’ai déjà fait. Si tout se passe bien, je serai diplômée à la fin de l’année scolaire. “
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Du point de croix au “pixel art”
Bien que né dans les années 1970, le “pixel art” connaît son heure de gloire dans les années 1990. On le définit clairement par une palette de couleurs limitées et une stylisation maximale des formes. On connaît tous cet aspect 2D et hyper simplifié, très caractéristique des jeux vidéo comme Space Invaders ou encore Pac-Man. Cette manière de créer des images cohabite pour Jouana Jasim avec son utilisation du textile.
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À la base, elle est très attirée par le travail du tissu, par la création textile ; avec des matières réelles et tangibles, contrairement à l’écran d’ordinateur. Elle brode en apprenant avec sa mère, tout en traînant en parallèle sur Nitrome, plateforme de jeux vidéos 8-bit gratuits. Sa mère, personnage haut en couleur, au goût prononcé pour le point de croix “absolument affreux et kitsch” selon elle, est alors son mentor. Leur maison est hantée de créations personnelles diverses et variées, ce qui apporte à Jouana Jasim une inspiration très marquée par l’imagerie populaire rétro un peu passée mais surtout un regard décalé et très assumé sur tout cet univers plutôt kitsch.
Elle fait donc son grand saut dans les pixels, par parallélisme. Faute de temps, elle ne peut plus broder et passe alors au digital.
“Il y a une forte symbolique sexuelle, qui m’intéresse, où l’aiguille est une sorte de prolongement phallique et le tissu est une figure féminine, mais avec mes études de graphisme, je n’avais plus trop de temps de créer des œuvres en textile. C’est ainsi qu’est venu le pixel ! Finalement, le pixel et le point de croix ne sont pas si différents. Dans les deux cas, on retrouve juste des petits carrés qui créent alors un visuel.”
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Lorsque le besoin d’une narration complexe se faire sentir, Jouana passe par la vidéo, toujours en pixels :
“J’aime l’illustration, mais j’avoue que parfois, il est difficile pour moi de transmettre une idée précise par ce biais. Alors, je passe à la vidéo. Par exemple, ma vidéo ‘Pills, The Game’ parle des hôpitaux psychiatriques et c’est un sujet bien trop difficile à mes yeux pour exprimer mes idées avec un seul dessin. Ici, je me demande : comment peut-on faire en sorte que des personnes ‘inaptes’ (même partiellement) dans notre société puissent regagner cette fameuse société en s’en éloignant ? Cette incohérence m’a toujours paru parfaitement absurde…”
Asphyxie érotique
Porno, séduction et autre allusion burlesque viennent ponctuer son travail. Un regard libre sur notre monde sexualisé empreint d’une sorte d’attitude distanciée sur les choses marquent les compositions de l’artiste. Son carnet d’inspiration est loin d’être celui d’une petite écolière bien sage… Dans son projet “Tarot” par exemple, Jouana a travaillé sur la carte numéro 12 du jeu de tarot de Marseille, “Le Pendu”, en se focalisant sur une autre représentation de la pendaison que le suicide, celle liée à l’asphyxie érotique et s’est inspirée de photos personnelles d’un couple d’amateurs.
“Je n’avais pas envie de dessiner un mec qui avait décidé de mettre fin à sa vie parce qu’il avait découvert que sa femme l’avait trompé avec sa sœur… Donc, alors que je mangeais ma biscotte en regardant un site pornographique, j’ai eu l’idée de contourner l’idée qu’on se fait tous de la pendaison (celle qui évoque le désespoir), en préférant représenter l’asphyxie érotique. Dans la communauté BDSM, cette pratique désigne le fait de priver le cerveau d’un partenaire ou de soi-même d’oxygène dans le but d’en tirer un plaisir sexuel, souvent au moment de l’orgasme. Je me suis retrouvée à rechercher des images sur Internet et je suis tombée sur un couple amateur par hasard qui avait un album photo nommé ‘bondage’. Ils avaient réalisé ça dans une sorte de gymnase pour enfants avec une lumière criarde et des images très mal cadrées. J’ai trouvé leur maladresse très mignonne. “
Elle n’a pas de rapport libidineux à la pornographie, elle la considère plutôt comme un moyen assez simple et direct d’analyser notre société.
“Disons que je préfère regarder un bukkake, où une japonaise se prend une quantité irréaliste de foutre et en extraire une interprétation sociologique plutôt que de lire mille bouquins de ‘psycho-socio-blabla’ analyse. Je fais partie des gens comme Ovidie qui pensent sincèrement que la pornographie est un reflet stéréotypé et simpliste de notre société : entre l’avilissement de la femme et le culte de la performance pour l’homme, tout y est.”
Fascination pour les it-girls
C’est sur Instagram que nous avons repéré le travail de Jouana Jasim. Une page bien particulière, haute en couleurs, bien flashy, où on ne trouve pas de photos mais des images de photos – pixellisées, où les protagonistes, it-girls ou autres supermodels sont sorties de leur contexte et remise en scène habilement dans l’univers de l’artiste.
“Il y a un phénomène qui me fascine particulièrement : ces filles qui sont suivies par des milliers (voire des milliards de personnes) en postant pratiquement tous les jours une photo de leur sublime visage. Les modèles que je prends pour créer mes dessins sont de cette catégorie-là. Je tombe souvent par hasard sur elles en tapant ‘it-girl’, ‘beauty’ ou ‘model’.”
En outre, Jouana Jasim utilise l’idée que ces filles sont une sorte “de paroxysme du narcissisme” dans le sens où elles ne véhiculent rien à part elles-mêmes, “épatant !” Elle crée ensuite de véritables tableaux – sortes d’ex-voto de la fille faussement parfaite et moderne.
“En soi, ces filles me rassurent. J’aime dessiner ces femmes car elles représentent assez bien l’égocentrisme crasse de notre espèce, obsédée par une forme de mise en scène de sa propre vie qui est attirée par des images normalisées et idéalisatrices. Et comme je fais partie de l’espèce, je m’inclus absolument dans cette tendance à jouer sur la réalité et la fiction de ma vie.”
En matière de technique, elle utilise seulement Photoshop et son outil crayon pour faire ses images en pixels. Elle pique la photographie à sa propriétaire sur son compte Instagram et elle dessine par-dessus par couches, de la plus claire à la plus foncée. Le premier portrait, elle l’a réalisé en une semaine, aujourd’hui, elle ne met plus qu’entre 2 et 4 heures pour en terminer un.
Un feu d’artifice d’inspirations
En discutant avec Jouana, on se rend vite compte que l’étudiante est curieuse de tout, observe le monde et essaye d’accumuler encore et encore un maximum de connaissances et de savoirs. Ses références artistiques sont vastes mais reflètent déjà bien son univers enchanté.
Amanda Lear (“pour sa voix”), David Hasselhoff (“pour son charisme”), Jean-Paul Sartre (“pour son strabisme imposant”), les gens qui militent pour le port des baskets à talons (“pour leur courage”), Dub Dub (“sa muse”) et la coupe de cheveux de Régine font partie de son monde.
Son univers graphique est basé essentiellement sur un mélange un peu instable entre les récits d’Albert Camus, les films de Katsuni, les napperons de grand-mère, les animations 8-bit des années 1980, la sexualité débridée d’Apollonia Saintclair, le ton décalé d’Éric Pougeau, le glauque d’Henry Darger, et la technique exceptionnelle d’Erin M. Riley.
Bientôt un recueil de contes
Pour l’instant, Jouana Jasim se concentre essentiellement à la préparation de son diplôme et travaille sur “un recueil de contes pour enfants qui a la particularité d’avoir des images pornographiques cachées qui sont visibles seulement avec des lunettes à filtres rouges” et sur un projet avec un réalisateur anglais dans le cadre d’une exposition féministe et collective à Londres pour septembre.
On se réjouit, bien sûr, de connaître la suite…