Insérer des formes géométriques dans des interstices parfaitement destinés à les accueillir. Créer des lignes de carrés, et les voir disparaître. Sentir la dopamine inonder son cortex préfrontal l’espace d’une nanoseconde. Former un quart de sourire. Froncer les sourcils. Anticiper l’apparition de la prochaine forme, les doigts crispés sur le pad. Si le gameplay de Tetris est aussi agréable et addictif, c’est parce qu’il s’appuie sur le plus vieux système du monde : la gratification, instantanée, d’avoir mis de l’ordre dans le chaos.
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Cette même satisfaction indicible qui nous saisit aux tripes lorsque l’on regarde l’une de ces “vidéos les plus satisfaisantes du monde” qui abondent à tous les carrefours de YouTube et rivalisent de promesses orgasmiques à la vue d’une chaîne de production rodée au millimètre ou d’un mille-feuilles parfaitement tranché en huitièmes de cercle. Tetris apaise notre maniaque intérieur, relègue temporairement au second plan l’angoisse existentielle du chaos qui nous étreint. Au point d’avoir des vertus thérapeutiques ? Selon Emily Holmes, de l’université suédoise de Karolinka, aucun doute.
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Des résultats après 20 minutes
L’experte en psychologie, dont l’étude des vertus médicales du jeu est relayée par la BBC le 28 mars, vient de publier dans Nature un fascinant article qui évalue l’impact du jeu de plateforme sur les personnes souffrant de stress post-traumatique, et particulièrement les victimes d’accidents de la route. Selon les travaux de son équipe, basée à l’université d’Oxford (Royaume-Uni), les formes, les couleurs et les mouvements du jeu pourraient sensiblement réduire les effets du stress post-traumatique (PTSD en anglais), tant il nécessite de concentration visuelle.
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Pour parvenir à ces conclusions, la professeure Emily Holmes et son équipe ont demandé à 71 accidentés de la route récemment admis à l’hôpital en état de choc de visualiser leur accident avant de se mettre immédiatement à jouer. En 20 minutes, les patients parvenaient à faire presque disparaître les souvenirs traumatiques impromptus – les “flash-back” –, si tant est que la “thérapie cognitive” leur était administrée dans les six heures suivant le choc traumatique. Selon Emily Holmes, le jeu possède également un effet à plus long terme, dû à la concentration qu’il exige sur le plan visuel. Selon la chercheuse, “si l’on se lance dans des tâches visuellement très exigeantes juste après un traumatisme, cela peut aider à bloquer ou perturber les souvenirs stockés de manière trop vive”, qui sont à la base des “flash-back”. Tout l’enjeu, selon la chercheuse, est désormais d’introduire cette thérapie cognitive dans les hôpitaux.
Outre un impact significatif sur le stress post-traumatique, que les travaux d’Emily Holmes ne sont pas les premiers à identifier ( En 2009 et 2012, deux études du département de psychologie dOxford le montraient déjà très bien), la BBC rappelle que la science s’est déjà acoquinée avec Tetris par le passé pour lui découvrir d’autres vertus thérapeutiques. Ainsi, le “Tetris Effect”, qui scotche les joueurs au point de rêver de petits formes colorées, fait diminuer l’addiction au café, aux clopes et à l’alcool et peut même aider à traiter une maladie, l’amblyopie – ou “œil paresseux”.