Les perturbateurs endocriniens, ces micro-éléments chimiques d’origine naturelle ou artificielle, qui perturbent notre système hormonal et seraient liés aux développements de cancers, de diabète, d’obésité et de complications de grossesse, ont encore de beaux jours devant eux. Pourtant, leur présence identifiée dans certains produits (pesticides, produits cosmétiques, électronique, etc.) devrait en théorie rendre possible leur interdiction pure et simple, l’urgence n’étant plus à prouver.
Publicité
C’est sans compter sur la timidité (ou peut-être la corruption ?) de la Commission européenne face à la question, qui lui vaut aujourd’hui un nouveau revers. “La France, le Danemark ou encore la Suède, ont refusé de voter la proposition de la Commission en faisant part de leurs désaccords sur le fond du texte, toujours inacceptable à leurs yeux.”
Publicité
Et pour cause ! Le texte, délivré avec trois ans de retard, porte à chaque ligne la marque des groupes d’intérêts industriels, dont le lobbying forcené a dénaturé en profondeur un projet de loi qui aurait pu les forcer à modifier les formules de leurs produits. Une catastrophe potentielle pour ces industriels (Bayer, Monsanto et compagnie), dont les produits sont bourrés de ces molécules nocives pour la santé, comme le glyphosate ou le bisphénol A.
Une enquête du journal Le Monde, qui a eu accès à une grande partie des documents échangés dans le cadre de ce processus de “réglementation”, révèle comment la Commission a torpillé le procédé dès le début. En 2013, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), un groupe de scientifiques convoqué spécialement pour définir les contours juridiques d’une possible réglementation des produits dangereux, publie un rapport qui devient le socle du projet de loi de la Commission. La conclusion de ce rapport, (consultable ici) est faussée. Pire ! Une partie absolument fondamentale de cette conclusion a été écrite en 2012, avant même que l’EFSA ne se réunisse en 2013 pour traiter de la question. Conflit d’intérêts, quand tu nous tiens.
Publicité
Tunnel administratif : la Commission sous influence
Tout tourne autour d’une simple phrase, ajoutée à la conclusion de l’EFSA : “Les perturbateurs endocriniens peuvent […] être traités comme la plupart des substances [chimiques] préoccupantes pour la santé humaine et l’environnement”.
En clair, les perturbateurs endocriniens, qui coûtent chaque année 157 milliards d’euros à l’Europe, qui menaceraient notre QI selon Michel Cymes, qui favorisent le développement de certains cancers (et la liste est longue), sont considérés comme des produits chimiques comme les autres. Il faudrait dont leur appliquer les mêmes critères d’évaluation qu’aux autres produits chimiques, à savoir que leur dangerosité doit être avérée et prouvée au cas par cas, sans prendre en compte le principe de précaution et la dangerosité présumée. Perdu d’avance.
Publicité
D’une part, selon les dispositions prévues par le texte, il est quasiment impossible d’incriminer la dangerosité d’un perturbateur endocrinien, du fait des critères excessivement restrictifs imposés par la Commission. D’autre part, les perturbateurs endocriniens sont tellement nombreux et variés que, du fait de ces critères restrictifs, c’est encore une fois mission très difficile pour tous les qualifier de dangereux.
Le projet de loi prévoit même de mettre en place des dérogations pour certains produits dont les risques sont jugés “négligeables pour l’homme”, même en cas de risque potentiel, ce qui ouvre un véritable boulevard aux producteurs de ces produits.
En bref, un tunnel juridique savamment orchestré au fil des années par la Commission européenne, qui, de campagne de désinformation en campagne de désinformation, n’en finit pas de biaiser les rapports scientifiques sur le sujet. “Les discussions sur les perturbateurs endocriniens souffrent de cette déformation des preuves scientifiques par des acteurs financés par l’industrie”, s’alarment ainsi 100 experts dans une tribune publiée dans le journal Le Monde.
Publicité
La grogne de la société européenne
Les ONG, scientifiques et États européens volontaristes accusent ainsi la Commission d’avoir cédé aux sirènes des lobbyistes en proposant, dans son projet de loi, une définition très timide des perturbateurs endocriniens qui “requiert un niveau de preuve bien plus élevé que pour d’autres substances dangereuses, comme celles cancérigènes.” (France Info). La centaine de scientifiques à l’origine de la tribune dans le journal Le Monde enfonce le clou : “dans la pratique, il sera très difficile de reconnaître une substance dangereuse comme perturbateur endocrinien”, tout en rappelant l’urgence de “mettre la science à l’abri de l’influence des intérêts privés”.
Côté politique, ça grogne. Ségolène Royal, ministre de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer, a ainsi répété à de nombreuses reprises qu’elle s’opposait au texte en l’état, comme de nombreux dirigeants européens. Dans une lettre adressée au président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, et cosignée par des officiels suédois et danois, elle juge ainsi que la proposition de loi est “inacceptable”, et qu’elle “marquerait un recul dans l’action de l’Union européenne de protection de la santé de nos concitoyens et de notre environnement”.
Publicité
Sans surprise, la société civile s’est également emparée de cet enjeu sanitaire majeur qui concerne l’ensemble des citoyens européens et leur descendance. Fin février, sept personnalités écolo, dont Nicolas Hulot, José Bové et Yannick Jadot, se sont livrées à un test médiatisé pour démontrer l’ampleur du problème. Les résultats sont sans appel : les échantillons de cheveux de toutes les personnes testées comportaient des traces de ces perturbateurs endocriniens, dans des proportions parfois alarmantes. Les cheveux de la navigatrice Isabelle Autissier comportent pas moins de 68 molécules différentes et potentiellement dangereuses !
Une pétition lancée sur Sum Of Us a récolté plus de 300 000 signatures pour demander l’abandon pur et simple des critères restrictifs imposés par la Commission européenne et pour remettre au centre de la table le principe de précaution, qui veut qu’un produit suspecté ne peut être commercialisé. Une tolérance zéro voulue par de nombreux parlementaires européens mais qui ne semble manifestement pas rentrer dans les projets de la Commission, trop occupée à brosser l’industrie chimique dans le sens du poil. Et pendant ce temps là, rien n’est fait.