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“All I Want For Christmas Is You”, “Petit Papa Noël”, “White Christmas”… Les classiques des chansons de Noël nous reviennent en tête chaque année à la même période. Une tradition qui truste les charts en Angleterre et aux États-Unis depuis près de soixante-dix ans, avec son lot de recettes aseptisées, de paroles naïves, de kitsch, mais aussi de provocation, de double sens et de parodies. Le répertoire de Noël est bien plus divers et étonnant qu’on ne pourrait le croire. Une richesse folle qui a poussé l’auteur Steven Jézo-Vannier à y consacrer son nouveau livre, Jingle Bells, l’improbable histoire des chansons de Noël. Et il n’y a pas que Bing Crosby, Mariah Carey et Tino Rossi à y découvrir, mais aussi Snoop Dogg, Prince, The Moog Machine, Johnny Cash, Stevie Wonder, Renaud, Jimi Hendrix, Eazy-E ou encore Arcade Fire.
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Une institution populaire incontournable
“Ce répertoire est totalement intégré à la tradition, c’est un passage obligé, chaque année, explique Steven Jézo-Vannier. Aux États-Unis, il y a eu un nouveau souffle très fort dans les années 1940, où il a été récupéré par l’industrie musicale qui l’a désacralisé et en a fait un objet pop. C’est le titre “White Christmas” de Bing Crosby, en 1942, qui change la donne. On s’aperçoit qu’il y a un filon. C’est tout de suite le carton absolu, la pièce fondatrice au répertoire Noël moderne. On sort des églises. Du coup, on instaure une tradition motivée par l’appât du gain, c’est vrai.”
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En Angleterre, il y a une course effrénée pour savoir quel titre sera premier des ventes le soir de Noël. L’institution populaire est très forte. Il est d’ailleurs de bon ton de dire que la France échappe à ce phénomène. Une idée que l’auteur tempère pour deux raisons : “D’abord, si on revient en arrière, il y a le succès gigantesque de Petit papa Noël de Tino Rossi, sorti en 1946, qui reste le plus grand succès musical français encore aujourd’hui. Alors certes, on ne l’entend plus beaucoup de nos jours, mais il a marqué tout le monde. La musique de Noël s’imprime dans l’enfance, quasiment avant que l’on ait des filtres de goûts culturels. Elle entre en résonance avec la fête de Noël elle-même, qui est une fête nostalgique, un rituel où l’on fait tous les ans le même repas avec les mêmes gens, la même déco, et donc la même musique. Et puis je tempère parce qu’on a un certain snobisme en France. Il faut bien se rendre compte que les magasins, les radios, la télé utilisent tous la musique de Noël. Il y a un climat laïc dans le pays qui amène de la réticence, mais surtout une frontière très ténue entre le chant religieux et le chant profane.”
Merry Muthfuckin’ X-mas !
Cette année, les poids lourds du genre se nomment John Legend (oui, oui), Katy Perry ou même Roch Voisine. Mais le boss du catalogue de Noël depuis bientôt dix ans, c’est Michael Bublé. “Quand il sort son album Christmas en 2011, il le fait avec producteur qui a déjà fait des chansons de Noël. Il joue sur le côté gendre idéal, crooner, évocation de la tradition des années 1940, un petit côté Sinatra…” Les ventes sont colossales. Mais Steven Jézo-Vannier fait remarquer un fait surprenant : “Les chansons de Noël tristes ont plus de succès. Les seules qui rivalisent avec les grands standards des années 1940, c’est “All I Want For Christmas Is You” de Mariah Carey, qui raconte une rupture amoureuse, “Last Christmas” de Wham!, idem, et “Fairytale of New York” de The Pogues, qui parle de violence conjugale.”
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Même le rap s’est plié à l’exercice, souvent par parodie et provocation. Kurtis Blow avec “Christmas Rappin’” dès 1980, Run-DMC avec “Christmas In Hollis” en 1988, Eazy-E avec “Merry Muthfuckin’ X-mas” en 1992, Ludacris avec “Ludacrismas” en 2007, Snoop Dogg avec “‘Twas The Night Before Christmas”, Ghostface Killah avec “Ghostface X-mas” en 2008, Run The Jewels avec “A Christmas F*cking Miracle” en 2013, Lil Jon avec “All I Really Want For Christmas” il y a quelques jours… La liste est longue.
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Des doubles sens en pagaille
Beaucoup de ces chansons rap sont un peu cradingues, portées sur le sexe. Mais si la vulgarité est ici explicite, elle n’est pourtant pas l’apanage du hip-hop. “Dans les années 1940, l’industrie pense que les chansons de Noël sont enfantines. On y glisse donc des doubles sens dédiés aux parents. Dans “I Saw Mommy Kissing Santa Claus” (notamment interprété par les Jackson 5), par exemple, il y a ce gamin qui surprend le Père Noël en train de se faire chatouiller la barbe par sa maman. On est dans l’œil de l’enfant, mais les adultes se demandent si c’est le Père Noël, si c’est un amant, si c’est le père qui jour au Père Noël avec sa femme etc. Ella Fitzgerald chantait “Santa Claus Got Stuck In My Chimney” (“Le Père Noël est bloqué dans ma cheminée”), le double sens est évident. Quand les rappeurs s’y mettent de manière provocante, ils mettent tout de même un pied dans la tradition. On est dans la respectabilité, mais on la bouscule.”
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Tout au long de son livre, l’auteur remarque que les traumatismes de la seconde guerre mondiale ont durablement imprégné le répertoire de Noël, en France et aux États-Unis notamment. “White Christmas” sort deux semaines après l’attaque de Pearl Harbor, et est chanté aux soldats pendant la guerre. Le texte original de “Petit Papa Noël” racontait la demande d’un enfant de libérer son père des prisons allemandes, Tino Rossi en ayant fait changer les paroles pour rendre la chanson plus légère.
Mi-euphorisantes, mi-anesthésiantes, les chansons de Noël peuvent apparaître aux yeux de beaucoup de gens comme une injonction malsaine à être heureux, comme un filon surexploité par l’industrie du disque, comme une régression musicale et intellectuelle. Mais cela serait nier la complexité du répertoire, son ancrage extrêmement profond dans la culture anglo-saxonne et les artistes qui se sont attelés à l’ouvrir à d’autres styles et concepts bien moins formatés. En tout cas, il y a de quoi composer des playlists bien sympas pour le réveillon de Noël.