Le premier week-end chaotique de la présidence Trump

Publié le par Thibault Prévost,

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And so it begins. Le 20 janvier, dans l’ombre monolithique du Capitole, le 45e président des États-Unis a officiellement été investi, sous les yeux du monde entier et face à une foule (plus ou moins) immense – tout dépend de la version des faits. En voyant les images de Donald Trump récitant les mots sacrés, la main posée sur la Bible et concentré comme un enfant à sa première communion, difficile de ne pas saisir à la fois la solennité du moment et son irréalité.

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Difficile, également, de ne pas éprouver deux autres sentiments contradictoires : d’un côté, le soulagement que le grand barnum politico-médiatique aux couleurs criardes et aux manèges obsolètes de l’élection présidentielle américaine soit enfin remballé, après un an et demi de tournée incessante ; de l’autre, l’angoisse d’être là, en face de l’écran, à attendre impuissant de voir se manifester l’exercice du pouvoir à l’aune des délirantes promesses formulées depuis 2015 par l’homme à la mèche impétueuse.

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Après 18 mois de teasing ordurier, le nanar peut commencer . L’ex-animateur de téléréalité s’est assis sur le trône, le poing refermé sur le trousseau de clés de l’Amérique, investissant la Maison-Blanche avec sa cohorte dégénérée, fermement convaincu de rendre au pays sa grandeur soi-disant perdue. Oyez, oyez, la Cour des miracles est ouverte. Et si certains dans le camp d’en face – les plus optimistes –avançaient l’idée que peut-être toutes ces simagrées, toutes ces saloperies, tout ce raout en oscillation permanente entre l’irrespectueux et le mensonger n’étaient qu’un discours de VRP pour accéder au pouvoir dont le businessman Trump se débarrasserait une fois parvenu à ses fins, leur idéalisme a pris un coup : ce week-end, Donald Trump a inauguré un nouveau monde, le sien, en coupant le ruban avec les dents. Depuis deux jours, l’absurde est devenu la norme.

Break the Internet

Résumons : vendredi, à midi pile heure locale, Trump devient officiellement président. Et si aucun changement tangible n’est perceptible dans le monde réel (les portes des Enfers ne se sont pas ouvertes sur Washington, c’est déjà ça), la passation de pouvoir a d’abord lieu sur Internet. Tous les sites, comptes et médias officiels subissent un ravalement de façade immédiat… et pas toujours inspiré. @POTUS, par exemple, le compte Twitter présidentiel, s’orne d’une belle photo de couverture… tirée de l’investiture d’Obama en 2009. Et paf, premier facepalm de la journée. Rapidement, la presse américaine se dirige vers le site de la Maison-Blanche, gilet pare-balles sur le torse et captures d’écran dans la main, pour comparer les changements. Bingo: whitehouse.gov est lui aussi entré dans l’ère de l’approximatif.

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Sur le nouveau site, la biographie présidentielle est factuellement fausse (re-paf, re-facepalm), la liste des membres du cabinet présidentiel est vide (re-re-paf), tout comme celle censée divulguer les finances des membres du gouvernement ; la page de pétitions en ligne We The People ne propose quant à elle plus aucune initiative… ou presque. La pétition réclamant la transparence des finances du président explose le plafond de 100 000 voix en 24 heures. Les thèmes prioritaires du gouvernement sont profondément revus et corrigés : exit, la défense des droits civiques ou de la santé publique, la priorité s’appelle désormais l’America First Energy Plan, qui envisage sereinement de démolir les régulations environnementales pour se remettre au bon vieux forage pétrolier.

Autres objectifs prioritaires : le renforcement de la capacité militaire, la défense des forces de l’ordre et une politique étrangère également siglée “America First”. Bon appétit. Sur le site de la Maison-Blanche, toutes les mentions du changement climatique disparaissent, tout comme la page dédiée au handicap. La version espagnole du site passe à la trappe, et la page LGBT est toujours portée disparue. En revanche, une nouvelle page est entièrement dédiée à la First Lady Melania Trump… qui renvoyait directement au site de sa ligne de bijoux. Inauguration présidentielle ou pas, c’est business as usual dans le clan Trump.

Problèmes de taille et marches mondiales

Pendant que les équipes du nouveau président saccagent l’Internet du bureau ovale à la machette, les choses ne tournent pas beaucoup plus rond à l’extérieur. Pour son discours inaugural, Trump explique qu’il va “rendre le pouvoir à vous, au peuple”, et c’est beau comme du Bane – ouais, le méchant de The Dark Night Rises, celui-là même. D’ailleurs, pour la traductrice française Bérengère Viennot, interrogée par la Los Angeles Review of Bookstous les discours du Donald seront dans le même genre : abscons, bordéliques, voire à la limite de l’insensé. Ça tombe bien, on a les mêmes à la maison, on devrait s’en sortir.

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Devant le Capitole, une foule s’est réunie (oh, tiens, ne serait-ce pas des figurants qu’on aperçoit là-bas?) mais personne n’arrive à savoir si l’affluence est historiquement importante ou historiquement faible. Les photos montrent 250 000 personnes pour Trump contre 1 800 000 pour Obama en 2009 ? Le président hurle au Photoshop. On se croirait presque dans une querelle de chiffres du 1er mai entre la CGT et la Préfecture de police de Paris. Ce qui est certain, en revanche, c’est que les contre-manifestations sur le sol américain, réunies sous l’emblème “Women’s March” attirent 2 millions de manifestant(e)s, avec des marches de soutien dans 70 autres pays.

Pendant ce temps-là, à New York, Shia LaBeouf y va de son craquage en promettant que pendant quatre ans, le slogan “HE WILL NOT DIVIDE US” (“Il ne nous divisera pas”) résonnera en live streaming dans toutes les bonnes bulles de filtrage pro-démocrates, histoire de se convaincre comme on peut que tout ne s’est pas entièrement effondré.

Après la post-vérité, les “faits alternatifs”

Mais le meilleur (ou le plus déplorable, c’est selon) reste encore à venir : une fois le barouf terminé, Trump envoie le porte-parole de la Maison-Blanche Sean Spicer (un homme qui souhaiterait démasquer Daft Punk, pour qu’ils “grandissent un peu”) rentrer dans le lard de la presse au sujet de cette histoire de foule, quitte à raconter n’importe quoi. Abasourdi par une journée passée à écarquiller les yeux et secouer la tête en signe de dénégation, le quatrième pouvoir demande confirmation à la conseillère du président, Kellyanne Conway, qui invente calmement la notion de “fait alternatif” pour évoquer une information invérifiable à mi-chemin entre vrai et faux, bref, une sorte d’état quantique de la vérité capable de désarçonner un bonimenteur de foire.

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La diversion fait mouche : pendant que la confusion règne et que la presse s’empale sur la post-vérité, Trump s’est mis au boulot. Lundi 23 janvier, son administration a déjà signé un décret pour couper les budgets des associations d’aide à l’avortement à l’international, geler les embauches de fonctionnaires (sauf pour les forces armées, bien sûr), retirer les États-Unis du Partenariat de libre-échange transpacifique (TPP) et commencer, doucement, à attaquer le système de sécurité sociale mis en place par Obama. Le week-end a été long. Prenez deux aspirines et un grand verre d’eau, nous voilà embarqués sur les rails de la maison hantée pendant quatre ans.