Dans un dessin animé éducatif sur l’histoire de la Grande-Bretagne antique, la BBC met en avant un haut gradé noir et sa famille métisse. Il n’en fallait pas plus pour déclencher une vive polémique au Royaume-Uni et aux États-Unis.
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Un personnage noir dans un programme éducatif sur la Rome antique ? Une hérésie pour les identitaires. Sur les réseaux sociaux, en Grande-Bretagne et aux États-Unis, nombre d’entre eux ont contesté ce qu’ils considèrent être, à tort, un contresens historique.
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Le programme au cœur de la polémique est un court dessin animé historique de 5 minutes et demie intitulé “La Vie dans la Grande-Bretagne romaine”. Diffusé pour la première fois en 2014 sur la chaîne éducative BBC Teach, ce dessin animé fait partie d’une série de dix épisodes racontant l’histoire de la Grande-Bretagne aux enfants. Cette série permettait notamment d’en savoir davantage sur la Grande-Bretagne de l’âge de pierre, de l’ère des premiers anglo-saxons ou encore de celle des Vikings. Deux épisodes étaient consacrés à l’invasion de la Grande-Bretagne par les Romains. L’un d’eux a particulièrement fait jaser récemment.
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Dans l’épisode en question, on découvre un soldat romain haut gradé, qui est chargé de superviser la construction du mur d’Hadrien – un ouvrage défensif bâti par les Romains dans le nord de l’Angleterre, sous le règne de l’empereur Hadrien (qui régna de 117 à 138). Ce personnage a retenu l’attention de certains internautes car il a une peau foncée, une épouse blanche et des enfants métis (en outre, cette famille faisant partie de l’élite romaine a des serviteurs blancs).
Cela n’a rien d’étonnant pour Mary Beard, historienne et spécialiste de la Rome antique à l’université de Cambridge :
“Je pense que le personnage [du soldat] de la BBC était vaguement inspiré de Quintus Lollius Urbicus, un homme originaire de ce qui est aujourd’hui l’Algérie, qui a été gouverneur de la province romaine de Britannia [actuelle Grande-Bretagne], écrit la chercheuse dans le supplément littéraire du quotidien britannique The Times. On peut d’ailleurs toujours visiter son mausolée en Algérie, à Tiddis [une ancienne cité romaine, ndlr].”
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“Rome était un melting-pot”
Pendant près de trois ans, cet épisode (plusieurs fois rediffusé) n’a dérangé personne. C’était avant qu’il ne soit posté sur la chaîne YouTube de BBC Teach en décembre 2016 et que, en juillet 2017, Paul Joseph Watson, un éditorialiste américain “de la droite dure” d’après Le Monde, s’y attaque, rameutant avec lui une armée de trolls…
“Dieu merci, la BBC fait un portrait d’une Grande-Bretagne romaine ethniquement diverse. Qui se préoccupe de l’exactitude historique après tout ?”
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Thank God the BBC is portraying Roman Britain as ethnically diverse.
— Paul Joseph Watson (@PrisonPlanet) 25 juillet 2017
I mean, who cares about historical accuracy, right? pic.twitter.com/SqE83Pmf2h
Paul Joseph Watson travaille pour InfoWars, un “site complotiste toujours d’accord avec Trump”, selon L’Obs. Ce média est tenu par l’animateur de radio ultraconservateur – et proche du président américain – Alex Jones. Sur InfoWars, Paul Joseph Watson écrit au sujet de l’épisode : “La gauche essaie littéralement de réécrire l’histoire en prétendant que la Grande-Bretagne a toujours connu l’immigration massive.”
En réponse à la polémique, Matthew Nicholls, maître de conférences en histoire antique à l’Université de Reading, a consacré un long article à l’épisode sur son blog :
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“Il y a beaucoup d’indications prouvant que l’Empire romain était relativement divers en termes de population, comme on peut l’attendre d’un empire qui encourageait le commerce et la mobilité à travers un territoire qui s’étendait du mur d’Hadrien à l’Afrique du Nord, en passant par le Rhin et l’Euphrate (et qui, de façon plus malheureuse, réduisait en esclavage et déplaçait de force les populations qu’il rencontrait sur son passage). Rome était un melting-pot de personnes venant de tous les contours de la Méditerranée et au-delà.”
Au sujet de la famille métisse du soldat du dessin animé, l’historien ajoute :
“Les légions romaines, qui recrutaient parmi leurs citoyens, étaient postées dans tous l’empire. Les soldats pouvaient prendre pour épouse des femmes qu’ils rencontraient là où ils se trouvaient, créant hors d’Italie de nouvelles générations de citoyens romains, qui rejoignaient ensuite le service légionnaire.”
Identitaires vs historiens
Mary Beard profite de la polémique pour critiquer le déferlement de haine que subissent les historiens qui osent remettre en question une certaine idée figée de l’Histoire :
“J’ai été prise dans une tempête sur Twitter ces derniers jours, à cause d’une dispute sur la diversité ethnique dans la Grande-Bretagne romaine. […] Cela n’est certes pas allé jusqu’aux menaces de mort (comme cela a été le cas pour ma collègue américaine Sarah Bond, qui a eu l’audace de parler du blanchiment des statues classiques), mais j’ai reçu un torrent d’insultes sur mes compétences d’historienne, […] mon âge, ma forme physique et mon sexe.”
Dans sa tribune, Mary Beard fait référence au travail de la chercheuse en histoire romaine Sarah Bond, qui a reçu plusieurs menaces de morts après la publication, en juin dernier, d’un article intitulé “Pourquoi nous devons commencer à voir le monde classique en couleur ?”.
Dans son essai, l’historienne mettait en avant le fait que la plupart des statues de l’époque étaient colorées. C’est l’effacement de leurs couleurs, des siècles après leur création, qui a longtemps fait croire que toutes les statues antiques étaient intégralement blanches et ne représentaient donc que des Européens – ce qui ne reflète pas la diversité ethnique de la Grèce et de la Rome antiques.