Le monde de la tech française l’attendait avec impatience. Après son rapport préconisant 21 mesures pour favoriser l’apprentissage des mathématiques publié en février dernier, le super-député Cédric Villani, mathématicien de formation, vient de rendre un second rapport long de 240 pages indiquant la marche à suivre pour faire de la France une championne de l’intelligence artificielle (IA).
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Attention, la France ne prétend pas briguer la médaille d’or. Depuis que l’IA est sous le feu des projecteurs avec les progrès fulgurants en “machine learning“, les États-Unis et la Chine, portés par leurs géants de la tech respectifs, ont distancé le reste du monde. L’Israël, le Canada et le Royaume-Uni, pays émergents de l’IA, font aussi bonne figure dans ces JO hautement stratégiques.
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Mais la France, en tête de peloton de la recherche en mathématiques, calée en recherche fondamentale sur l’IA, formule désormais sa volonté de peser dans la compétition, en prônant un “modèle spécifique” tout en rêvant d’une super-entité européenne.
Le rapport Villani dresse donc la liste des tactiques et stratégies pour faire entrer la “start-up nation” sur le champ de bataille – sans négliger, toutefois, les aspects humains et écologiques. Condensé des instructions en quatre concepts, présentés ci-dessous.
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Concentrer les troupes
Quatre secteurs porteurs pour le développement de l’IA ont été identifiés : la santé, l’environnement, les transports et la mobilité et la défense-sécurité. Cela relève simplement du bon sens. On sait par exemple que l’IA est d’une grande aide dans la lutte contre le cancer, qu’elle est indispensable pour le règne de la voiture autonome et que le recoupement intelligent de milliers de données permet aux services secrets d’identifier les menaces terroristes.
Fluidifier les corps
Autant que possible, il faudrait faire circuler les compétences et les savoirs. Les quatre secteurs mentionnés ci-dessus devront fonctionner en vases communicants pour éviter la rétention d’informations. Le rapport Villani propose aussi un “coordinateur ministériel” qui, comme son nom l’indique, veillerait à ce que les différents acteurs communiquent et travaillent en bonne intelligence.
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Il est attendu des structures rigides de la France qu’elles s’assouplissent et que l’on dresse, par exemple, des “zones franches” pour accueillir les chercheurs étrangers en les délestant de toute démarche administrative.
Armer les soldats
L’IA, pour faire des éclats sur le terrain, nécessite deux carburants : les données et la puissance de calcul. Concernant le premier, l’idée serait de créer un “écosystème européen de la donnée” en mutualisant, à grande échelle, données publiques et données privées. Concernant le second carburant, il faudrait mettre à disposition un “supercalculateur conçu spécifiquement pour les applications d’IA […] dans le cadre de projets communs”.
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Mais l’IA ne serait rien sans ses représentants. Côté éducation, l’offre de formation, initiale ou continue, doit s’étoffer. Des doubles cursus originaux, comme droit/IA, pourraient voir le jour. Et pour éviter les désertions, soit la fameuse “fuite des cerveaux” vers l’étranger, le rapport préconise de multiplier par deux les salaires des jeunes recrues au tout début de leur carrière.
L’objection de conscience
Rien n’est écrit, tout reste à penser. C’est ce que sous-entend le rapport en énumérant et proposant quelques pistes pour ne pas oublier les nombreuses problématiques éthico-socio-philosophiques que pose l’IA.
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Primo, il faut se battre contre soi, contre les “biais algorithmiques” qui, en gros, correspondent aux déformations des résultats liées à l’homogénéité de leurs concepteurs. On dit parfois que les algorithmes sont trop souvent codés par des hommes blancs. Le rapport souhaite que l’on incite à plus de mixité, en incitant par exemple les femmes à intégrer le secteur.
Secundo, le secteur du travail risque d’être bouleversé. Certes, les études se contredisent les unes les autres, mais on sait que le règne de l’IA risque de changer nos métiers et, peut-être, de créer des inégalités.
Il faut donc s’y préparer en constituant, attention aux yeux, “un espace où les capacités prospectives, de prévisions macroéconomiques et d’analyse des mutations des usages puissent être mises en lien avec des capacités d’expérimentation concrètes et articulées avec des actions à destination de certaines catégories de travailleurs”.
Tertio, il serait bon que l’IA fasse sa transition écologique. Que l’on trouve, à l’échelle européenne, des alternatives aux semi-conducteurs et des techniques efficaces pour “verdir” l’industrie du cloud, quitte à décerner des labels de mérite.
Pour formaliser le tout, le rapport propose enfin que soit constitué un “comité d’éthique de l’IA”, chargé “d’organiser le débat public”. Chère nation française, le mot d’ordre est lancé : à vos lignes de code ! D’autant que, dans un discours prononcé au Collège de France jeudi 29 mars dans l’après-midi, Emmanuel Macron a déclaré qu’1,5 milliard d’euros seraient consacrés à l’IA d’ici à la fin de son quinquennat, selon l’AFP.