À l’aube du week-end, le décès prématuré du compositeur Jóhann Jóhannsson – retrouvé sans vie dans son appartement berlinois le 9 février et dont les causes demeurent inconnues – a secoué les mondes de la musique et du cinéma.
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Il est notamment connu pour avoir réussi à faire converger ces derniers en œuvrant sur plusieurs créations cinématographiques importantes (Prisoners, Premier Contact, Une Merveilleuse histoire du temps). La triste nouvelle de sa mort a été annoncée par ses représentants dès le lendemain sur Facebook :
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“C’est avec une profonde tristesse que nous vous confirmons le décès de notre cher ami Jóhann.
Nous avons perdu l’une des personnes les plus talentueuses et brillantes que nous avons eu le privilège de connaître. Que sa musique continue de nous inspirer.”
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Un compositeur hybride et visionnaire
Né en 1969 à Reykjavik, Jóhann Jóhannsson a fait ses classes dans des groupes de rock indé islandais. Amoureux inconditionnel du mélange des genres, il aimait s’affranchir des labels.
Désireux d’encourager la collaboration entre artistes issus de milieux différents, il crée un label/think tank/organisation artistique, Kitchen Motors, où se réunissent des aficionados du punk, du jazz, du métal ou de la musique électronique, dans une ambiance créative.
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Il a d’abord été happé par des projets personnels (son premier album Englabörn sort en 2002), qu’il n’abandonnera vraiment jamais et pour lesquels il pense la musique de façon très éclectique (son album IBM 1401, A User’s Manual sorti en 2006 explore la musicalité des sons d’un ordinateur central de la firme américaine). Il commence ensuite progressivement à travailler pour le théâtre et la télévision à partir de 1999 (on lui doit notamment la B.O. de la série Netflix SF, The OA, en 2016), mais c’est pour ce qu’il a apporté au septième art qu’il est le plus connu.
Une audace rare et admirée
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Jóhannsson, qui cherche l’équilibre entre la musique et le silence – trop peu présent au cinéma selon lui – noircit les partitions de nombreux films européens avant d’être approché par le réalisateur Denis Villeneuve, qui lui ouvre la porte du monde hollywoodien. Une collaboration fructueuse qui permet au compositeur de sublimer les longs-métrages ambitieux du réalisateur québécois.
En 2013, il signe la B.O. froide du thriller Prisoners, avant d’être nommé aux Oscars pour celle de Sicario, en 2016, puis aux Grammys, BAFTA et Golden Globes en 2016 et 2017 pour son travail sur Premier Contact. La musique de ce film – pour laquelle il avait carte blanche – reste l’illustration parfaite de son insatiable soif d’expérimentations.
Dans une interview donnée au Guardian, Jóhannsson résumait sa manière de composer de la musique pour le septième art en prenant pour exemple sa dernière collaboration avec Denis Villeneuve :
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“Dans le cinéma populaire, il y a toujours trop de musique. Dans Premier Contact, l’utilisation de l’espace et du silence est très importante. Quand on a besoin de musique, elle est là et elle vient servir un propos.”
Une inventivité cependant non retenue pour rythmer Blade Runner 2049 en 2017, celles d’Hans Zimmer et Benjamin Wallfisch lui ayant été préférées.
L’un des plus grands succès de Jóhannsson demeure la musique légère et nostalgique d’Une Merveilleuse Histoire du temps – film de James Marsch – récompensée par le Golden Globes de la meilleure musique de film en 2015, et nommée aux Oscars la même année.
Après un passage en tant que consultant sur le sulfureux Mother! d’Aronofsky, il écrit ses derniers accords pour les films Mandy, Le Jour de mon retour et Marie Madeleine, qui sortiront plus tard cette année et que le compositeur n’aura malheureusement plus l’occasion de voir sur grand écran.
Un héritage prospère
Sur chacune de ses compositions, Jóhann Jóhannsson aura pris soin d’incorporer des éléments électroniques contemporains à l’orchestration classique, afin notamment de toucher un public plus large. Il aura modernisé sans dénaturer, osé sans se tromper, alliance audacieuse à travers laquelle il aura su progressivement asseoir un héritage insensible au temps qui passe.
Discret et “profondément humain” selon les personnes qui ont eu la chance de le côtoyer au cours de sa vie, ce mélomane à l’imagination débordante s’est illustré, en plus de son talent, par une humilité sans faille, qualité en perdition aujourd’hui. Il sera regretté.