Squatter un Apple Store pour protester contre l’évasion fiscale européenne de la firme à la pomme est donc un acte “d’intérêt général” : voilà le jugement rendu par le Tribunal de grande instance (TGI) de Paris, le 23 février, qui met fin au conflit opposant le géant américain à l’association altermondialiste française Attac, qui milite contre l’évasion fiscale des multinationales en France et en Europe. Attendu en référé après une plainte déposée par Apple le 21 décembre dernier, le jugement déboute l’entreprise de toutes ses demandes et la condamne à verser 2 000 euros à l’association.
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Tout avait pourtant bien commencé entre les deux entités, ou presque : depuis la fin de l’année 2017 et la parution d’un rapport intitulé “Apple, le hold-up mondial”, Attac et ses militants avaient régulièrement ciblé les magasins de la marque en repeignant leurs façades de blanc pour attirer l’attention sur les 13 milliards d’euros d’avantages fiscaux illicites octroyés par l’Irlande et désormais réclamés par la Commission européenne.
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Des happenings bon enfant, se déroulant habituellement avant l’heure d’ouverture des enseignes, qu’Apple tolérait avec sourire en se posant en paisible défenseur de la liberté d’expression, rappelle Libération.
Plusieurs magasins occupés
Tout allait bien, donc, jusqu’à ce que les militants d’Attac décident de passer à la vitesse supérieure pour donner de la visibilité à leur combat : le 2 décembre (un samedi juste avant Noël), une opération coup de poing est lancée et des militants investissent l’Apple Store parisien d’Opéra, déjà ciblé un mois plus tôt, faisant résonner des slogans comme “Apple, paye tes impôts!” dans les espaces de vente à l’ambiance habituellement feutrée.
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De quoi faire siffler la fin de la récré à la multinationale, qui riposte par voie judiciaire et demande au TGI “d’interdire à l’association de pénétrer à l’intérieur des magasins exploités par Apple, sur tout le territoire national, pendant une durée de trois ans, sous astreinte de 150 000 euros par violation de l’interdiction”, évoquant “plusieurs magasins vandalisés” et une mise en danger des clients et des vendeurs, en particulier dans celui d’Opéra.
De son côté, Attac nie en bloc et décrit des actions “symboliques, non violentes, menées à visage découvert et sans aucune dégradation matérielle”. Selon l’association, ce serait la direction elle-même qui aurait décidé de fermer boutique, laissant aux militants bloqués à l’intérieur le temps de nettoyer les locaux avant d’en sortir. Les altermondialistes dénoncent une “procédure bâillon” sans autre but que d’“asphyxier” leur action. Le 12 février, alors que les magistrats examinaient la plainte déposée par Apple, le cortège d’Attac était devant le tribunal… déguisé en personnages de Star Wars. Entre-temps, une rencontre au sommet avait eu lieu, sans résultat. Quinze jours plus tard, donc, la décision est tombée : cette fois, c’est l’asso qui remporte la manche.
“Une campagne d’intérêt général sur le paiement des impôts”
Le 23 février, le TGI de Paris a débouté l’industriel de toutes ses demandes et l’a condamné à verser 2 000 euros en remboursement des frais engagés par l’association, qui gagne de surcroît le droit de continuer à “occuper” des Apple Stores quand elle le souhaite, tant qu’aucune dégradation ou mise en danger d’autrui n’est constatée
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Pour le tribunal, “la simple pénétration de militants dans l’enceinte du magasin […] sans violence, sans dégradation et sans blocage de l’accès du magasin à la clientèle ne suffit pas à caractériser un dommage justifiant de limiter le droit à la liberté d’expression et à la liberté de manifestation […]“, le délibéré précisant que le combat d’Attac s’inscrit “dans le cadre d’une campagne d’intérêt général sur le paiement des impôts et l’évasion fiscale.”
Une victoire quasi-totale pour l’association, qui déclare dans son communiqué attendre “sereinement” un éventuel appel d’Apple et se préparer à de nouvelles actions contre le géant américain, cette fois avec l’assurance d’avoir la loi de son côté. Pour le moment, l’entreprise n’a communiqué aucune décision, mais on serait surpris qu’elle ne poursuive pas la saga judiciaire qui l’oppose à l’association, ne serait-ce que pour s’éviter de nouvelles occupations de magasins parisiens en pleines périodes d’achats. Au nom, paraît-il, de l’intérêt général.