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Make our planet great again ? Tu parles ! Dans Aniara, le premier film du duo suédois Pella Kågerman et Hugo Lilja, la Terre a considérablement morflé. Malmenée par une humanité aussi carnassière qu’un cancer qui métastase, elle a été exploitée jusqu’à sa lie, essorée de ses précieuses ressources, vidée de toutes ses splendeurs. De quoi foutre le bourdon à tous les amoureux d’écologie. Frustrés et déboussolés, les hommes – comparables à des piranhas environnementaux – n’ont alors d’autre choix que de rallier Mars pour une “vie meilleure” et ce, à bord d’un vaisseau-ville dénommé… Aniara.
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À la manière des paquebots de croisières, ce colosse flottant est un pur produit du consumérisme, celui-là même qui a précipité la condition humaine dans la gueule béante de sa propre déchéance. Une espèce de resort avec boîtes de nuit, salles de jeu, restaurants, boutiques et autres piscines intérieures. De quoi ne pas (trop) sentir passer le temps du voyage – deux mois environ – avant d’arriver sur la planète rouge. Seulement voilà, un accident rarissime intervient et achève de modifier, de la pire des manières, tous les plans de route, condamnant ce bloc capitaliste à une errance interminable aux confins de l’univers.
Des vers à l’écran
Adapté d’un poème du célèbre écrivain et poète suédois Harry Martinson, lauréat du prix Nobel de littérature en 1974, Aniara suit en quelque sorte la même divagation fuligineuse que celle proposée par Claire Denis dans le récent High Life. Si les récits diffèrent, les deux films se rejoignent dans leur façon de placer les personnages face à leur condition de mortel, face à leur responsabilité et leur finitude.
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Pella Kågerman et Hugo Lilja ordonnancent leur narration par année. Chaque millésime qui passe fracture un peu plus l’ordre qui règne et fissure les comportements. Le duo mise ainsi sur l’épure et l’absence de grands effets formels pour insister sur l’agonie subie par leurs voyageurs. Loin, isolés, désorientés, les voilà ainsi faits comme des rats de laboratoire, tous coincés entre les murs transparents où l’infini s’étire comme un long barreau de prison.
“Le plus grand voyageur n’est pas celui qui a fait dix fois le tour du monde, mais celui qui a fait une seule fois le tour de lui-même”, disait Gandhi. Par la force des choses, chaque personne à bord sera obligée d’affronter une réalité que le consumérisme ne saurait travestir, atténuer ou dévaloriser.
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Si le message est simpliste, c’est vrai, il finit par justement fonctionner grâce à un montage suffocant et un tempo flottant, presque arythmique, saccadé jusqu’à ses effets sonores. La force aussi des cinéastes, c’est d’avoir ancré une forme de réalité palpable dans un environnement de science-fiction pur et dur (2001, l’Odyssée de l’espace ou l’œuvre de Tarkovski sont des références criantes). À titre d’exemple, certaines scènes ont été tournées dans de véritables centres commerciaux.
O désespoir !
Ce décalage entre un vaisseau truffé de technologie – sans jamais être futuriste – et les loisirs très prosaïques qu’il propose permet au projet de revêtir de passionnants atours. Attention néanmoins aux répétitions qui, si elles sont cohérentes d’un point de vue narratif, peuvent engendrer un sentiment de crispation chez le spectateur. Aniara n’en devient paradoxalement que plus immersif puisque, comme les passagers, les spectateurs seront également confrontés à l’attente, au désespoir, à la perte de patience, à la volonté de sortir, vite, respirer un grand bol d’air.
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En cela, le résultat détonne car les films capables de fasciner et d’agacer dans le même temps traversent rarement l’espace ciné. Raison de plus de bien suivre la courbe de cet opus pour en épouser la trajectoire, certes unidirectionnelle, mais métaphysiquement plurielle. En espérant qu’un distributeur jettera son dévolu sur lui pour le mettre en orbite dans nos salles obscures françaises.