Amazon souhaite vendre un logiciel qui déchiffre l’écriture des médecins

Publié le par Thibault Prévost,

Department of pneumology at Charles Nicolle University Hospital in Rouen, France. (Photo by: Media for Medical/UIG via Getty Images)

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Hôpital de Rouen, France. (© Media for Medical/UIG via Getty Images)

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Lorsque l’on ambitionne de régner sur le monde entier, il faut être capable de vendre absolument n’importe quoi et d’être présent absolument partout. Omniprésence, omnipotence : tout ça, Amazon le sait déjà, et a toujours placé la diversification au cœur de sa dynamique de croissance.

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Rien d’étonnant à ce que le Wall Street Journal révèle, le 27 novembre, que la compagnie de Jeff Bezos ambitionne de s’implanter plus encore sur le marché de la santé. Ce n’était qu’une question d’opportunité. Selon l’enquête du journal, Amazon aurait utilisé son savoir-faire acquis dans le champ de la reconnaissance automatique (son fameux système Rekognition, désormais vendu aux forces de police) pour développer un logiciel capable de comprendre le langage écrit utilisé par les médecins lors de la prise de notes et la rédaction de dossiers médicaux – une prouesse bien au-delà des capacités humaines de base.

L’idée : laisser le logiciel scanner d’immenses volumes d’archives médicales, en extraire les informations pertinentes pour l’état de santé et les prescriptions du patient et permettre d’accélérer la transition numérique du secteur de la santé sans avoir à engager de coûteuses procédures.

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Selon le Wall Street Journal, le système aurait déjà été testé avec succès dans des entreprises dans les domaines du tourisme (agences de voyages) et de l’aide à la clientèle. Après le rachat de la pharmacie en ligne PillPak en juin, Amazon confirme donc son intention de devenir également votre dealer de médicaments. Un secteur loin, très loin d’être vierge de l’empreinte de la Silicon Valley, qui a rapidement compris l’immense potentiel lucratif de l’IA appliquée à la santé.

La médecine à l’ère du big data

De fait, tout ce que la Bay Area compte de titans s’y est déjà essayé, chacun avec ses propres armes. L’année dernière, se remémore The Verge, Microsoft dévoilait une division entière dédiée à cette industrie bourgeonnante ; plus tôt cette année, lors de sa dernière keynote, Apple installait un électrocardiogramme dans sa dernière Apple Watch et vantait sa capacité à détecter les chutes et appeler les secours automatiquement ; en avril, CSNBC révélait que Facebook – fidèle à lui-même – tentait de convaincre des hôpitaux américains de partager les données personnelles de leurs patients, etc. Google, lui, a déjà plus ou moins compris la difficulté de la tâche en suspendant un projet de Verily, sa division santé, qui ambitionnait de commercialiser une lentille de contact intelligente capable de détecter les niveaux de glucose du corps humain en temps réel.

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Bref, la santé et l’IA font un parfait mariage de raison sur l’autel du profit. Pourquoi ? Parce que la médecine, plus que certains autres marchés, repose essentiellement sur de l’analyse de données, qui font le cœur d’un diagnostic médical. Alors que l’IA médicale de Google, LYNA, détecterait déjà les cancers du sein avec une précision de 99 % et rivalise avec les meilleurs dermatologues pour détecter les cancers de la peau, la perspective d’une médecine automatisée est devenue extrêmement crédible dans les décennies qui viennent. Encore faut-il offrir aux algorithmes des bases de données sur lesquelles s’entraîner. Et c’est là que ça coince.

Contourner les protections des données médicales

D’une part, la numérisation des informations médicales suit un rythme lent et chaotique. Les solutions informatiques fournies à l’hôpital public, particulièrement, ont le don d’exaspérer les médecins et semblent parfois totalement anachroniques : en 2016, 90 % de la NHS, le système de santé publique britannique, travaillait encore sous Windows XP, même si un nouvel accord a été passé cette année avec Microsoft.

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En France, “l’hôpital numérique” constitue l’un des gros chantiers du quinquennat : en février, un plan de numérisation a été annoncé, à l’objectif 2022, avec un budget de 420 millions d’euros alloués pour, entre autres, “la dématérialisation de l’intégralité des prescriptions” et “l’accessibilité en ligne, pour chaque patient, de l’intégralité de ses données médicales“. De quoi faire fantasmer Google et les autres.

Second obstacle, et pas des moindres : les dispositifs de protection légale des données personnelles, particulièrement renforcés vu la sensibilité des informations médicales (et encore plus avec le RGPD). Qu’on s’appelle Google, Amazon ou Facebook, accéder à ces données est extrêmement difficile et celles-ci doivent absolument être anonymisées pour être manipulées par les algorithmes. Comprenant rapidement que l’approche directe était vouée à l’échec, les géants de la tech’ tentent désormais une approche plus subtile : en fournissant des solutions informatiques pour faciliter la vie des médecins et infirmières, les données de l’hôpital transitent par les canaux des entreprises, qui peuvent ensuite s’appuyer sur ces volumes de données.

Un échange de bons procédés ? C’est vite oublier le consentement du patient. En 2016, Google avait tenté une union entre DeepMind, alors sa prometteuse filiale de recherche en IA, et la NHS britannique, qui conduisait au partage d’1,6 million de dossiers médicaux sans demander explicitement leur avis aux patients. À la suite du scandale de la révélation de cet accord, le gendarme des données britanniques réfutait les arguments des deux parties pour justifier le partage des données et mettait largement en cause la base légale de la coopération. En juin dernier, DeepMind et la NHS s’en étaient pourtant sortis indemnes. Malgré ce précédent, Amazon part à son tour à la pêche aux données médicales. Un pas à la fois.

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