Le Parti communiste chinois veut donner une “note de confiance” à ses citoyens, basée sur la collecte de leurs données personnelles. Orwell, reviens !
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Les dirigeants du Parti communiste chinois sont probablement de gros fans de Black Mirror : c’est l’explication la plus plausible à l’initiative annoncée par le parti au pouvoir fin septembre, qui prévoit l’instauration d’une “note de confiance” donnée à chaque citoyen du pays en fonction de son comportement et qui conditionnera leur accès à certains services comme l’obtention d’un prêt, la possibilité de voyager à l’étranger ou celle d’envoyer ses enfants dans les meilleures écoles du pays. La liste exhaustives des sanctions, obtenue par le Washington Post, est tout simplement ahurissante, et annonce un virage totalitaire serré pour le futur du régime de Xi Jinping.
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Comment, au juste, attribue-t-on une “note de confiance” à tout un chacun ? La réponse tient en deux mots : Big Data. Selon le Washington Post, le parti au pouvoir récolterait, d’ici à 2020, toutes les informations administratives et personnelles de toutes les entreprises et citoyens chinois (le pays compte 700 millions d’internautes), les centraliserait et attribuerait des notes basées sur leur “comportement” légal, social, commercial et – évidemment – politique. Les “bons comportements” seraient récompensés, tandis que les “mauvaises actions”, comme critiquer le Parti ou traverser au feu rouge, auraient immédiatement des conséquences néfastes sur le dossier du transgresseur. Et voilà à quoi ressemble “Internet Plus”, l’avenir de la société numérique chinoise. Ne vous occupez de rien, filez doux, continuez de passer 70 % de votre temps libre sur Internet, et tout se passera bien.
Une expérience-pilote en 2010
Si l’initiative donnerait envie à n’importe quel lecteur de 1984 de s’enfuir en hurlant loin du regard impitoyable de ce Big Brother tout droit sorti de l’armoire à trophées du stalinisme, il faut néanmoins se rappeler à quel point le gouvernement a fait de la lutte contre la fraude son obsession. En 2015, rappelle le site Canvas 8, le caractère de l’année était ainsi 廉, qui signifie “incorruptible”. En 2014, écrit China Daily, le total des PIB des différentes provinces du pays excédait ainsi le PIB national de 800 milliards de dollars, et les responsables politiques locaux ont même admis, en 2015, avoir falsifié les chiffres de la croissance.
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Ce type d’initiative, aussi inédite qu’elle semble, n’est pourtant pas nouvelle pour le gouvernement : en 2010, le Parti testait déjà un système de classement des citoyens dans la province du Jiangsu, qui distribuait des bons points à chaque citoyen (avec un maximum de 1000), tandis que des infractions mineures coûtaient 20 à 50 points. Plus inquiétant, certaines de ses infractions concernaient la vie privée, comme l’appartenance à un culte ou la fait de délaisser ses parents. Selon les notes, les citoyens étaient classés en quatre rangs, de A à D, les derniers étant exclus de tout poste de fonctionnaire ou d’aides sociales.
Face à la protestation générale, la province a depuis fait machine arrière – enfin, uniquement sur le système de rangs. En 2015, déjà, le gouvernement annonçait des plans pour instaurer un système de “crédit social” autour d’une base de données centralisée. Baihe, le site de rencontres le plus utilisé de Chine, s’était même associé avec Sesame Credit, la division financière d’Alibaba, pour promouvoir les utilisateurs ayant une bonne “note de crédit”. Rien de plus sexy que la solvabilité financière, surtout à Gattaca.
Un an plus tard, le gouvernement réaffirme donc sa volonté de faire rentrer ses citoyens dans le rang. Avec trop d’impatience, visiblement, pour le faire dans le cadre du processus démocratique. Mais outre les évidents problèmes éthiques, politiques et légaux que l’instauration d’un tel système sous-entend, la question de la cybersécurité s’invite dans le débat. Pour un hacker, l’idée d’une base de donnée centralisée contenant les données personnelles d’un milliard d’individus tient du rêve érotique, d’autant que ces données sont convoitées au marché noir. En plus d’être fliqués à chaque instant de leur vie par un gouvernement inquisiteur, les Chinois de la décennie à venir risquent de voir leur données exposée en vente libre. Pendant ce temps-là, George Orwell vient de faire un triple double piqué dans sa tombe.
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