De passage à Los Angeles le 25 janvier dernier, où Nike a dévoilé les nouveaux produits de sa ligne Jordan Brand, nous avons rencontré la styliste et sneakers addict Aleali May. L’occasion de faire le point sur la place des femmes dans l’industrie du streetwear.
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À l’été 2015, de nombreuses femmes se sont réunies dans l’enceinte du Brooklyn Museum de New York pour dénoncer le manque d’inclusivité dans l’industrie de la basket. Dans le cadre de son exposition “The Rise of Sneaker Culture”, le musée avait en effet organisé “Sole Sister Revolution”, un colloque réunissant des professionnelles du streetwear (designeuses, collectionneuses, journalistes…) qui partagent une passion invétérée pour les sneakers, mais conçoivent ces dernières “comme l’expression pure et dure de la masculinité”, pour reprendre l’expression de Lisa Small, curatrice du Brooklyn Museum.
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Deux ans après cet événement, la critique de ces femmes semble avoir été entendue chez les géants du sportswear. Début 2018, Nike enrôlait 14 femmes dans le but de réinventer son Air Force 1 et sa Air Jordan 1, créant ainsi, pour la première fois de son histoire, des chaussures pensées par et pour les femmes. Une avancée majeure, amorcée en octobre 2017 avec la sortie de l’Air Jordan 1 Retro High OG, un modèle revisité par la styliste américaine Aleali May – qui est alors devenue la première femme à designer une basket issue de la ligne Jordan Brand.
Du haut de ses 25 ans, cette Californienne, dont la vision a déjà séduit Kendrick Lamar, Tinashe ou Lil Yachty, incarne l’un des nouveaux visages du streetwear féminin. D’où sa présence, le 25 janvier dernier, sur la scène des CBS Studios, à Los Angeles, où l’événement Future of Flight, de Nike, révélait les derniers produits de Jordan Brand.
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Parmi eux, les nouvelles tenues du NBA All-Star Game, mais aussi Season of Her, la toute première collection femme de Jordan Brand, dont la campagne a été stylisée par les soins d’Aleali May. “C’est excitant de voir que le monde de la sneakers s’ouvre toujours plus aux femmes. Nous pouvons enfin avoir des produits que les mecs nous envient, et inverser le rapport de force”, a-t-elle déclaré sous les regards admirateurs de l’ancien joueur de basket Kenny Smith, du réalisateur Spike Lee, de l’auteur Shea Serrano et de l’artiste Don C.
“Une basket qui rend hommage à mon oncle, à Los Angeles, et aux femmes”
Konbini | Pour comprendre un peu mieux ton rapport à la sneakers et à Nike, j’aimerais savoir : quel est ton tout premier souvenir avec la marque Jordan ?
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Aleali May | Tout a commencé avec mon oncle, le frère de mon père. C’est lui qui m’a offert ma toute première paire d’Air Jordan 1. On avait les mêmes en fait. C’est un peu mon icône niveau style, si tu veux. Tout ce qu’il portait, que ce soit les fringues ou les chaussures, il fallait que je le porte aussi [rires]. D’ailleurs, la paire d’Air Jordan 1 que j’ai revisitée en octobre dernier était un hommage à mon oncle.
Comment est née cette collaboration avec Nike ?
L’équipe de Jordan Brand m’a approchée en m’expliquant qu’ils aimaient mon rapport à la marque, qu’ils aimaient le fait que j’aie toujours porté des Air Jordan 1. Alors on a commencé à discuter, de façon très naturelle, et petit à petit, l’idée d’une collaboration, l’envie de faire quelque chose de fun ensemble, est née. Et de là, on est rapidement passés à la vitesse supérieure, en imaginant cette collaboration sur l’Air Jordan 1, que l’on a dévoilée en octobre dernier et qui a vraiment été bien accueillie !
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Ce que j’ai particulièrement apprécié, c’est que l’équipe de Jordan Brand m’a vraiment laissé carte blanche en matière de direction artistique, ce qui m’a permis de choisir tout ce que je voulais en termes de modèle, de design, de matières, de coloris…
Le résultat est une chaussure à travers laquelle je rends hommage à mon oncle, comme je te le disais plus haut, mais aussi à ma ville, Los Angeles, et aux femmes, car cette paire s’inscrit dans la lignée de mon style personnel, qui emprunte à la fois au vestiaire des femmes, mais aussi à celui des hommes. J’avais envie d’une sneakers qui puisse plaire à tous et à toutes.
“Nous sommes capables de créer des chaussures désirées par les hommes”
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As-tu l’impression que l’industrie du streetwear est encore dominée par les hommes aujourd’hui ?
Oh oui, très largement ! Au même titre que de nombreuses autres industries d’ailleurs. Mais je crois que les mœurs évoluent, que c’est en train de changer, petit à petit, grâce notamment à des initiatives comme le lancement de la ligne Air Jordan 1 Season of Her. Ce genre de projets marque le début d’une véritable progression, parce qu’ils placent les femmes sur le devant de la scène streetwear, aux côtés des hommes.
C’est une évolution majeure, féministe, qui montre enfin une autre image de la femme, qui prouve que nous pouvons aussi bien porter des talons que des superbes baskets − et que nous pouvons même en créer ! Quand tu y penses, il y a énormément de designers hommes qui créent des chaussures pour femmes, comme Tom Ford ou Christian Louboutin, mais très peu de designers femmes qui créent des chaussures pour hommes. Aujourd’hui, on tend à inverser la tendance en montrant que nous, les femmes, nous sommes capables de créer des chaussures désirées par les hommes.
Ce qui change aussi, c’est le design des produits dédiés aux femmes qui sont, encore aujourd’hui, souvent très roses, en velours, à paillettes… De plus en plus souvent, on voit émerger des baskets pour femmes estampillées d’une empeigne camouflage, d’un cuir de première qualité, de noir, de vert foncé… des couleurs très puissantes.
Regarde, quand Beyoncé débarque sur scène et qu’elle veut faire une démonstration de force, qu’est-ce qu’elle porte ? Du noir, des pieds à la tête ! Et tu sais à ce moment-là qu’elle va frapper très fort. L’industrie du streetwear est en train de se rendre compte de ça, du fait que les femmes achètent aussi du noir, du cuir et du camo.
“Nous n’avons que deux options : être la fille girly ou le garçon manqué”
Tu as participé au stylisme de la campagne Season of Her de Jordan Brand, pour laquelle ont été choisies des artistes prometteuses telles que SZA, QUIÑ ou Leikeili47. Qu’est-ce qui t’a inspirée ?
J’ai mélangé beaucoup de styles, de couleurs, et les filles choisies viennent toutes d’horizons très différents. J’avais envie qu’elles ressemblent à des Power Rangers, en fait. Quand on était gosses, en regardant ce genre de super-héros, on se disait toujours : “OK, donc moi je suis la rose, toi tu es la verte, et toi la bleue…“ Eh bien, j’avais envie de recréer cet état d’esprit, pour que les filles qui regardent la campagne puissent s’identifier à au moins une fille, trouver leur inspiration.
La ligne directrice de cette campagne, c’était de représenter tous les types de femmes évoluant dans le milieu du streetwear. J’ai l’impression que nous, les femmes, nous n’avons que deux possibilités dans ce milieu : être la fille girly, ou le garçon manqué. Mais qu’est-ce qu’il se passe si on a envie d’être les deux à la fois ? Qu’est-ce qu’il se passe si j’ai envie d’être cette fille super girly un jour, mais que le lendemain, j’ai envie d’être un véritable garçon manqué ? Si j’ai envie de mettre mes cuissardes Margiela le matin, et de mettre mes Air Force 1 une fois la nuit tombée ?
“Imposer un peu plus les femmes dans le monde du streetwear”
La vision de l’industrie du streetwear est encore très stéréotypée quand il s’agit des femmes…
Exactement. Quand les gens combinent les mots “filles” et “streetwear”, j’ai le sentiment qu’ils se projettent l’image d’une seule et unique fille. Ce qui est une erreur, car il existe une infinité de filles avec une infinité de styles dans le milieu du streetwear ! Je fais partie de celles qui portent un crop top avec un baggy, mais certaines préféreront arborer un tracksuit, tandis que d’autres voudront associer une paire de sneakers à un trench.
Donc voilà, j’avais envie de parler à tous ces différents types de filles, et notamment les jeunes filles qui, je crois, peuvent aujourd’hui avoir de véritables modèles dans le monde du streetwear et s’identifier à des personnes qui leur ressemblent réellement – ce que j’ai beaucoup cherché étant plus jeune, en vain.
Quels sont tes projets pour 2018 ?
J’entends bien continuer à développer la ligne femme de Jordan Brand, dans le but d’imposer un peu plus les femmes dans le monde du streetwear, et de prouver que l’on peut à la fois être cette fille girly et ce garçon manqué. Que l’on peut faire tout ce que l’on veut, en fait !
J’ai envie d’envoyer ce message à toutes ces jeunes filles qui, comme moi, ne viennent pas forcément des quartiers les plus favorisés. J’ai envie de leur montrer que peu importe ton milieu social, tu peux parvenir à tes fins, qu’il s’agisse de créer ta propre collaboration avec Jordan Brand, ou de décrocher la lune.