Les étiquettes ont peu de sens. Celle de mumble rap par exemple peut définir un style émergent de la trap au début des années 2010 où de nouveaux artistes psalmodiaient et marmonnaient en rythme (ou non), cherchant des directions inédites dans leur musique.
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Ce terme est très souvent utilisé de manière péjorative, voir négative, en opposition au “vrai” rap et ses schémas techniques, ses figures de styles arrêtées. Le mumble rap est pauvre dans l’inconscient collectif, une nouvelle façon de dire (encore) que le rap était mieux avant.
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Mais en fait, ces jeunes artistes comme Lil Uzi Vert, Lil Yachty ou 21 Savage, ont d’autres références, souvent plus éclectiques musicalement. Ils cherchent d’autres ressorts, plus en accord avec leur époque, une façon inédite de faire passer des émotions, des messages.
Le plus influent de cette nouvelle génération est sans aucun doute Chief Keef, qui a testé de nombreuses pistes très audacieuses au niveau interprétation, le tout dans un temps très réduit. Son impact est encore difficile à délimiter tellement il est référencé dans toute la musique produite actuellement.
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Pourtant, des années avant Chief Keef, un autre rappeur inclassable avait déjà expérimenté des voix étranges, des rimes incongrues et des chants faux. Membre du Wu-Tang Clan, Ol’ Dirty Bastard en était l’élément le plus instable. Entre folie douce et lucidité technique, ODB a forgé un univers très complexe dès sa première apparition, “Shame on a nigga”, sur le premier album du Wu-Tang.
ODB, le mumble rap 20 ans avant
Son style est un savant mix de rimes criées puis susurrées, d’onomatopées rythmiques et de grandes envolées lyriques. Sur son premier album Return To The 36th Chambers : Dirty Version, Ol Dirty Bastard est parfois crooner, souvent décalé et tout le temps extrêmement libre.
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Sur “Going Down”, il se permet même de commencer avec un bruit de gorge pendant une minute avant de partir dans une vocalise puissante ouvrant sur un morceau à la structure tarabiscotée. Sur “Drunk Game”, il chante faux quasiment tout le long des quatre minutes.
Et sur “Dirty Dancin'” il prend tout le monde à l’envers avec des voix plus étranges les unes que les autres et des couplets sans fin qui s’arrêtent d’un coup. Il mélange le tout avec des mélodies infantiles, des comptines naturelles, sans aucune limite technique.
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Comme tous les membres du Wu-Tang, ODB est très inspiré des films d’arts martiaux qu’il a vus plus jeune dans les cinémas new-yorkais. Ainsi, son style se rapproche beaucoup de la boxe de l’homme ivre.
La boxe de l’homme ivre
Le zui quan est une technique de kung-fu réelle utilisant les mouvements saccadés et incompréhensibles de l’ivresse pour combattre. Ce style a été la base des films Drunken Master avec Jackie Chan.
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Ol’ Dirty Bastard est comme ça, insaisissable mais toujours debout. Il paraît ivre mort mais sait finalement très bien ce qu’il fait. Il a choisi la liberté, celle de tester, se jeter dans le vide en attendant de retomber sur ses pieds.
Même quand il travaille sur son deuxième album, Nigga Please, le rappeur transforme ses références de films blaxploitation avec le son proto-R’n’B des Neptunes.
Il en sortira son plus gros hit “Got Your Money” avec Kelis. Et même différent de ses débuts, son style est toujours inclassable, entre classique club presque disco et sketch éraillé de stand-up façon Rudy Ray Moore (à qui il fait une dédicace dans le clip avec des extraits de son film Dolemite). Comme le mumble rap des années plus tard, la musique d’ODB marche par pattern mis en boucle de quatre ou huit mesures.
Il peut rapper dans les temps avec une technique superbe pendant huit mesures puis partir dans un solo d’opérette sur le reste du couplet. Les structures sont modulables comme un Lego et sont souvent plus compliquées qu’au premier abord.
Wu is for the children
Surtout, il utilise énormément les caractéristiques de sa voix à une époque où les rappeurs refusaient de chanter. À ce moment-là, quand un artiste rap voulait de la mélodie sur son refrain, il demandait à des artistes R’n’B de prendre le relais.
ODB a complètement cassé ce format, utilisant sa voix atypique pour construire des lignes mélodiques étranges, parfois fausses mais très virales, comme un enfant qui parodie une musique qu’il adore.
Ol’ Dirty Bastard devient même un invité de choix sur des morceaux R’n’B iconiques des années 1990 : “Fantasy” de Mariah Carey, “Whatever” d’En Vogue, “Fix” de Blackstreet… Il est totalement dans son élément comme Teddy Pendergrass ensuite propulsé dans le fluo et les paillettes des années 1990.
Sa liberté, son interprétation, son originalité et les jeux sur sa voix rauque en font un des précurseurs du mumble rap tel qu’il se développe maintenant. Et en plus de l’aspect musical, son côté rock star déjantée convient parfaitement comme modèle à la nouvelle génération.
ODB était un troll avant Internet. Chaque interview, chaque remise de prix, est un moment de bravoure qui ferait des milliers de vues sur les réseaux sociaux. ODB était un influenceur musical et personnel, un combo indispensable dans le monde d’aujourd’hui.
Et il parlait régulièrement d’excès, de dépression et de drogues. Comme tous les rappeurs actuels. Le murmure d’ODB s’est transformé en mumble rap. Comme quoi, marmonner, ça a du bon.
Retrouvez notre rétrospective ODB Forever avec les classiques, featurings et inédits d’Ol’ Dirty Bastard dans la playlist ci-dessous, diffusée jeudi 14 novembre 2019 à 18h sur Konbini Radio.