Au bout de presque vingt-sept ans de diffusion, la déprogrammation du Zapping de Canal+ en 2016 laisse un espace béant à la télévision. Snif.
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Le Zapping est la seule émission de télévision que je n’ai jamais cessé de regarder. Chaque jour, pendant des années, j’ai attendu avec impatience ce petit “Crrr-psssstchhhhh” qui annonçait 24 heures de petit écran comprimées en cinq minutes de pur plaisir télévisuel. Presque vingt-sept ans durant, Patrick Menais et son équipe m’ont permis, comme à des millions de téléspectateurs, de plonger dans ce que le PAF a de pire comme de meilleur.
Tout d’abord parce que le montage du Zapping, c’était quelque chose. Il faut du talent pour faire cohabiter les débats du Parlement européen, les tubes de variété des années 1970 sur Melody, les aventures déprimantes de l’équipe de TPMP et les sourires scintillants des potiches de télé-achat. Mais il faut carrément de l’art pour les assembler avec une telle grâce, comme c’était souvent le cas. Le Zapping redonnait du sens aux images, là où parfois il n’y en avait plus : des ruines de Homs aux pelotages du Bachelor, de la chaleur des manifs au rire de Laurent Ruquier, des froncements de sourcils d’Yves Calvi à cette espèce en voie de disparition qu’est la miss météo… il y a un fil d’Ariane que seuls les zappeurs savaient dérouler.
Le no comment comme arme
Gracieux dans son montage, le Zapping était délicat dans son impertinence : dans l’ère de l’hypercommentaire et de l’omniprésence du duplex BFM TV, il se moquait souvent bien mieux de notre société que les vannes de n’importe quel Stéphane Guillon ou Gaspard Proust. Comment ? En n’en disant pas plus que ce qui était déjà diffusé. Bref, en n’ajoutant rien.
En utilisant le seul montage comme outil narratif, le Zapping offre une distanciation que le simple visionnage de la télé ne permet pas. Essayez, vous n’y arriverez pas. L’affirmation du réel de la télévision est constamment remise en question, en faisant s’entrechoquer ce florilège d’images dans un grand carambolage cathodique… Et c’est bien connu, avec une formule qu’on vérifie du Big Bang jusqu’aux Stooges : du chaos naît la lumière.
Une critique nécessaire
“Le Zapping reflète la télévision, il peut contenir des images non adaptées à un jeune public”, disait l’avertissement sibyllin au début de la pastille de Canal+. Moi je crois, au contraire, que le Zapping était l’une des rares émissions essentielles à tous les publics. Tant que dans notre société on n’apprendra pas aux jeunes à comprendre (ni à se défendre contre) le discours des médias et des communicants, alors que celui-ci s’infiltre partout davantage, la critique offerte par des émissions comme le Zapping est nécessaire. J’en fais trop ? Rappelez-vous que c’est son indépendance et sa liberté de ton qui lui ont coûté sa déprogrammation.
Patrick Menais définissait le Zapping comme un “montage subjectif de la réalité objective”. Dans ce programme hybride mêlant critique de notre civilisation et watcher’s digest, la télé reprenait enfin son rôle : non pas de fenêtre sur le monde, comme on l’a longtemps cru, mais d’observatoire de notre société dans ce qu’elle a de plus spectaculaire – et de plus fantasmé.
Zapping, tu vas me manquer.