Par la voix de la ministre des Droits des femmes.
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48. C’est à peu près le nombre d’heures qu’il aura fallu au gouvernement pour réagir à la nomination de Roman Polanski en tant que président des César, cérémonie qui se tiendra le 24 février prochain, à la Salle Pleyel. Et c’est à travers l’intervention non pas de la ministre de la culture mais de Laurence Rossignol, ministre des Droits des femmes, que l’État a décidé de donner son avis.
Ce vendredi 20 janvier, au micro de France Culture, la ministre a ainsi jugé “surprenant et choquant” le choix de voir le cinéaste franco-polonais devenir le représentant du cinéma français le temps de l’événement :
“Je trouve surprenant et choquant que l’histoire d’un viol dans la vie d’un homme ne pèse pas. C’est un choix qui témoigne, de la part de ceux qui ont décidé de le nommer président des César, d’une indifférence à l’égard des faits qui lui sont reprochés. En fait, ce n’est pas grave, pour les organisateurs, que Roman Polanski soit poursuivi aux Etats-Unis et ait à son actif le viol d’une […] enfant de 13 ans”.
Et de poursuivre, à propos d’une décision qui, selon elle, s’inscrit… :
“… dans une espèce de banalité à l’égard du viol, c’est ce que les féministes désignent comme étant la culture du viol dans laquelle nous évoluons, c’est-à-dire qu’une agression sexuelle, le viol, tout cela n’est pas si grave.”
Dans la société civile, les réactions ont été nombreuses depuis l’annonce de l’Académie des César : un boycott a été organisé sur Twitter (via le hashtag #BoycottCésar), une pétition invoquant la “destitution de Roman Polanski comme président des César” a été lancée sur Change.org (elle a déjà recueilli près de 50 000 signatures en moins de 48 heures) tandis que l’association Osez le féminisme a appelé à un rassemblement devant la Salle Pleyel le jour de la cérémonie des César, à 18 heures 30.
Autre son de cloche, cette fois-ci de la part de l’ancienne ministre de la culture Aurélie Filippetti, proche d’Arnaud Montebourg, qui a souhaité, très sérieusement, “qu’on laisse [Roman Polanski] présider cette cérémonie”, précisant qu’il était un “grand réalisateur” et affirmant, avec aplomb, que la date de l’affaire imposait de ne plus en parler :
“C’est quelque chose qui s’est passé il y a 40 ans. On ne peut pas à chaque fois relancer cette affaire.”
Retour en 1977
Roman Polanski a un passé (très) douteux. L’affaire remonte à 1977 : le cinéaste, alors âgé de 43 ans et aujourd’hui connu pour avoir réalisé Le Pianiste et Chinatown, est accusé d’avoir drogué puis violé une mineure, à l’époque âgée de 13 ans, Samantha Geimer. Incarcéré pendant 42 jours, il plaide alors coupable pour “rapports sexuels illégaux” contre l’abandon des charges de viol et sodomie. Il sort de prison, libéré sous caution. Il n’attend pas le verdict et part aussitôt pour l’Europe, craignant une sanction, malgré un accord conclu avec la justice américaine.
Pendant trente ans, la justice américaine va tenter de mettre la main sur lui, lors de ses différents voyages dans le monde, du Royaume-Uni (1978) à Israël (2007). Vainement. En 2008 pourtant, Roman Polanski est arrêté par la police suisse à Zurich alors qu’il se rend à un festival de cinéma. L’arrestation est réalisée dans le cadre d’un mandat d’arrêt international émis en 2005.
Un an plus tard, en novembre 2009, contre une caution de près de 3 millions d’euros, le Tribunal pénal fédéral accepte sa libération conditionnelle. Roman Polanski fait actuellement toujours figure de fugitif dans les États membres de l’Union européenne, selon Interpol. Il n’a droit de se déplacer qu’en France, Suisse et Pologne, pays qui a récemment refusé d’extrader le cinéaste vers les États-Unis.
À plusieurs reprises Samantha Geimer a demandé à ce que les poursuites soient abandonnées. Dans ses mémoires, elle précisait ainsi :
“Je ne lui ai pas pardonné pour lui, je l’ai fait pour moi.”
Pour rappel, en 2009, quelques mois après l’arrestation de Roman Polanski en Suisse, de nombreux représentants du cinéma français et international avaient signé une pétition pour s’indigner du “traquenard”.
On pouvait ainsi lire :
“Les cinéastes et auteurs français, européens, américains et du monde entier, tiennent à affirmer leur consternation. Il leur semble inadmissible qu’une manifestation culturelle internationale, rendant hommage à l’un des plus grands cinéastes contemporains, puisse être transformée en traquenard policier.”
Parmi les cinéastes et acteurs, on retrouvait de grandes stars, tels Woody Allen, Pedro Almodóvar, Fanny Ardant, Asia Argento, Olivier Assayas, ou encore Monica Bellucci, Patrice Chéreau, les frères Dardenne, Jonathan Demme, Costa Gavras et Terry Gilliam. Pour la suite (très) conséquente de la liste, ça se passe par ici.