Alors que la pilule et l’IVG sont remboursés par la Sécurité sociale, on est en droit de se demander pourquoi le préservatif, lui, ne l’est pas.
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“La plus belle des robes, c’est encore le préservatif”, disait Jean-Paul Gautier. Qu’il soit standard, grande taille, masculin ou féminin, à la fraise, perlé ou sans latex, le préservatif est le seul à vous protéger de la plupart des maladies et infections sexuellement transmissibles, comme le VIH, tout en prévenant une grossesse. Pourtant, il n’est pas remboursé par la Sécurité sociale, contrairement à la pilule ou au stérilet. Et société de consommation oblige, le safe sex a un prix : de 20 centimes d’euro l’unité pour les premiers prix, à plus d’un euro pour les modèles haut de gamme.
La capote fait son job et, pourtant, il y a comme une incohérence. Lorsque les jeunes filles se voient proposer une contraception (remboursée dans la plupart des cas), jamais on ne leur fait une ordonnance pour qu’elles puissent s’acheter des préservatifs et ainsi disposer d’une sexualité libre et sans danger. Si l’on prend au pied de la lettre le proverbe “Mieux vaut prévenir que guérir”, il est légitime de se demander, étant donné que l’IVG (interruption volontaire de grossesse) et la PrEP (prophylaxie pré-exposition − un traitement préventif permettant d’éviter une transmission du VIH) sont remboursées, pourquoi le préservatif ne l’est pas.
Bien qu’elle ne veuille surtout pas remettre en cause le remboursement de ces traitements, Florence Thune, directrice générale de Sidaction, souligne “le manque de cohérence dans la politique globale de prévention contre les IST et les grossesses”. Notons par ailleurs que nous avons contacté le cabinet d’Agnès Buzyn, actuelle ministre des Solidarités et de la Santé, lequel n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet. Heureusement, le Planning familial et le Sidaction nous ont aidé à étudier la question.
La capote et le “trou de la Sécu”
L’argument numéro 1 qui vient faire obstacle au remboursement du préservatif par l’État est le fameux “trou de la Sécu”. Avec un déficit de 400 millions d’euros, l’heure est en effet davantage au déremboursement. D’ailleurs, après plus d’un mois d’attente et de relances, la direction de la Sécurité sociale a fini par nous répondre que “la question du remboursement des préservatifs n’est pas à l’étude.” La seule explication à laquelle nous avons eu droit est qu’“il n’est pas démontré que le remboursement des préservatifs changerait le comportement à risque des utilisateurs”.
Aucune étude officielle n’a en effet été menée afin d’évaluer une éventuelle corrélation entre le prix du préservatif et son utilisation, comme le souligne Florence Thune. Mais selon elle, pourtant, “plus les moyens de protection sont abordables, plus ils sont utilisés“. Elle ajoute que le prix des préservatifs a nettement baissé ces vingt dernières années.
C’est en 2006 que le prix de la capote a chuté. Cette année-là, les MST progressent chez les jeunes et les personnes précaires : l’OMS dénombre 5 750 nouveaux cas de VIH en France, soit deux fois plus qu’en Allemagne. Hervé Antoine, ancien préparateur en pharmacie à Paris, s’insurge. À l’époque, “les fabricants et les distributeurs font des marges énormes, quatre à sept fois le prix de revient”, assure-t-il dans le livre de Béatrice Fontanel et Daniel Wolfromm, Petite histoire du préservatif (Stock, 2009). Obligé de réagir, Xavier Bertrand, alors ministre de la Santé, lance la “capote à 20 centimes” dans les points de vente de presse et les bureaux de tabac. Une action qui a démocratisé la capote, l’outil indispensable pour une partie de jambes en l’air sans prise de tête le lendemain.
Le préservatif ne protège pas des inégalités
Mais ne nous voilons pas la face, les préservatifs à 20 centimes, on a connu mieux. “Ça serre fort et puis, on sent rien”, se plaint Léon, 17 ans. Quant à sa partenaire, Sarah, elle ne leur fait pas vraiment confiance : “J’ai toujours peur qu’ils craquent”, confie-t-elle. “Les préservatifs de bonne qualité, il faut les acheter”, souligne Florence Thune, “et on est plutôt à 1 euro qu’à 20 centimes le préservatif”.
N’oublions pas qu’un préservatif sert à faire l’amour en diminuant fortement les risques de MST ou de grossesse, et que c’est donc avant tout “un objet de plaisir”, argue Florence Thune. Les galères de la capote qui serre, ne tient pas, reste coincée à l’intérieur et retire un peu de plaisir aux deux partenaires, c’est donc un non-sens en soi. C’est sans doute pour ça que les géants Durex et Manix proposent une large gamme de choix adaptée aux goûts et aux envies de chacun. On peut ainsi légitimement se demander si c’est le rôle de la Sécurité sociale de nous rembourser nos capotes goût fraise, sachant que le sexe n’est pas en soi une maladie, mais l’un des trucs les plus cool que la nature nous ait donné (avec la nourriture).
Prenez un·e Français·e moyen·ne. Selon un sondage réalisé par Novatrices/Harris Interactive pour L’Express et France 24, il ou elle a en moyenne 8,9 rapports sexuels par mois, ce qui lui revient à 106 euros par an environ (pour un préservatif de bonne qualité ou provenant d’un distributeur). Ce coût – important pour certains, dérisoire pour d’autres – “crée des inégalités entre les personnes”, estime Véronique Séhier, coprésidente du Planning familial.
D’ailleurs, la commercialisation des préservatifs en est le parfait exemple. Jean-Marc Bloch, directeur marketing de Manix et Skyn France, nous explique que “pour les personnes très défavorisées”, il y a une “offre très bon marché : des préservatifs standards en latex et à très bas prix.” S’ils assurent la protection, en revanche, “ces préservatifs ne présentent pas le confort et la réassurance de produits haut de gamme comme Skyn”, explique-t-il. Que l’on soit riche ou pauvre, on aimerait tous pouvoir faire l’amour dans les meilleures conditions, en sécurité, mais aussi avec du plaisir. En effet, a-t-on vraiment envie d’utiliser une capote qui nous gêne ?
Ce sont les personnes les plus précaires qui sont le plus tentées d’abandonner le préservatif, et se mettent par conséquent en danger. “L’objection, c’est de nous dire : ‘Ça coûte pas si cher que ça, les préservatifs’, je trouve que c’est un peu léger comme réponse. Dans un budget jeune, ça peut revenir cher”, explique Véronique Séhier. Un argument partagé par la directrice du Sidaction, qui souligne l’importante mobilisation des jeunes dans la prévention contre les MST. “Il faut arrêter de taper sur les jeunes. S’ils ne prennent pas parfois toutes les mesures, ce n’est pas parce qu’ils sont inconscients, mais parce qu’ils n’ont pas accès aux bonnes informations”, ajoute Florence Thune.
Les superpouvoirs du préservatif
Élodie [le prénom a été changé], 19 ans, ne sait pas vraiment comment ça marche ou à quoi ça sert, un préservatif. “À 16 ans, ma gynéco m’a mise sous pilule pour mon acné, alors acheter des préservatifs, ça ne m’est jamais venu à l’idée. Et comme c’est pas remboursé, alors que la pilule si, je me dis que ça ne doit pas être si utile que ça”, nous explique-t-elle. Voilà un problème.
En 2009, un rapport de l’OMS souligne que “l’utilisation correcte et systématique du préservatif masculin réduit le risque de transmission sexuelle du VIH de 80-90 %”. En outre, bien qu’un peu moins sûr que la pilule (si elle est bien prise), le préservatif reste un moyen de contraception efficace : son indice de Pearl est en effet de 2, c’est-à-dire que deux femmes en moyenne sont tombées enceintes, sur 100 femmes l’utilisant comme contraceptif sur une année.
Soulignons enfin une dernière incohérence. Le préservatif est le seul moyen de contraception qui n’est pas remboursé, et ce, même si votre partenaire est séropositif, précise Florence Thune. Idem si vous en avez médicalement besoin, comme Sophie, 28 ans, qui souffre d’une allergie au sperme et n’a d’autre choix que d’utiliser des préservatifs. Et nous autres, le choix, l’a-t-on réellement ?
“Prenez une jeune fille qui va voir un gynécologue. Il lui propose une pilule contraceptive, qui est remboursée, ou le préservatif, qui ne l’est pas. Est-ce qu’elle aura vraiment le choix ?”
C’est ce que se demande Florence Thune, qui propose “un package” qui permettrait de rembourser la pilule ou le stérilet, ainsi que les préservatifs. Véronique Séhier, quant à elle, dénonce “une norme contraceptive, qui est de dire : ‘On démarre avec le préservatif, après on prend la pilule et enfin, quand on aura eu des enfants, on passera au stérilet.'” Or, ces derniers temps, cette norme bouge.
La journaliste Sabrina Debusquat a publié le 13 septembre “J’arrête la pilule”, une enquête sur les potentiels dangers liés à son utilisation. Alors qu’aujourd’hui, de plus en plus de femmes font le choix – qui leur est personnel – d’arrêter la pilule pour revenir au préservatif, ne serait-il pas judicieux de le rembourser au même titre qu’une contraception hormonale ? Car comme le rappelle, à juste titre, la présidente du Planning familial, “la meilleure contraception, c’est celle qui vous convient le mieux”.
Lever le tabou sur la capote
Véronique Séhier ajoute un élément essentiel dans ce débat : la liberté de la sexualité. “Si l’on a des rapports occasionnels ou des partenaires multiples, le préservatif est un moyen de contraception plus adapté”, précise-t-elle. Sauf que, comme le constatent les associations présentes sur le terrain, le préjugé “la pilule c’est pour les filles, et le préservatif pour les garçons” perdure. Florence Thune raconte que lors d’une intervention dans un lycée, un groupe de jeunes filles est venu la voir en privé à la fin de la séance. Ces dernières lui ont expliqué :
“Quand on voit des préservatifs dans les poches d’un garçon, on les perçoit comme des mecs sérieux. Nous, les filles, on ne peut pas dire qu’on a des préservatifs dans notre sac, parce qu’on nous prendrait pour des putes.”
“À 17 ans, elles ont déjà intériorisé le sexisme”, déplore Florence Thune, qui trouve “ce jugement moral inquiétant”. Le préservatif serait ainsi la responsabilité du garçon, et la contraception uniquement celle de la fille : “On est en 2017, et on entend de plus en plus ce genre de choses.” Difficile de dire si son remboursement démocratiserait davantage le préservatif. En attendant, le témoignage d’Elsa, 20 ans, donne à réfléchir :
“Quand j’ai mal à la tête, je vais chez le médecin, il me donne du paracétamol, je suis remboursée. Si je veux faire l’amour avec mon copain, je vais chez ma gynéco, elle me donne une pilule, je suis remboursée. Par contre, si j’ai envie de coucher avec un garçon que je ne connais pas à une fête, là, je ne suis pas remboursée pour le préservatif. Peut-être parce que ce n’est pas considéré comme quelque chose de normal ?”
À méditer. En attendant, même si le préservatif n’est pas près d’être remboursé, estimez-vous chanceux·ses : autrefois, on utilisait des boyaux de mouton ou des vessies de porc pour se protéger des maladies vénériennes. La directrice du Sidaction souhaiterait ainsi que “l’on cesse de renvoyer le préservatif à la peur, pour qu’il redevienne un objet de plaisir”. On compte sur vous !