À Baltimore, la police utilise un avion de surveillance aérienne, normalement utilisé en Irak, pour espionner la population, dans le plus grand secret.
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Alors que les caméras de surveillance à tous les coins de rue sont devenues une vision à peu près banale dans toutes les grandes villes du monde occidental, Baltimore, l’une des villes les plus associées à l’insécurité et à la brutalité policière aux États-Unis (c’est là-bas que se passe The Wire), a poussé un nouveau bouton sur le grand tableau de bord de la surveillance d’État. Selon une explosive enquête de Bloomberg, la police de Baltimore s’est équipée d’un avion de reconnaissance aérienne pour espionner ses citoyens. Sans jamais l’annoncer officiellement.
Positionné à 2,5 kilomètres d’altitude, bien trop haut pour être visible à l’œil nu, l’avion Cessna est équipé de plusieurs caméras à très haute définition (192 gigapixels), qui permettent de filmer une zone de 50 kilomètres carrés avec une précision d’un pixel par individu, le tout jusqu’à dix heures par jour. Vous commencez à flipper ?
Grâce au logiciel fourni avec le joujou, la police peut aussi décider de fixer les caméras sur une personne et la traquer toute la journée. Les images sont stockées indéfiniment, on ne sait où. On ignore également dans quelle mesure les images ont été utilisées et quelle influence elles ont pu avoir sur des enquêtes en cours. À vrai dire, on ne sait pas grand-chose, puisque l’outil n’apparaît nulle part dans les rapports officiels.
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Une entreprise privée payée par un faux fonds caritatif
Pour mener ses petites opérations de surveillance parfaitement illégales, la police de Baltimore a fait tout ce qu’elle pouvait pour rester discrète : l’entreprise qui fabrique l’avion de surveillance, Persistent Surveillance Systems (PSS), n’était ainsi pas directement payée par les forces de l’ordre, mais par un fonds caritatif géré par la police et alimenté par le millionnaire John Arnold. Cet ancien trader et gérant de hedge funds, intéressé par l’idée de PSS, avait indiqué à la société qu’il paierait dès lors que celle-ci trouverait une ville qui accepterait de servir de terrain d’expérimentation. Ça ne pouvait être que Baltimore, ville des bavures, où le souvenir de la mort de Freddie Gray est encore dans toutes les rues.
Si l’engin est aussi perfectionné aujourd’hui, c’est parce qu’il existe depuis près de dix ans. Ross McNutt, fondateur de PSS, ancien de l’Air Force et du MIT, l’a inventé en 2006 et l’a présenté au Pentagone, qui a eu un véritable coup de foudre pour l’invention.
En 2007, les prototypes ronronnent dans le ciel de Falloujah, en Irak. Deux ans plus tard, la flotte de Cessna survole le territoire mexicain, à Ciudad Juarez, pour lutter contre les guerres de cartels. Puis les appareils ont remonté doucement le pays pour arriver à la frontière américano-mexicaine, pour ensuite enjamber les barbelés et s’installer dans le ciel américain afin de filmer innocemment des événements sportifs ou de garder un œil sur les parcs nationaux.
Une carte blanche, temporaire et lucrative (entre 2,7 et 3,5 millions d’euros annuels, selon Ross McNutt), avant de revenir à ses premières amours policières pour devenir le panoptique d’un Baltimore aux traits de plus en plus carcéraux. Le 10 août dernier, le Ministère américain de la justice publiait un rapport de 163 pages en forme d’avertissement de conduite pour les forces de l’ordre de la ville, fustigeant la stigmatisation des minorités, l’usage abusif de la force et le recours aux StingRays, ces fausses tours téléphoniques dissimulant des oreilles électroniques à grande portée. Big Brother avait déjà l’ouïe fine, le voilà maintenant doté de la vue.