Une exposition qui dérange
En décembre dernier, Paris accueillait l’exposition “Exhibit B”, de Brett Bailey. L’exposition vivante visait à dénoncer les comportements et discriminations à l’égard des populations africaines, que ce soit à l’époque coloniale ou à l’époque actuelle. Pourtant, si le but originel de l’exposition semble à première vue noble, la performance a déchainé les foules et suscité la controverse.
Mettant en scène des hommes et femmes enchaînés, en cage, l’exposition-performance a été vivement critiquée par des groupes anti-racisme et s’est retrouvée écourtée. Le schéma semble se reproduire en Suède où l’insurrection est déjà perceptible.
“L’exposition n’est pas sur leur vie ou la façon dont ils ressentent la pauvreté et la misère, elle est sur la manière dont nous ressentons la mendicité” déclare Aaron Israelson, rédacteur en chef d’un magazine vendu par les SDF, sur CultureBox. L’intérêt du spectateur primerait sur celui des “exposés”. Mais ces derniers ne sont-ils que victimes de cette mise en scène ?
Les avis sont divers puisque le scandale d'”Exhibit B” a divisé jusqu’au sein de la communauté artistique. Un collectif d’artistes a décidé de demander à la justice de bannir l’exposition qu’ils jugeaient raciste et dégradante.
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La subversion, clef du succès ?
Mais si la critique se déchaîne, elle est aussi un atout communication et marketing de taille. La subversion suscite l’intérêt et cela se vérifie d’autant plus avec les précédents du genre. L’exposition “Our Body”, mettant en scène de véritables corps humains plastinés, a été interdite en France suite à des poursuites judiciaires. Pour autant, l’exposition a réuni quelques millions de visiteurs à travers le monde, dégoûtant et fascinant par sa morbidité.
De même, l’exposition si controversée “Exhibit B” a rencontré un succès de taille puisqu’elle parcourt le monde depuis déjà plusieurs années, recrutant çà et là des figurants afin de participer à l’expérience. De festivals en festivals et d’espaces en espaces, la performance intéresse autant qu’elle insurge.
Avec son exposition, le musée de Malmö provoque une gêne toute particulière qui participe à l’aspect “découverte” de l’expérience. Les visiteurs en témoignent, quelques secondes dans la même pièce que ces écrans qui affichent un “Aujourd’hui, vous n’êtes pas obligés de donner” et ces personnes mises en scène suffisent afin d’installer un malaise.
La gêne face à la pauvreté
Alors que la misère est souvent chassée des villes, notamment avec la récente multiplication des dispositifs anti-SDF, la mise en lumière des situations d’urgence tend à interpeler, à instaurer une situation de malaise. Entre prise de conscience et voyeurisme, les réactions peuvent être diverses. Mais est-il vraiment nécessaire d’exposer la mendicité dans un musée pour que les populations regardent le problème en face ?
Tandis que la chasse aux SDF s’organise et vide peu à peu les villes de ceux qui tendent à être perçus comme indésirables par les municipalités, l’exposition de ces deux mendiants oblige les visiteurs à se confronter à la misère qu’ils évitent soigneusement le reste du temps.
Pourtant, si la dénonciation semble fonctionner au vu des réactions de ceux qui ont fréquenté le musée de Malmö, le respect de la dignité humaine est encore une question sujette à débat.
La dignité humaine, réservée à une catégorie de personnes ?
L’exposition relance la question de la dignité humaine, certains se demandant si l’exposition de personnes riches aurait pu avoir lieu. Comme dépossédés de leur humanité, les deux personnes sont réduites au statut d’œuvre et posent tous les jours sous les yeux parfois voyeurs des visiteurs.
Certains commentateurs parlent de “mépris de classe” quand l’auteur de l’exposition déclare de toutes autres intentions à l’AFP :
En tant qu’artiste je peux offrir un espace où les gens peuvent rechercher pourquoi ils tolèrent autant ces injustices qui enfreignent en fait leur propre morale.
“Exhibit B”, désormais l’Institut de Malmö, les performances vivantes concernant des sujets de société continuent à diviser. Entre bonnes intentions et franchissement des limites de la dignité humaine, le monde de l’art est partagé et semble encore en bonne voie pour connaître un débat houleux.
Crédit photo d’illustration de l’article : AFP