“On impose une politique à l’intérieur de la tête des gens, c’est de l’ordre du totalitarisme.”
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“A chaque élection, on nous explique qu’il faut avoir peur.”
La loi sur le renseignement rencontre peu de résistance chez les partis politiques, alors qu’elle suscite une levée massive de boucliers dans le milieu associatif et citoyen… D’un côté ils sont tous pour, de l’autre tous contre. Comment expliquez-vous un tel clivage entre la classe politique et la société civile ?
La loi sur le renseignement fait consensus à l’UMP et au PS car ils sont dans une logique de partis. Ca va renforcer leur contrôle sur la vie démocratique française. Avec ça, ils ne risquent pas de se prendre une révolution. A mon avis, la gauche, que la droite qualifie tout le temps de laxiste, fait aussi l’erreur de vouloir gagner des points sur la rhétorique sécuritaire. Le problème, c’est qu’ils ont mis le doigt dans un engrenage qui ne peut les mener qu’à leur perte, parce que la droite sera toujours prête à aller plus loin dans le sécuritaire. La preuve : les socialistes continuent à se faire traiter de laxistes, alors même qu’ils nous mettent des flics robotisés !
Côté opinion publique par contre, les gens sont plutôt indifférents… Pourquoi cette apathie de la population vis-à-vis d’une loi si cruciale ?
C’est un travail qui a été fait sur des dizaines d’années, depuis les Twin Towers. A chaque élection, on nous explique qu’il faut avoir peur. J’ai grandi dans ce climat, on s’y est habitués. C’est aussi dû au fait que ce sont des sujets très techniques et qu’on a un très mauvais niveau d’éducation civique. On ne peut pas trop parler de la loi renseignement en ouverture du 20 heures. Il y a une phrase courante qui dit : « Si vous voulez faire passer une loi mauvaise, il faut l’enrober dans une loi chiante »… Le pire du pire, c’est que la loi sur le renseignement va être relativement indolore. On ne verra rien. Mais on va commencer petit à petit à s’interdire des choses, parce qu’on ne sait jamais. Et on aura raison de s’interdire ces choses-là, c’est ce qui est terrible !
Il y a un argument récurrent qu’on entend beaucoup dans les discussions : “Je m’en fiche d’être espionné, je n’ai rien à me reprocher”…
C’est une rhétorique habituelle mais c’est faux et c’est fondamentalement antidémocratique de penser comme cela. Vous n’avez peut-être rien à vous reprocher, mais vous pouvez être le petit-neveu de quelqu’un qui a quelque chose à se reprocher. Le texte de loi précise bien que les personnes “connexes” à des délinquants peuvent être écoutées. Donc de proche en proche, cette loi concerne absolument tout le monde.
Que répondriez-vous à quelqu’un qui utilise cet argument ?
Je lui répondrais qu’il est urgent qu’il commence à avoir une vie et des choses à se reprocher. L’important n’est pas ce qu’on fait dans notre espace de vie privée, mais de l’avoir. L’intime, c’est fondamental. Celui qui dit qu’il n’a rien à cacher, je le défie de prendre un pot de chambre et d’aller chier sur la place de la République, et on verra s’il n’a rien à cacher.
Article publié le 6 mai 2015