Pour tordre le cou aux préjugés collant aux familles dites “non traditionnelles” qui compromettraient l’équilibre des enfants, une professeure britannique enchaîne les études depuis 40 ans : ses résultats sont sans appel.
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Après plusieurs décennies passées à étudier les familles “non traditionnelles”, Susan Golombok, directrice du Centre for Family Research de l’Université de Cambridge, est bien placée pour insister sur l’importance des études sociologiques :
“De nombreuses personnes pensent que plus un modèle familial dévie de la norme, plus l’impact sur l’enfant sera négatif. Cette opinion est basée sur des préjugés. Le besoin de résultats empiriques est crucial pour être au clair avec ces situations.”
C’est ce qui a motivé ses innombrables études longitudinales (c’est-à-dire sur le long terme), comme le rapporte Le Temps. Difficile de compter ses publications clefs recensées par l’Université de Cambridge. Elle s’est intéressée aux enfants de parents gays nés d’une mère porteuse, aux enfants nés d’un don de sperme avec une ou deux mères, aux enfants ayant un seul parent, ou encore aux enfants nés grâce à des co-parents (des parents qui ne sont pas en couple et ont conclu un arrangement pour avoir un enfant ensemble)…
C’est “la qualité des relations interpersonnelles au sein d’une famille” qui prime
Les familles étudiées par la professeure sont donc celles qui se distinguent du modèle traditionnel de la famille nucléaire, comportant un père, une mère et leur(s) enfant(s). Ses conclusions, présentées le 4 septembre lors du 15e Congrès de la Société suisse de psychologie, sont sans appel : “La qualité des relations interpersonnelles au sein d’une famille est plus importante pour le développement d’un enfant que la structure dans laquelle il grandit.” Susan Golombok a dû affronter certains des préjugés les plus tenaces, pour avoir des chiffres indiscutables à présenter aux plus sceptiques.
Elle s’est ainsi attachée à prouver que la structure de la famille n’a pas d’impact sur la sexualité des enfants — préjugé aussi ridicule (comment “expliquer” dès lors que des personnes hétérosexuelles puissent avoir des enfants LGBTQ+ ?) qu’homophobe (quand bien même, en quoi cela serait-il un problème ?). La chercheuse a ainsi précisé sur le sujet lors de la conférence :
“Dans une de nos recherches, plus de 90 % d’enfants de parents homosexuels s’identifiaient comme hétérosexuels à l’âge adulte. De plus, cet environnement n’exacerbe pas forcément la masculinité chez une fille ou à l’inverse la féminité chez un garçon.”
De la même façon, la famille nucléaire n’est pas “détruite” par les familles “non traditionnelles” (même si, là encore, où serait le problème ?). Pourtant, parfois les enfants issus de familles non nucléaires vont mieux que ceux qui grandissent dans le schéma “traditionnel”. D’après Susan Golombok, “la forte volonté des parents à avoir des enfants peut expliquer la qualité élevée de leur rapport. L’enfant se sent désiré et valorisé, ce qui influence son développement de manière positive”.
La professeure a tout de même tenu à mettre en garde contre certaines pratiques, comme le fait que les États-Unis ne limitent pas le nombre d’enfants conçus par donneur, ce qui peut s’avérer compliqué à gérer pour les enfants apprenant qu’ils ont des dizaines de demi-frères et demi-sœurs. “Les nouvelles technologies permettent de petits miracles mais elles doivent être appliquées dans un cadre contrôlé pour éviter les dérives”, a-t-elle souligné. La professeure a également appelé à soutenir ces familles non traditionnelles.
“Un enjeu fondamentalement politique”
Susan Golombok a insisté sur l’importance de parler de ces familles et de lutter contre les préjugés, considérant :
“Les gens ont souvent peur de ce qu’ils ne connaissent pas ou de ce qui n’entre pas dans la norme. Mais il suffit parfois qu’un individu soit concerné par le sujet pour qu’il change d’avis. Par ailleurs, plus la réalité de ces familles non traditionnelles sera portée à la connaissance du grand public, plus elle aura des chances d’être acceptée.”
L’école devrait ainsi jouer un rôle déterminant dans l’acceptation de toutes les familles, en assurant que tous les enfants se sentent égaux et pris en compte, notamment grâce à “des discussions ouvertes”. Les lois doivent également être adaptées, a expliqué Susan Golombok, pour qui “le sujet des familles porte un enjeu fondamentalement politique. Il est injuste de constater que des enfants ne sont pas protégés juridiquement. Les lois doivent s’adapter et correspondre à la réalité”. En France par exemple, si les enfants nés par GPA à l’étranger pourront légalement avoir deux parents, la transcription pure et simple des actes de naissance, sans passer par l’adoption, a été refusée.
Il serait pourtant grand temps d’accepter pleinement la nouvelle définition de la famille, une notion “variable et personnelle” pour les enfants interrogés par la professeure : “Quand on leur pose la question, certains enfants incluent dans leur réponse des personnes avec qui ils n’ont pas de lien génétique.” Des constats qui coïncident avec les chiffres sur les familles françaises.
En mai 2017, l’Insee a en effet publié une étude sur le sujet, relayée par l’Express. Elle montrait qu’en 2011, la France comptait 13,7 millions d’enfants, dont 71 % vivaient principalement en famille “traditionnelle”, soit avec leurs deux parents. Le modèle nucléaire dominait donc, mais les enfants vivant en famille monoparentale représentaient tout de même 18 % des petits Français·e·s, et 11 % grandissaient dans une famille recomposée.
Et s’il est difficile d’évaluer précisément le nombre d’enfants grandissant dans des familles homoparentales, le JDD rapporte que les démographes Maks Banens et Eric Le Penven ont évalué qu’en 2008, 5 000 à 6 000 couples homosexuels vivaient avec des enfants de moins de 25 ans. Pour l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens, en 2013, entre 200 000 et 300 000 enfants auraient un parent homosexuel.